Philippe Germond (PDG du PMU) peut se réjouir, la société qu’il dirige dépassera les 10 milliards d’euros cette année, si la tendance observée se poursuit.
-Il faut dire que le pari mutuel urbain - 11 000 points de vente - a considérablement augmenté son offre. Pas moins de 1044 réunions hippiques en 2011, contre 978 l’année précédente. Dans la course événement l’argent joué se répartit entre 12 jeux différents : quinté, quarté, tiercé, multi, 2sur 4, simple gagnant et placé, couplé gagnant et placé, couplé ordre , trio, trio ordre ! Faites vos jeux, rien ne va plus, ça commence à faire beaucoup. A tel point que certains tirent la sonnette d’alarme, comme Eric Hintermann, Pdt de l’association nationale des turfistes (ANT) : «le turfiste ne sait plus sur quel cheval jouer, ni sur quelle réunion miser» (1)
-Il faut préciser également que le PMU (deuxième opérateur mondial de paris hippiques) offre des pactoles dignes de Crésus. La cagnotte du Quinté Plus atteint actuellement 10,5 millions d’euros et elle augmente de 100 à 150 000 euros tous les jours. Ce cercle vertueux du big win stimule les turfistes et également les néophytes qui grâce à la formule Spot à 2 euros peuvent connaître les frissons du jeu sans rien connaître au monde de cheval. Cette croissance (+6,4%) est d’autant plus spectaculaire qu’elle se réalise tous canaux confondus et que le réseau des nombreux point de vente n’est pas en reste ( +4,2%).
-Le problème (social, politique…) c’est que cette croissance – P. Germond parle de « vraie dynamique – se fait sur fond de crise économique accrue. Ce « jouer plus pour gagner plus » déjà exploité avec succès par Christophe Blanchard-Dignac ( PDG de la Française des jeux) risque à terme de court-circuiter le désormais célèbre slogan présidentielle basé lui sur le labeur («travailler plus pour gagner plus»). Le problème c’est que cette offre qui augmente sans cesse, notamment du coté des deux opérateurs historiques, peut être objectivement considérée comme une incitation au jeu accru, en contradiction avec la politique de jeu responsable prônée par ailleurs par les pouvoirs publics. La clause de revoyure et la publication prochaine du rapport Trucy doit être l’occasion de relancer le débat sur l’économie des jeux dans son ensemble pour savoir si l’offre de jeux doit être totalement libre dans une économie de marché ou si elle doit être régulée et de quelle manière.
En attendant le PMU fait ses comptes et ils sont bons notamment en matière de jeux en ligne. La barre du milliard d’euros est déjà dépassée (2) . La croissance est de 42% pour les paris sportifs et de 23 % pour le poker. Si tout reste à faire en matière de sociologie des joueurs en ligne les statistiques de l’Arjel (3) permettent de dresser le profil sommaire des turfistes et d’apprécier le poids que représentent les courses dans les jeux d’argent sur internet.
Les paris hippiques arrivent en deuxième position du gambling virtuel, loin derrière le poker cependant. Mise moyenne hebdomadaire des turfistes 125 euros, contre 110 euros pour les paris sportifs, 80 pour le poker. C’est un succès pour le monde des courses et la filière cheval. La progression du nombre de comptes joueurs turfistes actifs dessine une courbe ascendante, régulière et progressive. On reconnaît là, la constance du turfiste qui, quand il s’engage dans son «travail ludique» (faire son papier, spectacle des courses, parier…), le fait dans la durée. Même si un plus haut semble avoir été atteint en février 2011 rien n’indique que la légère décroissance observable depuis perdurera. Habitué depuis des lustres à jouer par minitel, téléphone, télé interactive… , de nombreux turfistes ont trouvé naturellement le chemin de l’internet ludique. La montée progressive de la courbe du nombre de compte joueurs actifs paris hippiques, soulignent en final leur passion assumée pour le turf. Il suffit d’ouvrir une fois Paris Turf et désormais Geny Courses, pour comprendre quel labyrinthe ludique elles constituent.
L’indicateur de supervision du régulateur permet également de dresser une « typologie sociologique sommaire » des turfistes en fonction de leurs caractéristiques (âge, genre) et vis à vis des autres gamblers en ligne :
+La population qui joue aux paris sportifs en ligne apparaît nettement plus jeune (70 % ont moins de 35 ans dont 41% de 18-20) que celles des turfistes (26 % seulement ont moins de 35 ans) . (voir tableau A ci dessous) A contrario en toute logique les turfistes sont essentiellement des adultes matures (74% de 35 ans et plus) dont une population de 65 ans et plus non négligeable (9%) Les joueurs les plus âgés (55 ans et plus) qui s’adonnent au gambling sur internet, pèsent pour 27% en matière de paris hippique, alors qu’ils relèvent de l’épiphénomène pour le poker et les paris sportifs : 4%, dont 1% seulement pour les plus de 65 ans.
+Les paris hippiques ( y compris quand ils s’exercent via le web) semblent conserver l’image d’un jeu réservé à une population mature, à des initiés qui ont accumulé expériences, connaissances et compétences en matière de turf au cours de leur «carrière» de joueurs, et notamment les 35-54 ans. (47%) Si elle possède un revers de médaille ( les jeunes adultes sont peu attirés par les paris hippiques y compris quand ils s’exercent en ligne: 9%), cette image a l’énorme avantage d’attirer également une forte population de seniors - les 55 ans et plus - qui ne semble pas effrayer par la modernité des paris hippiques sur internet, alors que cette même catégorie fuit pour l’instant d’une manière assez radicale le poker et les paris sportifs on line. Le fait que les populations turfistes soient plus âgées que les autres populations joueuses, ne signifie donc pas qu’elle soient rétrogrades en matière d’évolution technologique. En final les paris hippiques – un jeu qui a une longue histoire – semblent posséder une base économique, financière, culturelle, sociologique plus solide que les paris sportifs, activité ludique relativement récente qui a connu de nombreux soubresauts quand la Française des jeux a commencé à les exploiter. Cette base structurelle bien ancrée dans la culture populaire, expliquerait «l’homogénéité progressive tranquille de la courbe des comptes joueurs actifs hippiques», alors que celle des paris sportifs constitue une succession de montagnes russes… qui donne mal au cœur à certains opérateurs, au point que certains ont déjà jeté l’éponge.(TF1/Eurosportbet)
+Le genre apparaît comme une variable très discriminante pour les jeux en ligne. Les jeux d’argent en ligne sont très majoritairement pratiqués par les hommes (88%) La gente féminine participe très peu pour l’instant au gambling virtuel (12 %). Elle est nettement sous représentée, par rapport au poids qu’elle occupe dans la société française (51,4%).
+Pour les paris hippiques même si la tendance globale est similaire (81% d’hommes) (tableau B ci dessous) le «deuxième sexe» apparait largement représenté (19% de femmes). Si le monde du cheval, la filière et pout tout dire le PMU (qui bataille depuis des années sur ces deux questions : âge et genre) ne semble pas avoir complètement réussi à rajeunir sa clientèle pour atteindre «l’identité d’une marque populaire transgénérationnelle» (Confer Benoit Cornu directeur de la communication du PMU) ( 4) il semble par contre avoir réussi le pari de la féminiser davantage. Ces chiffres reflètent cette féminisation accrue, qui profite à l’ensemble des opérateurs hippiques et pas seulement au PMU. Traditionnellement associé au Bar PMU, univers masculin populaire de riches sociabilités interlopes mais aussi de fortes promiscuités longtemps enfumés et parfois alcoolisées, les paris hippiques à domicile sur internet ont visiblement attiré les femmes, davantage en tout cas que le poker et les paris sportifs virtuels.
+La dernière information donnée par l’indicateur de supervision concerne «l’argent du jeu», la distribution des mises engagées par joueur. L’enseignement principal de ces données apparaît assez remarquable: 76 % des mises sont jouées par 10 % seulement des joueurs, aussi bien pour le poker que pour les paris sportifs. Plus spectaculaire encore : 1% des joueurs génèrent 51 % des mises pour ces deux types de jeu. Même réduite à cette dichotomie primaire et binaire fournie par le régulateur, l’information apparaît importante. Le marché des paris en ligne - au niveau de l’argent joué – apparaît extrêmement concentré.
Un calcul secondaire permet de connaître la moyenne jouée «par trimestre» en prenant la base de « plus ou moins 1OO euros » pour les paris sportifs, hippiques et les tournois de poker. Deux catégories se dégagent:
- une première catégorie de joueurs composée de deux populations. Une population majoritaire (entre 61 et 70%) qui joue moins de 1OO euros par trimestre, une deuxième population non négligeable (de 35 à 39 %) qui engagent 100 euros et plus dans les paris sportifs ou dans les tournois de poker
- une deuxième catégorie qui à l’inverse est composée d’une population de turfistes en ligne qui jouent majoritairement (54%) plus de 100 euros par trimestre
Ces quelques éléments d’analyse, loin d’être exhaustifs, confirment qu’une sociologie du gambling virtuel est nécessaire. Elle informerait objectivement les différents acteurs du champ et éviterait bien des instrumentalisations. Il convient une nouvelle fois de rappeler aux pouvoirs publics que c’est à l’ARJEL et Observatoire des jeux (ODJ) de réaliser ce travail de recherche et sans doute pas à l’Observatoire de lutte contre la toxicomanie, ou à la doxa du jeu pathologie en conflits d’interets dans cette affaire. Charles et les 6,5 millions de turfistes ne comprendraient pas que le Pouvoir (5), qui cherche plus que jamais à se rapprocher du peuple et à le représenter, assimile leurs passions ordinaires (6) pour le jeu et ici pour les courses, à une drogue.
© Jean-Pierre G. Martignoni-Hutin, sociologue, Lyon, France, octobre 2011, 185.
Note sur le titre «VA COMPRENDRE CHARLES !» : Phrase célèbre d’André Pousse (décèdé en 2005) comédien qui symbolisait bien le coté populaire du monde des courses. Phrase prononcée par André Pousse en réponse à Guy Marchand dans une publicité pour le Pari Mutuel Urbain des années 1990. Le slogan de cette publicité était « Avec le PMU, aujourd'hui on joue comme on aime », et ces acteurs français (incarnant des parieurs chevronnés) s'étonnaient que les nouveaux joueurs gagnent, alors que ces derniers basaient leurs jeux sur le nom des chevaux, leurs dates de naissances et autres détails sans rapport avec la course. Dans la publicité télévisée, elles jouent au hasard, (…), les hommes sont sur l’hippodrome et se gaussent gentiment des femmes qui jouent leur date de naissance mais gagnent néanmoins : va comprendre Charles ! — (Jean-Pierre Martignoni-Hutin, Faites vos jeux : essai sociologique sur le joueur et l’attitude ludique, L’Harmattan1993, p.159)
Notes
- Isabelle Toussaint : «hippisme trop de courses tue les courses ?» ( Dépêche APF du 12 mars 2011)
- Christophe Palierse , Le PMU dépasse le milliard sur internet» (Les Echos du 6 octobre 2011)
- «Indicateurs de supervision : données trimestrielles» ( Arjel, 11 avril 2011, 8 pages)
- «Benoit Cornu, l’ouverture des paris en ligne a crée pour le PMU une opportunité de renouvellement « ( Igamingfrance.com , 20/IO/2010)
- A paraitre en novembre dans la revue Pouvoirs : JP Martignoni : «Une sociologie du gambling contemporain» ( Pouvoirs n°139, Les jeux d’argent, novembre 2011, 51-64)
- A lire ou à relire: C. Bromberger, Passions ordinaires, Bayard Editions, 1998, JP Martignoni : “Jeux, joueurs, espaces de jeu: le Course par Course du P.M.U.“ (Ethnologie Française n° 4, octobre, décembre 1992, 472-489) JP Martignoni : Le Turfiste (Les Cahiers de l'Imaginaire n°9, 1993, 59-90) JP Martignoni : «Jeux, joueurs, espaces de jeu : l'exemple des paris hippiques» (Migrants Formation n°96, Mars 1994, 103-116)