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Eilis Lacey est une jeune Irlandaise des années cinquante qui termine ses cours de comptabilité au début du roman et vit sans histoire entre sa mère, veuve, et Rose, sa sœur aînée, célibataire très courtisée qui subvient seule aux besoins de la famille. Les fils, eux, ont dû s’exiler en Angleterre. C’est la misère en Irlande et Eilis ne réussit pas à trouver du travail. Elle doit à son tour partir en Amérique, à Brooklyn, dans la communauté irlandaise. Elle vit dans une pension pour jeunes filles et travaille comme vendeuse dans un grand magasin sous la surveillance et la tutelle d’une patronne et d’un prêtre catholiques très stricts qui maintiennent les contacts avec le pays d’origine.Après un passage à vide où le mal du pays la rend malade, Eilis finit par s’adapter à la liberté et aux nouvelles modes américaines. Ses liens avec l’Irlande se distendent; elle rencontre un jeune Italien charmant et entreprenant qui l’aime et la reçoit dans sa famille où elle est la bienvenue. Elle se sent heureuse, appréciée et bien considérée dans son travail. Elle reprend même des cours de comptabilité et obtient une promotion. Tout va pour le mieux lorsqu’elle apprend une très mauvaise nouvelle concernant sa sœur. Elle se sent obligée de retourner en Irlande où peu à peu elle oublie Brooklyn et les liens qu’elle y a créés. Un nouvel amoureux se manifeste, un bon parti, très riche qui la dédaignait auparavant. Elle a tendance à oublier son amour d'Amérique et envisage de rester sur l’île mais le passé la rattrape et un coup de téléphone la rappelle à l’ordre.
J’ai beaucoup aimé ce roman où on suit presque pas à pas l’héroïne, une jeune femme typique de ces années-là, très loin des habitudes et de l’éducation actuelles. Elle semble tout d’abord très effacée, modeste, banale, discrète, sans grande personnalité, écrasée entre sa mère si fière et digne malgré la misère mais rigide et silencieuse et Rose, sa sœur rieuse et séduisante mais toute dévouée à sa famille. Peu à peu on découvre une Eilis plus sûre d’elle, plus indépendante, plus légère, plus responsable aussi. J’ai surtout apprécié la maîtrise de l’auteur dans l’approche de ses personnages. J’ai fini par les connaître tous de très prés, même les plus secondaires, comme si moi-même j’étais devenue une des protagonistes de l’histoire, une de ces présences silencieuses dont Eilis est entourée, qui ne disent jamais rien mais qui savent tout de sa vie cependant, dans les moindres détails. Le nœud de l’histoire se trouve là d’ailleurs, dans le poids de la communauté qui pèse sur chaque destin de ces exilés les rappelant aux règles et aux rites de leur lieu de naissance. Il n’est pas si facile de se libérer complètement de son passé et de ses origines.Un beau roman. "Personne de sa famille ne pouvait l'aider. Elle les avait tous perdus. Ils ne seraient jamais informés de ce qu'elle endurait en ce moment; elle n'en parlerait pas dans ses lettres. Et pour cette raison , comprit-elle, ils ne sauraient plus jamais vraiment qui elle était. Peut-être ne l'avaient-ils jamais su, songea-t-elle aussitôt après. Car si ç'avait été le cas, ils auraient deviné ce que ce départ signifierait pour elle."
Brooklyn de Colm TÓIBÍN ( Robert Laffont, Coll. Pavillons, 2011, 314 pages) Traduit de l'anglais (Irlande) par Anna Gibson.Billets de Kathel, Manu, L'Ogresse, Choco, Amanda,Cuné, Challenge de Kathel (Irlande)