Comme prévu, François Hollande et Martine Aubry vont en finale au sein d’un parti
divisé dans une primaire considérée toutefois comme un succès. Seule surprise, l’effondrement de Ségolène Royal et la percée d’Arnaud Montebourg qui va alimenter le véritable suspens du second
tour.
Le premier tour de la primaire socialiste en vue de la désignation d’un candidat à l’élection présidentielle de 2012
s’est déroulé le dimanche 9 octobre 2011 entre neuf heures et dix-neuf heures dans 9 474 bureaux de vote répartis sur toute la France.
D’après les premiers résultats, près de 2,5 millions de personnes auraient pris part au vote. François Hollande se hisserait au premier rang avec 39%, suivi de Martine Aubry avec 31%, puis Arnaud Montebourg créerait la surprise avec 17% dépassant largement Ségolène Royal qui
n’obtiendrait que 7%, talonnée de peu par Manuel Valls avec 6% laissant bon dernier Jean-Michel Baylet à moins de 1%.
L’incapacité du PS à se glisser dans la logique présidentielle l’a conduit à innover de manière très intéressante : en imaginant une primaire ouverte à tous.
Critères de succès du premier tour de la primaire
Le guide de diagnostic sur ce premier tour est double. Le premier critère reste l’objectif initial du choix
du candidat et en cela, que ce fût au premier ou au second tour, l’opération ne peut que réussir.
Mais le second critère, bien moins technique et bien plus politique, c’était la participation à cette
première historique. Avec un principe assez simple : plus la participation est forte, plus le candidat socialiste aura un avantage déterminant sur son concurrent de l’UMP le 22 avril
2012.
Évidemment, le seuil de succès de la participation a été définie de façon très arbitraire. La direction du PS
parlait du seuil d’un million de votants, mais les sondages émettaient la possibilité d’un électeur sur dix, soit entre quatre et cinq millions de votants. Concrètement, les responsables
socialistes ont tablé de manière à satisfaire jusqu’à près de six millions de votants.
Alors, succès ou pas succès ?
D’après les dernières déclarations de Jean-Pierre Mignard, le responsable suprême du bon déroulement de la
primaire, le soir du 9 octobre 2011 à 23h25, la participation approcherait les 2,5 millions de votants, ce qui peut être considéré comme une
mobilisation très satisfaisante.
Certes, il faut savoir relativiser ce nombre et ne pas en faire un triomphe comme l’a fait Harlem Désir, premier
secrétaire par intérim, en multipliant les superlatifs dans une même phrase.
Cela ne représente finalement moins que 6% du dernier
corps électoral d’une élections impliquant l’ensemble des électeurs (à savoir les élections régionales de mars 2010, les cantonales de mars 2011 ne faisant intervenir que la moitié des
électeurs), mais il serait instructif de comparer la participation de ce 9 octobre 2011 plutôt avec l’électorat dit de gauche ou l’électorat socialiste.
Par exemple, en restant sur des comparaisons présidentielles, ces 2,5 millions de votants ne représentent
même pas 15% de l’ensemble des électeurs de Ségolène Royal au second tour de l’élection présidentielle du 6 mai 2007, ou un peu plus d’un
quart (26%) de ses électeurs au premier tour du 22 avril 2007.
En prenant les élections les plus récentes (les régionales), ces 2,5 millions ne sont que le quart
(25%) des électeurs de gauche au second tour du 21 mars 2010 et loin de la moitié (44%) des électeurs du Parti socialistes au premier tour du 14 mars 2010.
Bref, concrètement, ce premier tour de la primaire est très loin d’avoir mobilisé l’ensemble des électeurs
socialistes des scrutins précédents. En revanche, le nombre correspond à peu près à la moitié des personnes qui ont regardé le premier débat ainsi qu’à la moitié des personnes ayant affirmé
qu’elles participeraient dans les sondages (les instituts de sondage considèrent qu’il faut diviser par deux ce type de déclaratif).
Mais ces comparaisons correspondaient à des scrutins nationaux, ce que n’est pas cette primaire qui n’est
qu’une élection interne à un parti. Ainsi, l’autre comparaison pertinente qui iraient dans le sens d’un grand succès, c’est avec la précédente primaire, fermée aux seuls adhérents du PS, qui
s’était déroulée le 16 novembre 2006. 2011 aura mobilisé plus de 13 fois (x 13,4) plus qu’en 2006, ce qui est considérable.
Un seul exemple montre l’étendue de la légitimité nouvellement créée : le 16 novembre 2006, Ségolène
Royal a gagné la primaire largement avec seulement 108 807 voix (soit 60,7%) alors que ce 9 octobre 2011, elle a obtenu un peu plus de voix (132 936 selon les dernières estimations)
mais qui ne correspondraient plus qu’à près de 7% ! Ségolène Royal n'a recueilli que 0,8% des voix qui s'étaient portées sur son nom le 6 mai 2007.
La bonne visibilité médiatique depuis environ trois semaines avec trois débats télévisés qui se sont révélés comme des objets politiques nouveaux dans le paysage politique a
engendré un certain nombre de réflexions, parfois très contradictoires même au sein de l’UMP. Ainsi, le Premier Ministre François Fillon a concédé que le concept de la primaire méritait réflexion alors qu’il y a quelques mois, Jean-François Copé, le secrétaire général de l’UMP, n’avait cessé d’envoyer des scuds pour contester leur légitimité et le risque de fichage politique.
Course de petits chevaux
Probablement qu’il va y avoir de nouvelles polémiques entre ceux qui pensent que les sondages se sont trompés
et les autres. J’aurais tendance à dire que les sondages se sont montrés au contraire très pertinents malgré le caractère totalement nouveau et original du scrutin.
En effet, que ce soit sur la participation ou l’identité des deux finalistes, les sondages avaient tout
prévu. Même le score de Manuel Valls et de Jean-Michel Baylet. En revanche, la surprise est venue de la très bonne performance d’Arnaud Montebourg (qui aurait probablement encore grimpé si le
premier tour avait eu lieu un peu plus tard) au détriment de Ségolène Royal.
Tout le monde a souligné l’injustice des urnes faite à Ségolène Royal. Sa défaite provient sans doute de la
certitude qu’elle ne serait pas capable de gagner au second tour (les militants socialistes se sont déjà trompés en 2006 et ne veulent pas recommencer en 2011) et de l’hypothèse de ne même pas
franchir l’étape du premier tour. C’est clair que ce 9 octobre 2011, Ségolène Royal doit enterrer définitivement toutes ses ambitions présidentielles. Le pacte de Marrakech a donc bien
fonctionné.
Tout le monde a également insisté lourdement par la performance d’Arnaud Montebourg. Il faut cependant
relativiser puisque cela ne correspond qu’à 337 646 voix selon la dernière estimation, ce qui est finalement assez faible, pesant à peine 0,8% de l’ensemble du corps électoral.
Le PS a de grande chance d’initier un nouveau clivage entre les deux personnalités qui se sont véritablement
révélées auprès des Français, à savoir Arnaud Montebourg et Manuel Valls.
Sur l’essentiel, ce sont quand même les deux éléphants les plus apparatchiks qui ont gagné ce dimanche soir, avec un peu de déception pour François Hollande qui n’a que 8% d’écart avec Martine Aubry. Or, si
celle-ci récupérait les voix d’Arnaud Montebourg, elle serait proche des 50%, si bien que la situation est la moins enviable pour le PS qui s’étale dans ses divisions : divisions au premier
tour avec des voix très dispersées (comme à Reims) et un second tour qui va être très serré.
Enfin, un petit mot pour Jean-Michel Baylet, complètement balayé non seulement par les médias mais également
par les participants à la primaire puisqu’il n’obtiendrait que 0,6% des voix (soit 11 864 voix selon les dernières estimations) et semble victime de l’effet vote utile. Ce nombre de
suffrages correspondrait-il au nombre de radicaux de gauche existant en France ?
Il paraît presque évident que si Jean-Michel Baylet s’était présenté directement à l’élection présidentielle,
il aurait obtenu bien plus qu’à cette primaire. Il suffit de se rappeler le score de la dernière candidate du PRG à l’élection présidentielle : le 21 avril 2002, Christiane Taubira (qui a
soutenu Arnaud Montebourg dans la primaire) avait obtenu 660 447 voix (soit 2,32%).
Incompatible avec l’esprit des institutions
J’ai déjà insisté ici pour dire que le principe de primaire ouverte est peu compatible avec l’esprit de nos institutions car il est le précurseur d’une (mauvaise) évolution.
D’une part, ce principe renforce le régime des partis
qu’avait tant combattu De Gaulle en plaçant entre le peuple et son représentant suprême un ou plusieurs
partis qui ne peut être le rouage essentiel d’un État (seuls, les États communistes ont considéré un parti comme plus puissant que l’État lui-même).
D’autre part, il renforce l’américanisation de nos
institutions après l’institution problématique du quinquennat et de la simultanéité des scrutins
présidentiel et législatif. Une américanisation qui pourrait aboutir à un régime présidentiel pur et simple qui ne me paraît pas adapté à la mentalité française (le droit de dissolution et de
motion de censure de part et d’autre des pouvoirs exécutif et législatif me paraissant des outils indispensables en cas de crise politique).
Un parti incapable de s’organiser sans prendre à témoins ses électeurs
Parmi les autres inconvénients de la primaire, on pourra citer des éléments plus anodins comme le coût des
opérations (environ cinq millions d’euros et la mobilisation de soixante mille personnes, principalement des bénévoles, certes), le risque de fichage localisé (rien n’empêche aux potentats de
village de frauder sur les fichiers même si le principe général semble apporter toutes les garanties), et surtout, la reconnaissance que le Parti socialiste n’est pas capable de s’organiser
efficacement en interne pour choisir son candidat puisqu’il demande l’aide de tous les électeurs.
Ce mauvais fonctionnement d’un parti (dont le principal rôle est justement d’investir les candidats aux
élections) laisserait augurer d’une même indécision s’il se retrouvait à la tête de l’État : devrait-t-on en passer systématiquement par des référendums pour statuer, trancher, départager
les moindres décisions ?
Le plus contestable : le corps électoral
Le moins convaincant dans cette primaire, c’est le choix du corps électoral : l’ensemble des électeurs
avec juste l’euro symbolique à payer et une charte que tout le monde pourrait signer : « Je me reconnais dans les valeurs de la gauche et de la
République, dans le projet d’une société de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité, de justice et de progrès solidaire. ». Qui seraient contre la liberté ? contre
l’égalité ? contre la fraternité ? contre la laïcité ? contre la justice ? contre le progrès et contre la solidarité ? Pas grand monde.
Du coup, cette très large ouverture laisse en gros à 80% de l’électorat la possibilité de participer à cette
primaire, sans être socialiste et sans avoir du tout l’intention de voter pour le candidat socialiste en 2012. On peut imaginer ainsi beaucoup de calculs. Des proches de l’extrême gauche
favoriser Arnaud Montebourg, des gens de droite au contraire aider Manuel Valls. On peut aussi supposer des personnes qui voteraient pour l’UMP choisir le candidat le plus mauvais face au
Président sortant, comme par exemple Jean-Michel Baylet (pourquoi pas ?).
Bref, cette absence de cohésion du corps électoral est assez curieuse. D’un côté, j’aurais tendance à
dire : débrouillez-vous entre vous, c’est votre problème de choisir votre candidat, je m’en moque ; et de l’autre : puisque je peux influer, quel serait mon intérêt, l’intérêt
électoral de ceux que je soutiens, dans cette opération ?
Aux États-Unis, il faut s’inscrire sur des listes particulières (démocrate ou républicain) pour pouvoir
participer à la primaire de l’un des deux grands partis et il est donc impossible de voter pour la primaire des deux partis à la fois. Avec la méthode adoptée par le PS, on pourrait voter à la
primaire de plusieurs partis si plusieurs en avaient organisé. En revanche, garder des listes d’électeurs seraient contraire au principe du vote secret.
Les avantages de la primaire
Évidemment, d’autres voient beaucoup d’avantages au principe de la primaire, à gauche comme à droite, que ce
soit par exemple Jean-Luc Mélenchon (qui envisagerait l’élargissement à toute la gauche) ou Valérie
Pécresse (qui l’imagine à l’UMP en 2017).
Le succès de la campagne de la primaire est déjà un fait reconnu. Il suffit de voir autour de soi, notamment
parmi les jeunes générations (25-35 ans), comment cette campagne leur a instillé la curiosité de la chose politique à laquelle elles se désintéressaient totalement.
Le succès de la participation est un second fait indéniable, et ce malgré le mauvais temps, la pluie (la
météo joue un rôle majeur dans la décision d’aller voter, s’il fait trop moche ou trop beau, cela favorise l’abstention).
Un moyen simple et démocratique…
Le principal avantage est d’assurer par un moyen simple et démocratique le choix d’un candidat lorsque aucun
ne s’impose. Il faut comprendre : lorsque les sondages n’en légitiment aucun d’office.
Il faut d’ailleurs saluer l’intérêt extraordinaire
des socialistes à avoir organisé cette primaire alors qu’on aurait pu penser qu’ils avaient déjà leur candidat providentiel en la personne de Dominique Strauss-Kahn. Or, son éviction hors du jeu politique n’a pas eu de fâcheuses répercussions sur le PS
grâce à cette procédure. Il a donc pu proposer immédiatement deux candidats de rechange (il faut comprendre : puisque les sondages montrent que deux autres candidats seraient capables de
gagner un second tour à l’élection présidentielle).
C’est valable pour 2012 mais bien plus pour 2017 où il y a une nouvelle génération à l’UMP (et probablement
aussi au PS). Vu la bataille pour s’emparer de Bercy, les dents sont déjà affûtées dans la majorité
présidentielle entre Jean-François Copé, François Baroin, Valérie Pécresse, Nathalie
Kosciusko-Morizet (entre autres) pour être le candidat de l’UMP.
Au PS, Arnaud Montebourg et Manuel Valls auront déjà pris un peu d’avance sur d’autres personnalités toutes aussi
ambitieuses telles que Pierre Moscovici, Vincent Peillon ou encore Benoît Hamon.
Moins de candidats pour témoigner ?
L’autre avantage qu’il s’agirait de prendre en compte, c’est de bien comprendre la candidature de Jean-Marie
Baylet qui paraissait en dehors du coup. Lorsqu’il s’était présenté au début de l’été, le président du PRG avait affirmé que son parti ne pouvait pas être absent du débat présidentiel car il
avait des propositions à apporter à la nation. Mais il ne voulait pas non plus se retrouver comme l’un des acteurs d’un nouveau 21 avril.
Du coup, la participation à la primaire était un bon moyen d’avoir un écho médiatique (ce que recherchent
tous les "petits candidats") sans en avoir les inconvénients (faire perdre son camp par la dispersion des voix au premier tour). Jean-Michel Baylet l’avait d’ailleurs confié à la fin du premier
débat.
Le principe de primaire va ainsi réduire les risques de candidatures de témoignage qui n’ont d’intérêt que le
besoin de médiatiser soit au mieux le projet, soit au pire l’ego des personnes en question, mais qui n’ont aucune utilité dans l’objectif initial d’une élection présidentielle, à savoir choisir
le prochain Président de la République.
C’est probablement pour cette dernière raison que l’UMP commence à trouver quelques charmes à ce dispositif
innovant…
Rendez-vous le 22 avril 2012 plutôt que le 16 octobre 2011 !
Il reste dans tous les cas que cette primaire, aussi médiatisée soit-elle, n’est qu’un épiphénomène dans la
précampagne présidentielle qui s’annonce. Seulement un électeur sur dix-huit a considéré le scrutin du 9 octobre 2011 comme utile.
À trop vouloir faire croire que la primaire du PS désignerait le futur Président de la République, on oublie
un peu trop qu’il y aura une bataille nettement plus redoutable dans quelques mois.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (10 octobre
2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Dernier débat de la
primaire.
Le PS et la
logique présidentielle.
La primaire et l’esprit des institutions.
Le duel Hollande-Aubry.
Dernières estimations et résultats définitifs officiels (site
du PS).