A l'heure de la primaire socialiste des 9 et 16 octobre, revenons sur une étude publiée en avril dernier dans Current Biology.
Depuis des années, les psychologues et sociologues s'interrogent sur l'origine de nos orientations politiques : facteurs psychologiques ? Environnementaux ? Génétiques ? Afin de rechercher une éventuelle corrélation avec l'anatomie cérébrale, Ryota Kanai et son équipe ont fait passer des IRM à 90 volontaires. Résultat, la morphologie de notre cerveau reflèterait bien nos opinions. Mais est-ce le ressenti politique qui façonne notre cerveau, ou bien est-on plutôt conservateur ou progressiste en fonction de la taille de telle ou telle aire cérébrale ? "Qu'on soit de droite ou qu'on soit de gauche, on est toujours hémiplégique", disait le philosophe et sociologue français Raymond Aron... "qui était de droite", avait rajouté, facétieusement, l'humoriste Pierre Desproges. En effet, même si l'on s'affiche centriste, nos opinions politiques sont souvent assez marquées, ce qui se retrouve au niveau cérébral.
Evaluation des opinions politiques sur une échelle de 1 à 5 : Les chercheurs de l'Institut londoniens de neurosciences cognitives ont donc tout d'abord interrogé sur leurs orientations politiques 90 étudiants londoniens en bonne santé (23 ans en moyenne, 61 % de femmes). Concrètement, ils leur ont présenté une échelle à 5 points, déjà utilisée dans des études précédentes, sur laquelle ils devaient cocher la valeur qui leur correspondait le plus : 1 : Très libéral, au sens anglo-saxon du terme (le terme libéral, pour les Anglais, se rapproche du progressisme, conciliant liberté économique et libéralisme culturel, sociétal. Il n'y a pas vraiment d'équivalent en France, du moins sous la forme d'un parti politique, même si certains socialistes se disent inspirés par la social-démocratie à l'anglaise, ainsi que certains militants du parti de droite Démocratie Libérale) 2 - Libéral 3 - Centriste ("middle-of-the-road") 4 - Conservateur : (le conservatisme anglo-saxon repose sur le traditionalisme, la religion, la lutte contre l'avortement et certains aspects de la modernité. En France, cela correspondrait à une partie de la droite dite "conservatrice", mais aussi de la gauche, voire de l'extrême-gauche) 5 - Très conservateur : Cette échelle, en apparence très simple, prédit de manière précise les votes des individus, comme cela a pu être vérifié au cours de précédentes recherches et suivis.
Une anatomie cérébrale qui varie en fonction des opinions
Ces étudiants ont passé des IRM cérébrales spéciales (IRM morphométrique reflétant le fonctionnement du cerveau). Les chercheurs ont focalisé leurs mesures sur 3 régions particulières : - Le cortex cingulaire antérieur, situé à l'avant du cerveau. Cette zone régulant la gestion du conflit, de l'incertitude apparaît plus volumineuse chez les étudiants se disant les plus libéraux. - L'amygdale cérébrale droite, située dans la région temporale du cerveau. Cette structure, qui gère notamment la peur, est davantage développée chez les sujets les plus conservateurs. - L'insula, ou cortex insulaire, dont le rôle est encore mal connu mais qui serait impliquée dans la sensation de dégoût. Elle est également plus volumineuse chez les étudiants conservateurs.
Ces fonctions particulières semblent correspondre à certains traits psychologiques des libéraux et conservateurs, comme l'ont confirmé plusieurs études.
Des liens entre la personnalité, l'opinion et l'IRM cérébrale
Il est étonnant de voir à quel point les données des études psychologiques se trouvent corroborés par l'imagerie : - Les conservateurs sont plus sensibles à la menace et l'anxiété liée à l'incertitude, selon plusieurs études, or leur aire cérébrale de la peur est plus développée. De même, ils sont davantage sensibles au dégoût (en particulier suscité par des questions morales), selon une étude parue en 2008, sensibilité particulière retrouvée au niveau du volume de l'insula. - Quant aux libéraux, ils sont décrits comme davantage ouverts au changement. Or ils présentent un cortex cingulaire antérieur plus volumineux, ce qui pourrait traduire une capacité plus importante à accepter et gérer l'incertitude et les conflits liés au changement, pilier du libéralisme à l'anglo-saxonne.
Le cerveau guide l'opinion... à moins que cela soit l'inverse !
Est-ce le cerveau qui influence l'opinion, ou l'inverse, au-delà du fait que ces résultats sont seulement indicatifs et nécessitent bien sûr d'être affinés, mis en perspective avec d'autres facteurs (par exemple l'âge, l'hérédité, l'éducation parentale, l'environnement sociétal de notre enfance) ? Est-on davantage enclin à la peur et au conservatisme parce que l'on a un cerveau façonné de cette façon ? Ou est-ce parce que nous maîtrisons mal nos angoisses que nous avons une grosse amygdale cérébrale ? On en revient à une des questions fondamentales posée depuis des siècles : l'Esprit précède-t-il le Corps (donc le cerveau), ou l'inverse ? Et si l'Esprit et le Corps humains étaient tout simplement indissociables, formant un tout complexe qui évolue, au sens large du terme, en fonction des différentes interactions (biologiques, génomiques, sociales, environnementales, etc.) ? Auquel cas, le cerveau, le vote et les traits de personnalité seraient simplement trois miroirs de notre Etre évoluant simultanément...
Pour tenter d'en savoir plus, il faudrait dans l'idéal mettre en place une étude de suivi sur plusieurs années. En effet, les opinions politiques fluctuent, donc il faudrait faire des IRM régulières pour savoir si le changement cérébral précède, suit ou survient en même temps que le changement d'opinion...
En attendant cette hypothétique étude, ces travaux anglais, publiés dans la revue Current Biology, démontrent que les tendances psychologiques liées aux opinions politiques se retrouvent dans l'anatomie du cerveau (corrélation dans 3 cas sur 4 environ, ce qui est une corrélation forte). Il y aurait donc une plasticité cérébrale liée aux opinions politiques, comme il existe une adaptation du cerveau, par exemple, au bilinguisme. Une découverte qui ouvre des perspectives de recherche importantes sur les facteurs psychologiques influençant le modelage du cerveau humain, et sur l'interprétation de tel ou tel aspect du cerveau...
Pour aller plus loin : Articles source : ici, ici, ici, ici et là.
- "Political Orientations Are Correlated with Brain Structure in Young Adults", Kanai R et coll., Current Biology, avril 2011, résumé accessible en ligne - "Conflict monitoring versus selection-for-action in anterior cingulate cortex", Botvinick M et coll., Nature, août 1999, résumé accessible en ligne - "Fear and the human amygdala", Adolphs R et coll., The Journal of Neurosciences, septembre 1995, résumé accessible en ligne - "Both of us disgusted in My insula : the common neural basis of seeing and feeling disgust", Wickers B et coll., Neuron, octobre 2003, résumé accessible en ligne - "Conservatives are more easily disgusted than liberals Cognition & Emotion", Inbar Y et coll., Cognition & Emotion, juillet 2008, résumé accessible en ligne - "Are Needs to Manage Uncertainty and Threat Associated With Political Conservatism or Ideological Extremity ?", John T. Jost, Personality and social psychology Bulletin, juillet 2007, résumé accessible en ligne.