En hommage à Edward Yang récemment disparu, j'ai retrouvé ce texte écrit à l'époque de la sortie du film, pour l'émission de radio que j'animais alors :
Yi, ça veut dire «1» en taïwanais. Et Yi-yi veut dire « individuellement » ou «1 + 1». Beaucoup de choses dans le film d'Edward Yang, qui a reçu le prix de la mise en scène à Cannes, renvoient à ce motif de la répétition. Les personnages s'appellent Ting-ting, Min-min, Yang-yang ou Yum-yum. Ne riez pas, il y en a bien qui s'appellent Roger. Vous me direz : « Quel est le rapport ? », je n'en sais rien.
Yi-yi est un film taïwanais et le quatrième de son auteur. Mais les trois précédents sont plutôt mal sortis quand ils ne sont pas restés complètement inédits chez nous. C'est fort dommage à découvrir Yi-Yi, une oeuvre ample, près de trois heures de film et des dizaines de personnages, et forte.
C'est l'histoire d'une famille, ou plutôt de chacun des membres d'une famille sur une période d'environ six mois. C'est surtout une réflexion sur la vie et ses différents âges : enfance, adolescence, âge mûr et vieillesse. Une réflexion qui débouche sur un constat plutôt amer. NJ, le père, a l'occasion de revivre l'amour de sa jeunesse et peut être de tout recommencer. Pourtant, il l'avouera peu après à sa femme, il ne saisira pas cette seconde chance et poursuivra sa vie ordinaire. « Pourquoi je refais toujours les mêmes erreurs » dit un personnage. Visiblement, ce que l'on apprend avec ce que l'on appelle l'expérience, c'est que l'on apprend rien. Encore plus, on est bien incapable de transmettre cette connaissance ténue. Je parlais de motifs de répétition, de parallélismes dans le film. Au moment ou NJ s'offre une escapade japonaise avec son premier amour, sa fille, adolescente timide, vit une expérience similaire avec un jeune garçon quelque peu perturbé, et qui s'achèvera sur le même échec.
Le constat d'une vie où l'on fait ce que l'on peut, la femme de NJ lui expliquera dans une scène émouvante, mais il sera même incapable de la réconforter. Il devait, à son tour, faire sa propre expérience.
Si j'ai été sensible à ce thème, ce n'est pas le seul et ce n'est pas la seule tonalité du film. Le fils de NJ, c'est Yang-yang, un petit garçon joué de façon assez extraordinaire par Jonathan Chang. NJ veut intéresser son fils à la photographie et l'enfant décide de s'en servir pour montrer aux gens ce qu'ils ne peuvent pas voir. Métaphore du cinéma certes, Yang-yang va donc photographier les nuques des gens pour leur révéler leur face cachée. Et ainsi, il leur rend leur unicité. Face visible / Face cachée, 1 + 1. Le pouvoir de l'image et du cinéma, encore une belle idée. Et puis le film est drôle. Pas toujours, le premier déclencheur est quand même la grand-mère qui fait une attaque et reste dans le coma. Mais le film possède l'humour du quotidien que l'on trouve chez des réalisateurs comme Ozu ou Kitano. Les scènes de l'école par exemple sont franchement hilarantes, comme le personnage du beau-frère (enfin, jusqu'à sa tentative de suicide !). Le rire, les larmes, l'amour, la mort, le mariage, les compromis, les rêves, la spiritualité, Yi-yi est un grand film sur l'humanité, une tranche de vie à Taïwan en 2000 qui touche à l'universel. Une tranche de vie, que Hitchcock m'excuse, qui vaut bien des tranches de gâteaux.
Le site du film
Belle critique sur le site de Philippe Serve
Le DVD