HISTOIRE VRAIE
J’avais vingt-six ans et vivais en garçon
Dans mon château de Villebon.
Quand on s’embête tous les soirs après diner,
On a l’œil de tous les côtés.
Je découvris Rose bientôt.
C’était la jeune servante des Doulteau.
Elle m’enjôla si bien cette fille
Que j’allai un jour à Cauville
Demander
À son maître de me la céder
En échange de ma jument noire
Qu’il cherchait depuis deux ans à avoir.
Marché conclu ; la petite vint au château
Et je menais ma jument chez Doulteau.
Ça alla comme sur des roulettes au début.
Rose m’aimait, même trop pour mon goût.
J’étais convaincu,
Voyez-vous,
Qu’elle avait une chose de pas coutumier,
Comme si elle avait fauté avec son fermier.
Ah ! On ne me prend pas facilement.
Elle m’avoua… qu’elle attendait un enfant
Et elle m’embrassait, m’embrassait !
Et elle riait, dansait !
Mais je ne pensais qu’à couper le fil
Car j’avais mes parents à Barneville
Et ma sœur à deux lieues de Villebon.
Si elle quittait la maison,
On se douterait
De quelque chose et on jaserait.
Si je la gardais, bientôt on verrait…
Et puis on pourrait…
Je demandais donc l’avis de mon cousin,
Un connaisseur, un chaud lapin :
-Il faut la marier, mon bon !
Je fis un bond :
-La marier, mais avec qui, Paul ?
Il haussa les épaules :
-Avec qui tu veux, c’est ton affaire.
Je réfléchissais à ce qu’il fallait faire
Quand un soir, je dinais chez un ami
Qui me dit :
-Le fils de la mère Ramise
Vient de faire une bêtise.
La Ramise est une infâme.
Pour un écu, elle vend son âme
Et son fils est un sacré garnement !
J’allais la trouver. Doucement,
Je lui fis comprendre la situation.
Je m’étais embarrassé dans mes explications ;
Alors, elle me posa une question subite :
-Qué qu’vous lui donnerez, à c’te p’tite ?
-J’ai trois hectares, près de Sasseville ;
Je donne ce bien en dot à la fille.
Le lendemain, le gars vint
Il avait en effet l’air d’un rude coquin.
Et nous voilà partis voir le champ.
-Ça vous va ?
Il ricana :
-J’crai ben, une terre et un éfant !
Mais, à qui qu’ils iraient
Ces arpents
Si a mourrait ?
-Mais à vous, naturellement.
C’était tout ce qu’il voulait savoir.
Et il me dit : -D’accord, au revoir.
Par contre, j’eus du mal avec Rose.
Elle sanglotait
Et répétait :
-C’est vous qu’ me l’propose !
Les femmes, c’est bête
Une fois qu’elles ont l’amour en tête.
Elle céda au bout d’un moment
Si je l’autorisais
À me rendre visite de temps en temps.
À l’autel je la conduisais.
J’offrais le diner à toute la noce.
Bref, je fis grandement les choses…
Puis j’allais passer six mois en Touraine.
J’appris qu’elle était venue chaque semaine
Au château me demander.
À peine étais-je arrivé
Qu’elle entrait avec …son marmot.
Elle m’embrassa et fondit en sanglots.
Elle était devenue maigre exagérément.
Je lui demandais spontanément :
-Es-tu heureuse avec ton époux ?
-Je peux pas m’passer de vous.
J’aime mieux mourir.
J’n’en peux pu !
Je la consolai comme je pus
Et allai la reconduire
Quand elle m’avoua que son mari la battait
Et que sa belle-mère la traitait
Pis qu’une traînée.
Deux jours après, elle revenait.
Elle me prit dans ses bras :
-J’n’veux pas retourner là-bas.
Cette histoire m’embêtait tellement
Que je m’absentais longtemps de nouveau.
Quand je rentrais au château,
On me dit :
-Elle est venue tous les samedis.
Il y a trois semaines, elle décédait.
Quant au mari,… il héritait.