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Le dépeceur se renfrognait ensuite et s'apprêtait pour finir de baffrer. Auguste n’avait plus qu’à sécher sa larme et à ajouter la claque à la longue liste des crédits, il présenterait bien un jour la facture.
Auguste avait fini par classifier les claques qu’il recevait, il les jaugeait, le terme est impropre je sais, mais le mental du môme était comme le tonneau des danaïdes. Aussi appliquait il sa propre échelle, laquelle allait de la gifle qui effleurait donnant lieu à une « remise » c'est-à-dire à un nouvel essai qui lui était beaucoup plus percutant et généralement beaucoup plus. En passant par la baffe colèrique, celle longtemps retenue et finissant dans un swing proche du coup de poing, celle là était très douloureuse et laissait le môme à moitié groggy.
Au final, la plus terrible, c’était la claque du tennisman, genre reprise de volée, cette gifle venue de haut avec un ample élan qui atteignait toute la surface de la joue, bien à plat, la baffe qui marquait, celle qui laissait une empreinte de doigts sur la surface du visage. Cette dernière le gros porc ne l’utilisait pas souvent, normal, c’était la claque signée, que l’on avait ensuite du mal à justifier. Mais Auguste, une fois passé le stade de la douleur prenait un malin plaisir à l’arborer. Il s’était rendu compte qu’avec cet étendard il avait tendance à attendrir les gens, et cela le reconfortait car il pouvait partager son lourd secret et ceci sans dénoncer ce qui aurait amené des représailles qu’il n’osait imaginer... Je vous l’ai dit, le môme était intelligent, et tres fin psychologue pour son âge. C’est ce qui arrive souvent chez les gamins en souffrances, ils développent cet instinct que l’on dit de survie, un peu comme ces bestioles de Darwin face aux contraintes de la nature. Il savait qu’il devrait encaisser, mettre un mouchoir sur l’éventualité d’une compassion et devenir fort, toujours plus fort, c’était vital. Peut on avoir conscience de l’énergie nécessaire à ce bambin de quelques printemps ?
Ainsi lui vint l’idée de se trouver un allié…
Tous les quatre heure de l'après midi après goûter, sa mère, Simone, l'amenait au parc voisin où il pouvait jouer un peu, retrouver des gestes d’enfant et oublier un temps son supplice. Simone, elle, faisait des effets de jambes sur un banc en papotant avec les tourterelles du quartier. L’équarrisseur en sieste, ronflait sereinement en digérant sa côte de bœuf au vin rouge. Auguste jouait tout en affirmant sa quête.
Sur son bac à sable entouré des autres minots, tout en jouant, il dévisageait les gens.Il savait instinctivement que ce ne pourrait être une femme, bien sûr ce serait la première et la plus fortement émue si cela avait été possible.Mais une femme aurait fini par révéler à sa mère qu’il s’était confié à elle, ou tout du moins sa mère aurait fini par le savoir, et pour lui, de penser que sa génitrice capterait sa démarche était une vraie angoisse. Du silence de sa mère il avait déduit une complicité passive avec le boucher, oh bien sur il ne possédait pas ces mots, il ne possédait pas une forme de raisonnement alambiquée, non, comme un petit animal il ressentait les choses, ce petit bout d’homme.
Très peu d’hommes amenaient leur enfant au parc, et les rares présents étaient jeunes et concentrés sur les jeux de leur progéniture, il en éprouvait d’ailleurs une certaine jalousie, aussi loin qu’il remonte dans ses souvenirs son père ne l’y avait jamais accompagné. Pourquoi, trouvait il cela peu viril.. ? Préférait il passer son temps en sieste ou au café du commerce.. ? Et pourtant, comme il aurait aimé mettre sa petite main dans la main d’un homme et être conduit aux jeux comme les autres gamins, être un temps le centre du monde.
Comme avait coutume de dire le philosophe Otto Von Klhakzohn : « C’est dans les bacs à sable que se préparent les guerres du futur ». On y court parfois plus de risques que dans un conflit armé. La violence des enfants peut être aussi forte sinon plus que celle des adultes. Tous les actes criminels de demain y sont lisibles pour un regard avisé et s’ils avaient la possibilité de déclencher l’arme nucléaire il y a belle lurette que cela aurait été fait.
Auguste en fit l’expérience un Dimanche matin pour une histoire de pelle. Une compétition s’était instaurée entre lui et le fils du voisin du dessus, un bougnat bourru et barbu, le fils un certain Manu aussi mince qu’une ablette, mais gouailleur comme une hyène voulait étendre son empire. Le but du jeu était : lequel des deux finirait en premier le château du roi Arthur pour l’offrir en exposition aux passants du parc, genre le mien est plus beau que le tien. Tout aurait pu se passer sans vague si le Manu n’avait cassé sa pelle en plastique, une cochonnerie de chez Carrefour. Et comme le gamin ne voulait pas perdre et éviter d’assister en ladre au triomphe annoncé d’Auguste , il se mit en tête de lui piquer son outil de bâtisseur.
Bien des Ministres des Affaires Etrangères, bien des Ambassadeurs devraient prendre exemple sur les ruses des mômes lorsqu’ils se sont mis en tête d’obtenir quelque chose. Manu entama les négociations par la proposition d’offrir deux caramels mous contre un partage de la pelle. Auguste ressentit cela comme un danger pour lui de perdre une avance qu’il comptait bien pousser à son avantage par l’usage exclusif d’un bien qui après tout lui appartenait en propre.
Manu nuança alors, doigts dans le nez, en proposant deux pelletées chacun à tour de rôle contre le don de trois caramels mous. Auguste réfuta l’offre, mais bon Prince et dans le but de ménager son adversaire et peut être de voir jusqu’où l’autre pourrait aller, il lui proposa trois pelletées pour lui contre une à Manu et quatre caramels mous.
La proposition parut exorbitante aux yeux de Manu qui les roulait de plus en plus courroucé, c’était pratiquement un casus belli. Les négociations viraient au drame d’autant plus que leurs voix empruntaient le ton de la dispute.
Les mères pendant ce temps là s’étaient un peu éloignées, affairées à comparer les avantages du point de chaînette par rapport au point de tige et de l’épaisseur du tissu à broder. Ce qui on en conviendra présentait un intérêt certain quelques minutes avant une guerre.
Lorsque l’irrémédiable doit se produire il y a peu de chance qu’un évènement fortuit vienne changer le cours de l’histoire dirait Monsieur Voltaire, et ce jour là il ne se produisit pas. Manu se leva et décocha un vicieux coup de sandale dans la muraille du château d’Auguste, il en ouvrit une brèche atroce devant les yeux horrifiés de son évergète. Auguste ne tarda pas à se ressaisir et asséna lestement un violent coup de pelle sur le crâne du Manu qui eût pour conséquence la brisure nette du plastique.
Si le sang avait coulé à cet instant précis il y aurait eu fort à parier que les hostilités aient brutalement cessé, mais il n’en fut rien, le destin réclamait sa part de drame. Choqué par la violence de la riposte le petit nerveux banda ses œufs de caille qui lui servaient de muscle et se projeta sur la poitrine d’Auguste le déséquilibrant à l’occasion. Tous deux roulèrent dans le sable écrabouillant définitivement les demeures du Roi Arthur, funeste présage pour une funeste bataille.
On aurait cru deux chatons en furie tous poils hérissés, se roulant dans le sable, aucun ne lâchant prise, et ce dans un silence total, sans un cri, sans une plainte, enlacés dans une étreinte frénétique.
C’est alors que se produisit l’inespéré, l’impensable, et pourtant ce qu’Auguste avait désiré fortement jusqu’à ce jour. Alors qu’ils se trouvaient face à face, la rage au ventre, deux poignes vigoureuses les séparèrent brutalement en les saisissant par les cheveux, démêlant leur enlacement. Suspendus dans le vide, jambes gigotantes ils continuaient à faire des efforts pour se rejoindre en balançant des coups dans tous les sens.
Ce manège ne tarda pas à cesser, la douleur se faisant plus forte que la haine. Ils l’exprimèrent par des cris tout en levant des yeux implorants vers leur pacificateur. Attirées par les cris de leur progéniture les mères cessèrent leurs papotages et s’intéressèrent à la scène. Dans un premier temps ce fut la surprise, puis cet instant passé à la vue de leurs enfants suspendus dans le vide et n’en connaissant pas les causes elles se transformèrent en lionnes, et houspillèrent le malotru. Elles lui intimèrent l’ordre de relâcher leurs enfants, outrées qu’un étranger s’en prenne ainsi à leurs petits chéris.
Une fois les pieds sur terre Auguste put contempler à loisir l’arbitre de la bagarre. C’était un homme âgé, il n’avait pas connu ses grands pères, mais instinctivement il se les imagina ainsi, ou du moins celui du côté de sa mère, car à ce qu’il en savait le père du boucher était un homme colérique abonné à la dive bouteille.
P.S: toutes mes excuses contrites aux Maîtres Bouchers....