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Table Tennis, Ping

Publié le 20 juin 2006 par Jérôme / Khanh Dittmar / Dao Duc
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La réalité est-elle notre instance finale, ou bien tout ce qui lui échappe à travers l’ensemble des médiations que l’on crée afin de l’intensifier est-il notre projet esthétique et existentiel final à jamais reconduit ? Ce seul lieu de l’entière réalisation humaine qui de par son altération impossible et sa capacité à nous faire explorer notre imaginaire va jusqu’à toutes les distorsions du réel.  Jusqu’à rendre l’irréel plus réel que le réel, nous plongeant alors dans un abyme de sens et des sens où nos perceptions du visible par l’écran deviennent la seule réalité symbolique possible. Et si le jeu vidéo était notre seconde chance, éternellement possible, infiniment jouable, profusément plus concrète et sublime que la première ? Et si jouer à deux, c’était aussi provoquer l’échange, rencontrer l’autre, parler et écouter ? D’une table à l’autre, tout est possible. Ping, Pong, one + one, et le monde existe.

Lorsque nous échangions nos dernières balles avant l’été sur Table Tennis, KDD et moi éprouvions le sentiment d’une saison touchant à sa fin. On aurait pu faire le bilan de nos conversations, évoquer le souvenir de nos débats exaltés ; nous aurions pu nous asseoir en terrasse et laisser se dérouler devant nous le spectacle érotomane estival, mais nous préférions jouer nos dernières balles, faire encore quelques échanges avant de nous séparer. Pourquoi ? Parce qu’avec Table Tennis le monde tourne autour de l’idée d’une table, de deux raquettes et une balle, et que dans les multiples relations possibles qui s’y noue, la réalité y devient soudainement plus belle, le ping-pong nécessairement mieux que le ping-pong, et notre relation d’autant plus partagée. Mais dans Table Tennis il y a plus que l’idée de chaque chose, de la table, la balle, un sport, le sportif, tout y prend une valeur excessive, supplémentaire, plus épaisse et raffinée à la fois. La simulation est conforme à l’image du réel dont elle s’inspire tout en étant constamment sur-valorisée, sur-signifiée, sur-imprimée. Le ping-pong y est autant un enjeu de formes et de trajectoires précises qu’un projet esthétique existentiel de passage qui nous fait vivre le temps d’une partie. Le vecteur d’une éternité palpable où durant un échange le temps se dilue dans la réalité grossissante des ralentis ou des inserts sur une balle décisive. Toute une mise en scène de l’imprévisible permettant de transformer Table Tennis en un cinéma dont nous écrivons la fiction plastique, émotive et interpersonnelle.

Avec nos duels, c’était notre histoire que nous inventions en même temps, une manière de pratiquer l’échange des balles comme celui des mots, d’alterner les moments où l’un domine le jeu de l’autre comme la rhétorique. Façon aussi de jauger les capacités de l’autre sans jamais le juger, mais toujours de prendre en considération les paramètres, il ne fallait pas espérer gagner avec Kumi contre Mark, il ne fallait pas croire toucher la vérité sans connaître cette formule mathématique. Au jeu des balles fusant comme les verbes, l’échange se substituait à celui de la parole. Sans nous en apercevoir, à travers Table Tennis nous menions une nouvelle forme de conversation où la discursivité passait par l’interactivité. Rien de neuf, cela est conforme à tous les jeux de sport ? Pourtant non. D’abord parce que le jeu dépend de votre adversaire, ensuite parce que Table Tennis réduit le monde à l’essentiel, une table. Nous avions troqué la terrasse de café à celle virtuelle d’un jeu de ping-pong, et sans nous en apercevoir. C’est presque beau.

Il y a aussi une manière d’habiter le jeu de Rockstar, de s’y installer, d’en faire partie comme on souscrirait à un club très privé californien. Son ambiance lounge, son atmosphère feutrée, ses musiques cool, ses lumières sensuelles chaleureuses, tout participe à faire du ping-pong l’ultime sport branché de référence. Si tout n’était pas si immédiat dans le plaisir que donne Table Tennis, on aurait pu dire qu’il est snob, presque élitiste ou un objet très chic. Alors qu’au fond Table Tennis est généreux, tout ça il nous le donne pour rien, l’accès au raffinement d’un sport fétichisé en accessoire de luxe, il nous l’offre sans prétention et pour une somme dérisoire. Il nous permet de diverger vers un lieu où existe la possibilité de vivre et échanger quelque chose intensément au sein d’un espace qui nous met dans des conditions idéales. Table Tennis était donc bien devenu notre nouvelle terrasse, le lieu privilégié et cosy d’où mener nos échanges, faire comparaître nos idées les plus folles, les théories les plus risquées, comme nous tenterions un smash infaisable. Car dans Table Tennis tout participe au confort, au sentiment d’aisance et de classe, rien que par le lieu d’où il existe, sa console, tout en étant un espace où la figuration théorique des idées peut épouser les trajectoires formelles de la balle d’une manière tout aussi folles que les énoncés. Nous ne nous croyions pas branché, et nous l’étions devenus sans le vouloir. Nous croyions avoir cessé la discussion pour nous effacer silencieux devant l’écran, alors que l’échange n’avait que divergé selon d’autres médiations, à la fois plus secrètes et évidentes, synthétiques et plastiques, visuelles et sonores. Table Tennis était le lieu des prolongations, une fenêtre ouverte vers des nouvelles formes de discussions inattendues. On n’aurait pu l’imaginer.

Jérôme Dittmar

 

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