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Démocratie et géopolitique

Publié le 09 octobre 2011 par Egea

La question de la démocratie anime, sotto voce, le débat géopolitique. En effet, l'hypothèse le plus en cours actuellement est celle d'une aspiration générale et mondiale à la démocratie. Ou encore, la mondialisation serait politiquement une marche vers la démocratie. Cela mérite au moins d'être discuté.

Démocratie et géopolitique
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1/ On peut bien sûr se référer à Fukuyama et sa fin de l'histoire : la thèse est connue et vise à poursuivre l'interrogation hégélienne. Selon lui, la démocratie serait désormais la fin (au sens de finalité, et pas simplement de terminaison, contrairement à ce que tout le monde comprend) de l'histoire. Cette affirmation sous-entend une sorte d'hypothèse : la démocratie est la manifestation de l'Occident et la démocratisation marquerait une occidentalisation du monde.

2/ Fukuyama a rapidement été critiqué, au fond à partir du 11 septembre, et donc selon un schéma non holiste de la mondialisation : il s'agit alors de décrire non une unification du monde, mais au contraire une fragmentation due à l'opposition de "civilisations", et en fait de l'Occident contre l'islam. A-t-on assez remarqué que le texte d'Huntington paraît assez tôt (l’article en 93 et le livre en 96) mais n'est réellement discuté qu'à partir de septembre 2001 ? La thèse est simple, et reproduit le schéma bipolaire que tout le monde garde à l'esprit, tout en proposant une explication de la complexité du monde globalisé. L'ouest reste à l'ouest, et il est contre un "méchant", non occidental. Pas besoin d’avoir fait de grandes études pour comprendre rapidement que l'islam est beaucoup plus hétérogène que le soviétisme, et qu'en plus il n'organiserait pas cette confrontation selon le schéma précédent.

3/ L'émergence de la Chine semble modifier la compréhension d'Huntington : le passage à un monde zéropolaire, l'hypothèse d'un G2, le succès de développements autoritaires contreviennent à l'opposition Occident contre islam. La Chine est certes perçue comme une civilisation (entrant donc dans le schéma huntingtonien) mais elle utilise l'économie de marché (entrant quelque part dans le schéma Fukuyamien). Pourtant, son système politique et la différenciation des BRICS qui, en fait, ne s'unissent que pour s'opposer à l'occident, montrent que les schémas présentés ne conviennent pas.

4/ Le printemps arabe apparaît alors comme une "bonne" surprise, stratégiquement bien sûr, mais aussi politiquement. En effet, de nombreux commentateurs voient dans ces mouvements populaires l'aspiration à la démocratie : le présupposé est que cette démocratie serait occidentale. En quelque sorte, à l'encontre du "réalisme" traditionnel (ces peuples ne sont pas aptes à la démocratie, forme de racisme sournois), lesdits mouvements manifesteraient que Fukuyama aurait finalement raison. C'est ce qu'il faut examiner.

5/ La démocratie occidentale est-elle si attirante ? En fait, si elle permet une certaine liberté, elle ne paraît pas aussi efficace qu'on le dit. La plupart des démocraties contemporaines (post guerre froide) montrent en effet de sérieuses limites à leur action :

  • les États-Unis, tout d'abord, montrent des signes inquiétants : passons sur l'élection controversée du président Bush (qu'aurait-on dit si cela avait été le cas d'un pays du "tiers-monde" ?). Le président Obama, pourtant brillamment élu, ne réussit pas à mettre en œuvre son programme politique, à cause d'une obstruction du Congrès qui pose la question de l'accord premier sur le fonctionnement de cette démocratie.
  • Le Grande-Bretagne, malgré un système électoral fabricant des majorités simples, voit pour la première fois l'apparition d'une coalition au pouvoir.
  • L'Allemagne voit depuis maintenant de nombreuses années se succéder des coalitions difficiles, dont les effets sur la politique étrangère sont de plus en plus disparates (égéa a suffisamment évoqué le rôle délétère de M. Westerwelle dans la constitution de la politique étrangère allemande : ici, ici et ici)
  • La France a connu des périodes de cohabitation qui n’ont pas prouvé leur grande efficacité....
  • L’Espagne connaît une cohabitation de fait entre un pouvoir central faible au point de devoir négocier en permanence avec les régions qui ne veulent que grignoter une part de ce pouvoir.
  • L'Italie connaît une cohabitation entre un "Peuple de la liberté "et une "Lega norde" dont les objectifs sont différents, tandis que la gauche ne parvient pas à s'unir.
  • Le Japon voit depuis la guerre une succession de gouvernements plus ou moins népotiques et clientélistes qui font douter de l'action publique.
  • d'autres exemples de démocraties plus petites ne sont pas plus rassurants : qu'on songe à la Belgique ou aux Pays-Bas ou plus récemment de la Hongrie....

Ainsi, l'efficacité du système démocratique est au moins questionnée. Quand la démocratie allait de pair avec la domination du monde (donc avec la puissance) elle paraissait comme une condition de cette puissance : c'est le calcul du Japon après 1945 ou des PECO après 1990. Aujourd’hui, la démocratie n'a plus par elle-même cette valeur attractive, elle a perdu son soft power. Si on lui reconnaît une légitimité, on commence à douter de son efficacité. Les crises économiques actuelles ne font rien pour redonner confiance.

6/ Le monde actuel est marqué par un double phénomène stratégique : celui de l'émergence, celui du printemps arabe. Examinons les à l'aune de cette démocratie.

7/ Pour le monde émergent:

  • La Chine est un système non démocratique
  • L'Afrique du sud est présentée comme une démocratie : il reste que si l'on examine plus attentivement, beaucoup de questions se posent et que la domination de l'ANC pose aujourd’hui problème.
  • Le Brésil est une démocratie.
  • La Russie est facialement une démocratie : toutefois, force est de constater qu'elle en a bien peu les pratiques, et que les élections sont sinon truquées, du moins tellement encadrées qu'une force d'opposition ne peut émerger pour parvenir à une alternance. De même, le système judiciaire pose problème et ne s'approche pas de l'état de droit.
  • L'inde est traditionnellement une démocratie. On observe toutefois des phénomènes de radicalisation qui ne laissent pas d'inquiéter, tandis que la constitution de gouvernements stables paraît plus difficile à obtenir qu'auparavant.

Ainsi, la conclusion est claire : il n'y a pas de lien direct entre la démocratie et émergence. La démocratie ne paraît plus comme une condition indispensable du développement économique.

8/ Il y a le printemps arabe, me dira-t-on.

  • La Tunisie semble engagée dans un processus démocratique, avec la mise en place d'élections constituantes (la semaine prochaine) : on verra ce qui en sortira
  • L'évolution de l'Egypte paraît encore plus lente
  • Il est aujourd'hui impossible de préjuger de l'avenir politique de la Libye : au fond, en Libye, la question n'est pas celle du régime politique mais celle de la construction nationale.
  • Ailleurs, les révolutions sont réprimées ou inachevées (Syrie, Yémen, Bahreïn) : on ne peut en tirer pour l'heure de conclusion.

Est-ce donc à dire que ces mouvements sont des aspirations à la démocratie ?

9/ Ce n'est pas sûr. Il y a incontestablement une aspiration à la liberté, mais la démocratie n'est pas forcément synonyme de la liberté ; et il y a un rejet de la corruption : or, la démocratie ne paraît aussi virginale, en la matière, qu'elle a pu l'affirmer. En effet, on observe des atteintes à la vertu publique qui posent des questions : on peut bien sûr évoquer les affaires de corruption ou de financement occulte des partis politiques (la chronique est assez fournie, ces derniers temps, en France), mais l'affaire "zu Guttenberg" (voir billet) est un autre exemple de cet affaiblissement des valeurs : avoir trafiqué sa thèse de doctorat est le signe d'un accommodement avec la vérité qui est symptomatique.

10/ Ainsi, il n'est pas aussi sûr que le modèle démocratique occidental soit aussi recherché qu'il y paraît. Les peuples veulent la liberté et la justice, mais pas forcément manifestées dans la forme de la démocratie occidentale.

Comme si la liberté guidait toujours le peuple, mais pas forcément selon les formes que nous avons trouvées en Occident..

O. Kempf


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