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Ghost Recon Advance Warfighter, Ghost World

Publié le 26 mai 2006 par Jérôme / Khanh Dittmar / Dao Duc

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Faut-il rappeler combien le jeu vidéo est chronophage, vivant dans une actualité qu'il ne cesse d'avaler à toute vitesse. Qu'il est un monde où ne rayonnent encore que quelques rares étoiles, peuplé surtout de corps qui à peine formés, se consument déjà pour devenir froids et inertes, demeurant dans l'oubli éternel de ces morts dont le souvenir n'est plus. Des produits de l'ici et maintenant technique, inamovibles et définitivement clos par leur code, programmés et condamnés dès lors à une déchéance d'objets obsolètes, une déchéance qui se révèlerait être bien plus encore, et qui pour être formulée nécessiterait que nous nous placions bien au delà du strict horizon technologique auquel nous cantonnons communément le jeu vidéo.
Comme nous l'affirmions précédemment, l'essence même du jeu vidéo, c'est la liaison fondamentale du joueur à l'écran, plus importante que le joueur, plus importante que l'écran même, et qui pourrait tenir, qui sait, du champ transcendantal des idées et des formes, d'un divin dont le jeu vidéo tirerait son essence, un divin en réalité souvent avorté dans ces objets morts nés que nous évoquions. Et si nous considérions alors ces objets comme des spectres, des fantômes venant hanter le réel d'une vie passée dans l'imaginaire? Des fantômes prenant l'habit de la nouveauté sans jamais l'incarner, et dont Ghost recon advance warfighter serait un énième représentant, jeu vide enveloppé d'effets denses comme la fumée volumétrique et aveuglants comme les jeux de lumière qu'il déploie habilement, mais brève illusion de réel et de nouveauté qui n'en est pas, figuration d'un possible réalisé, mais qui en aucun cas ne pourrait dériver de la non-donnée du virtuel et, ce que la plupart des jeux next-gen voudraient nous faire croire, signifier le réel même.
C'est bien là toute la distinction qu'opérait Deleuze entre le virtuel et l'actuel qui se joue dans le jeu vidéo et dans Ghost recon, terriblement actuel, condamné à l'oubli, une fois que ses oripeaux techniques s’effritent, que les illusions se défont pour se dissiper telles ces mêmes effets de fumée volumétriques, que l'œil un temps ébloui se remet à voir, à ne voir qu'une chose surannée engoncée dans une puissance qui ne fait plus effet, à ne voir qu'un monde fantôme peuplé de pantins -ses coéquipiers, ses ennemis dont l'intelligence artificielle est pathétique- que l'on parcourt indifféremment comme des gardiens de cimetière. Cette indifférence aurait dans Ghost recon la particularité qu'elle ne fonctionne pas a posteriori, une fois le jeu dépassé par sa réactualisation technique, et de fait aussitôt oublié, mais bel et bien dans le jeu même qui nous signifie cette nature spectrale. La déréliction s'y effectue alors qu'on avance dans le jeu, dont le niveau graphique se dégrade jusqu'à l'ultime niveau totalement bâclé, et un générique effarant de nullité, représentant un black hawk survolant le New Mexico du jeu pris dans un bug de nuage. Elle s'y effectue encore lorsque d'une ouverture où les soldats se déploient à la manière de ceux du Black hawk down de Ridley Scott sur fond de All along the watchtower, le joueur se retrouve par la suite à errer dans d'immenses espaces où tout se sent terriblement programmé, statique et déceptif vis-à-vis de cette filiation cinématographique fantasmée.
Et alors que se découvrent ces immenses espaces d'une ville entièrement modélisée, c'est surtout l'absence d'un supplément d'âme qui vient manquer, d'autant plus cruel que se manifeste autour un excès de moyens dérisoires. Comme le bidonville fantôme, dans les derniers instants de la mission "quaterback", que nous parcourions par erreur, alors que nous cherchions un moyen d'accéder à un objectif ridicule (récupérer un objet appelé football). Ou plutôt, alors que nous cherchions à trouver un autre accès que celui unique proposé par la carte, qui montrait une séparation incompréhensible entre deux zones immenses et accolées, juste reliées par un point d'accès. Faisant le tour de cette zone, nous avancions stupéfaits dans un bidonville entièrement modélisé et totalement vide où seuls résonnaient le bruit de nos pas, ainsi que celui d'une humanité infiniment lointaine et à peine perceptible d'où nous étions. Nous éprouvions alors une certaine forme de tristesse devant cette absence de vie; non pas tant celle d'habitants la symbolisant mais lorsque devant telle ou telle maison, nous devinions la main de l'homme derrière la machine, dérisoire et incarnant à présent un excès d'altérité se frottant à notre sentiment de vide et de solitude, non pas dans le jeu mais face au jeu. Résolument étranger, ce monde semblait crier sa souffrance de n'être, parmi tant d'autres, qu'un fantôme désespérant de ne pouvoir vivre.
KDD

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