d'après Maupassant

Publié le 10 octobre 2011 par Dubruel

HISTOIRE VRAIE

J’avais vingt-six ans et vivais en garçon

Dans mon château de Villebon.

Quand on s’embête tous les soirs après diner,

On a l’œil de tous les côtés.

Je découvris Rose bientôt.

C’était la jeune servante des Doulteau.

Elle m’enjôla si bien cette fille

Que j’allai un jour à Cauville

Demander

À son maître de me la céder

En échange de ma jument noire

Qu’il cherchait depuis deux ans à avoir.

Marché conclu ; la petite vint au château

Et je menais ma jument chez Doulteau.

Ça alla comme sur des roulettes au début.

Rose m’aimait, même trop pour mon goût.

J’étais convaincu,

Voyez-vous,

Qu’elle avait une chose de pas coutumier,

Comme si elle avait fauté avec son fermier.

Ah ! On ne me prend pas facilement.

Elle m’avoua… qu’elle attendait un enfant

Et elle m’embrassait, m’embrassait !

Et elle riait, dansait !

Mais je ne pensais qu’à couper le fil

Car j’avais mes parents à Barneville

Et ma sœur à deux lieues de Villebon.

Si elle quittait la maison,

On se douterait

De quelque chose et on jaserait.

Si je la gardais, bientôt on verrait…

Et puis on pourrait…

Je demandais donc l’avis de mon cousin,

Un connaisseur, un chaud lapin :

-Il faut la marier, mon bon !

Je fis un bond :

-La marier, mais avec qui, Paul ?

Il haussa les épaules :

-Avec qui tu veux, c’est ton affaire.

Je réfléchissais à ce qu’il fallait faire

Quand un soir, je dinais chez un ami

Qui me dit :

-Le fils de la mère Ramise

Vient de faire une bêtise.

La Ramise est une infâme.

Pour un écu, elle vend son âme 

Et son fils est un sacré garnement !

J’allais la trouver. Doucement,

Je lui fis comprendre la situation.

Je m’étais embarrassé dans mes explications ;

Alors, elle me posa une question subite :

-Qué qu’vous lui donnerez, à c’te p’tite ?

-J’ai trois hectares, près de Sasseville ;

Je donne ce bien en dot à la fille.

Le lendemain, le gars vint

Il avait en effet l’air d’un rude coquin.

Et nous voilà partis voir le champ.

-Ça vous va ?

Il ricana :

-J’crai ben, une terre et un éfant !

Mais, à qui qu’ils iraient

Ces arpents

Si a mourrait ?

-Mais à vous, naturellement.

C’était tout ce qu’il voulait savoir.

Et il me dit : -D’accord, au revoir.

Par contre, j’eus du mal avec Rose.

Elle sanglotait

Et répétait :

-C’est vous qu’ me l’propose !

Les femmes, c’est bête

Une fois qu’elles ont l’amour en tête.

Elle céda au bout d’un moment

Si je l’autorisais

À me rendre visite de temps en temps.

À l’autel je la conduisais.

J’offrais le diner à toute la noce.

Bref, je fis grandement les choses…

Puis j’allais passer six mois en Touraine.

J’appris qu’elle était venue chaque semaine

Au château me demander.

À peine étais-je arrivé

Qu’elle entrait avec …son marmot.

Elle m’embrassa et fondit en sanglots.

Elle était devenue maigre exagérément.

Je lui demandais spontanément :

-Es-tu heureuse avec ton époux ?

-Je peux pas m’passer de vous.

J’aime mieux mourir.

J’n’en peux pu !

Je la consolai comme je pus

Et allai la reconduire

Quand elle m’avoua que son mari la battait

Et que sa belle-mère la traitait

Pis qu’une traînée.

Deux jours après, elle revenait.

Elle me prit dans ses bras :

-J’n’veux pas retourner là-bas.

Cette histoire m’embêtait tellement

Que je m’absentais longtemps de nouveau.

Quand je rentrais au château,

On me dit :

-Elle est venue tous les samedis.

Il y a trois semaines, elle décédait.

Quant au mari,… il héritait.