L’Europe a poussé un soupir de soulagement après le vote du plan de sauvetage de la zone euro par le parlement allemand, le 29 septembre. In Eco Veritas s’est entretenu avec le professeur Peter Altmiks, chercheur pour le think tank allemand Friedrich-Neumann Stiftung, pour dresser un état des lieux de la crise de l’euro.
Un entretien avec Peter Altmiks(*), de la fondation Friedrich-Neuman Stiftung, recueilli par In Eco Veritas.
Peter Altmiks : La situation est critique, il faut toutefois faire la différence entre la valeur extérieure de l’euro et l’endettement des États en Europe. La valeur extérieur de l’euro est pour le moment relativement stable, mais nous avons une crise des dettes souveraines. Il y a quatre Etats principaux qui sont en difficulté : Espagne, Italie, Grèce, Portugal.
IEV : Vous ne citez pas l’Irlande qui a pourtant connu une crise violente voilà quelques mois. Ce pays est donc hors de danger selon vous ?
PA : L’Irlande n’est pas dans la même situation. Le pays a connu une crise de ses banques, mais il a pris les mesures appropriées. L’Irlande a rééquilibré son budget, elle a retrouvé le chemin de la croissance et a épuré la crise des banques. Si l’Irlande devait être aidée, cela ne serait pas du fait de sa dette. Il y a de fortes chances, aujourd’hui, pour qu’une restructuration de la dette grecque ait lieu. C’est quelque chose qui sera difficile à éviter et les marchés se préparent déjà à cet événement. La plupart des économistes plaident en faveur d’un mécanisme temporaire de sauvetage pour la Grèce au sein de l’Union européenne. Or, en l’état actuel des choses, un tel transfert risquerait d’être instauré de façon permanente, ce qui constituerait une violation du traité de Lisbonne, du traité de Maastricht, ainsi que des statuts de la Banque centrale européenne.
IEV : Quel est le sentiment des Allemands concernant l’euro aujourd’hui ?
PA : Les Allemands n’ont pas oublié le Deutsche Mark. Le gouvernement fédéral a consenti à l’introduction de l’euro, en échange de la promesse d’une monnaie stable. Bien sûr, un certain nombre de dispositions inscrites dans les traités devaient garantir cette stabilité. Et surtout, les États-membres ne devaient pas porter la responsabilité de l’endettement des autres membres. Aujourd’hui, les Allemands sont déçus, parce qu’ils doivent supporter le poids des dettes et des politiques dispendieuses des autres États. Ils se sentent trahis par les promesses de l’Union monétaire européenne et ils ont le sentiment que les Etats du sud n’ont pas adapté leurs finances et leurs politiques économiques en vue de soutenir l’Euro.
IEV : Ne pensez-vous pas cependant que Philipp Rösler, ministre allemand de l’Économie, a fait preuve d’irresponsabilité la semaine dernière en déclarant publiquement que tous les scénarios doivent être envisagés concernant la Grèce, y compris une faillite ou une sortie ?
PA : On ne peut pas exclure une faillite. Et si Rösler envisageait une faillite ordonnée, ce serait quelque chose de tout à fait approprié. Par exemple, une faillite ordonnée sur le modèle d’une procédure de chapitre onze aux États-Unis pourrait être une solution. La Banque centrale européenne a garanti 130 milliards d’euros d’obligations d’État. En cas de faillite, nous estimons que cette somme pourrait fondre de 50%, soit autour de 60 milliards. L’Allemagne participe à hauteur de 27%, et il n’est pas exclu que ce pourcentage augmente si certains pays rencontrent des difficultés à tenir leurs engagements. Une hausse du coût du sauvetage de ces pays constitue un danger réel. Normalement, l’État grec devrait emprunter à des taux de 9% ou plus, ce qui correspond au risque réel de non remboursement de sa dette. Or quand la Grèce emprunte à des taux de 2 ou 3%, cela n’est pas tenable. Ce genre de taux n’est valable que pour des États jouissant d’une bonne réputation, un budget équilibré et d’un faible niveau d’endettement. Si la Grèce venait à se déclarer en faillite, il faudrait réfléchir à comment procéder. De plus, il faudrait prévoir des effets collatéraux qui ne manqueraient pas de toucher les banques. Il y aurait également des effets secondaires qui pourraient concerner les États : baisse de l’activité économique, baisse du pouvoir d’achat. Quant à la solution d’une sortie temporaire de la Grèce hors de la zone euro, elle reste possible, le temps que le pays restructure sa dette, mais cela semble difficile à mettre en place.
IEV : Pensez-vous que cette solution sera acceptée par les grecs ?
PA : L’Argentine a fait faillite, la Russie a fait faillite. Les effets d’une telle situation sont bien connus dans ces pays. Pendant les derniers siècles, l’État allemand lui-même s’est trouvé plusieurs fois en faillite. Les pays peuvent se relever de tels processus, mais ils doivent pour cela accepter un certain nombre de sacrifices pendant une période donnée. C’est ce qu’a fait notamment l’Argentine en réduisant son endettement de 70% par un mécanisme de restructuration financière. La Grèce n’est pas dans la même situation mais une telle coupe serait nécessaire. Il est clair qu’une faillite de l’État grec mènerait à des perturbations. La croissance et les revenus fiscaux vont diminuer, et les dépenses sociales liées au chômage vont augmenter. A court terme, le pays aurait à faire face à ces problèmes. Et il y aurait un risque élevé sur les banques. Mais certaines question devraient être posées : quelles sont les conséquences d’une restructuration ou d’une faillite pour un État. Doit-on rester dans l’Union monétaire ou doit-on en sortir ? La zone euro aurait la possibilité de sortir de la crise avec un plan prenant en compte de tels hypothèses. La Grèce, quant à elle, aurait une chance de redevenir compétitive. Mais la tâche s’annonce difficile.
IEV : Une sortie de la Grèce est-elle souhaitable ?
PA : Ce serait dangereux. Mais nous savons que les marchés anticipent cet événement. C’est une question difficile, il faut donc nous y préparer également. Il faut peut-être travailler à un plan par étape.
IEV : Et ne pensez-vous pas que la mise en place des eurobonds pourrait permettre de mettre d’éviter une telle issue ?
PA : Ce serait une catastrophe. Les eurobonds seraient l’acte final d’une Union de transferts. Les eurobonds permettraient de regrouper la dette des pays affaiblies sur celle des États économiquement forts : Allemagne, Pays-Bas et également la France. Ces pays auraient à porter un fardeau insoutenable pour financer cette mutualisation. Les eurobonds ne sont pas une solution, quelle que soit l’horizon que l’on vise. Les eurobonds sont comme une drogue, qui détruiraient le dernier rempart que l’on a voulu préserver. Et si l’on instaurait ce dispositif, il ne serait plus possible d’en sortir. Dans 10 ans, tous les États seraient surendettés, plus ou moins selon les pays. Et cela signifierait de l’inflation, de mauvaises perspectives de croissance et une perte de prospérité pour les États les plus riches. Tels seraient les effets des eurobonds : nous renoncerions à la prospérité.
IEV : L’Allemagne donne parfois l’impression de participer à contre-cœur au processus de sauvetage de la zone euro. Ne fait-elle pas preuve d’égoïsme vis-à-vis des ses partenaires ?
PA : Cette idée est absolument fausse. Il ne faut pas oublier que l’Allemagne a renoncé à une monnaie stable et efficace contre des conditions qui ont toutes été contournées et ignorées par les États-membres. Et pour cela, l’Allemagne est obligée de payer. Comment peut-on dire que l’Allemagne est égoïste ? Il y a un mécanisme de l’endettement quoi qu’il arrive. Certains États, comme la Grèce, ont profité des avantages de la monnaie unique, tout en s’endettant à des niveaux extrêmes. L’Allemagne est qualifiée d’égoïste, alors même que l’Allemagne soutient l’Europe. Pouvez-vous imaginer une zone euro sans l’Allemagne ? Du reste, il est tout à fait possible de travailler ensemble à une intégration européenne sans avoir de monnaie commune. Cela fonctionne. L’absence de monnaie européenne avant les années 2000 n’a pas empêché la fondation d’un marché commun, une harmonisation de ses règles et des dispositions politiques communes. L’Europe s’est développée aussi sans monnaie. Cela fonctionne. Mais quand les États sont aussi différents et surtout se développent dans des directions aussi divergentes, cela pose nécessairement des problèmes.
IEV : Quelles solutions proposez-vous désormais pour permettre à la zone euro de sortir de la crise ?
PA : L’essentiel concerne la réduction du déficit et l’équilibre du budget. Il n’y a pas d’attaque des marchés. S’il n’y avait pas d’endettement, les États ne seraient pas dans une tempête telle que celle que nous connaissons aujourd’hui. Et les marchés ne pourraient rien contre des pays prospères. Le mécanisme de sauvetage doit être limité. Il doit rester temporaire. Les actions du pacte de stabilité doivent rester automatiques. Elles ne doivent pas faire l’objet de modifications successives. La Banque centrale doit à nouveau se concentrer sur la stabilité des prix et cesser de renflouer les États surendettés. Ce que je peux conseiller aux pays européens, c’est de libéraliser le marché du travail à un niveau communautaire. Cela serait plus que judicieux. Les marchés des biens sont d’ores et déjà libéralisés, les marchés de capitaux également, mais ce n’est pas encore fait pour le marché du travail. Et il est essentiel, lorsque l’on veut fonder une union monétaire d’avoir un marché commun du travail le plus libéré possible de ses contraintes. En revanche, l’Europe n’a pas besoin d’une harmonisation ou d’une convergence fiscale. Cela serait catastrophique. D’abord parce que la fiscalité est l’un des éléments essentiels de la souveraineté nationale, d’autre part parce que les situations fiscales sont très différentes selon les pays. Il y a des États qui privilégient les impôts indirects, d’autres qui mettent l’accent sur les prélèvements directs. Par exemple, quoi de commun entre la France et la Slovaquie ? La Slovaquie a réalisé une importante réforme fiscale depuis une quinzaine d’années, en mettant en place un système d’impôts très simple qui constitue un authentique succès. Le pays a instauré une flat tax, un système de prélèvement simple et transparent, qui a permis une excellente croissance de sa situation économique. Chaque pays doit rester libre de faire ses propres choix en la matière.
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(*) Peter Altmiks est analyste-chercheur au sein de la fondation Friedrich-Neuman Stiftung, basée à Potsdam en Allemagne. Spécialiste des questions économiques et financières, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la monnaie et la zone européenne, dont « La monnaie optimale pour l’Europe ? Bienfaits et méfaits de l’euro » (2011).
Un entretien avec Peter Altmiks, de la fondation Friedrich-Neuman Stiftung, recueilli par In Eco Veritas.