Le juge de paix,
Gros homme asthmatique,
Siège devant une table napée
D’un drap de feutre vert
Et qui empeste l’encaustique.
Flanqué de sa greffière,
Madame Calbiert,
Il parle lentement
En expectorant souvent.
Au fond de la pièce, des paysans
En blouses bleues, assis sur des bancs,
Casquettes posées sur les genoux.
Tous
Préparent mentalement
Des arguments
Pour leurs affaires. De l’autre côté,
Les plaideurs attendent d’être appelés.
La plaignante est normande,
La cinquantaine couperosée, grande,
Sèche et pointue.
Le prévenu
Est un pauvre hère de vingt-huit ans.
Elle et lui se lancent des regards méchants.
Lui est assisté par son père,
Fermier sans caractère
Et par sa femme, une chair à reproduction
Bonne à primer dans une compétition.
La dame, veuve, avait réservé
Le jeune dépravé
À ses plaisirs peu innocents.
En remerciement,
Elle lui avait donné quelques arpents.
Ainsi doté,
Il avait contracté
Mariage…et délaissé
La vieille, qui, exaspérée
Voulait récupérer son bien :
Le garçon ou le terrain.
Le juge venait d’écouter
La plainte avec perplexité.
Dans l’auditoire, personne ne plaisantait.
La cause était grave. Elle méritait
Réflexion. Pour répondre, le gars se leva.
Le juge l’interrogea :
-Pourquoi elle vous a doté
De ce terrain ? Qu’avez-vous fait
Pour le mériter ?
-Ces arpents, elle m’les a donnés.
C’ que j’ai fait, M’sieur l’juge de paix ?
Mais v’là douze ans qu’a m’sert de trainée.
A n’peut dire que ça
Valait pas ça !
L’assistance était toute ouïe.
-Ça valait bien ça ! Ah, ça oui !
Répétaient des voix convaincues.
Le père dit, jugeant le moment venu :
-Croyez-vous que j’y aurais donné l’éfant
Dès s’nage de seize ans
Si j’avions point compté sur d’la reconnaissance ?
À son tour, la jeune femme
S’avança avec véhémence
Et pointant du doigt la vielle dame :
-Mais guettez-la, guettez-la
Si on peut dire qu’ça valait pas ça !
Le juge considéra la vieille longuement,
Consulta sa greffière un instant
Et conclut que ça
Valait bien ça.
La plaignante, il la renvoya.
L’assistance approuva.