Rappelez-vous, il y a trois ans, moyennant six petits milliards d’aide publique, Dexia était « sau-vée ». Trois ans après, on ne sait pas combien la débâcle de la banque franco-belge va ajouter aux dettes supportées in fine par les contribuables. Et pourtant, en juillet, Dexia réussissait haut la main les soi-disant « stress tests ». Tout ce qui nous a été annoncé par nos gouvernements depuis trois ans se révèle immanquablement marqué du sceau de l’échec, alors que des solutions existent. La mince consolation, c’est que « je vous l’avais bien dit ».
Par Vincent Bénard
Flashback
En 2008, Dexia est en quasi faillite. Les États franco-belges injectent 6,4 milliards d’euros pompés à crédit sur leurs contribuables, et 150 milliards de garanties diverses. Ils nous annoncent tout fiérots que Dexia est sauvée, que les collectivités auront toujours leur banque de prêts, que la reprise va revenir, que tout va bien.
« Zéro Stress »
Juillet 2011 : Dexia réussit les « stress test » – Zéro stress, tout va bien.
Octobre 2011 : Dexia est en faillite. La blague du moment : « Dexia, la banque qui a tout raté, sauf les stress tests ! »
Malgré plus de 70 milliards de cessions d’actifs entre 2008 et 2010 – une bonne action du management, mais totalement insuffisante par rapport aux pertes sur les investissements accumulées pendant les années bulle -, le bilan est encore gorgé de 120 milliards d’actifs de qualité dégradée, selon la presse, pour 577 milliards de bilan total au 31/12/2010. Avec 12 milliards de fonds propres (cf. rapport Dexia 2010, PDF) pour 577 milliards de bilan à cette date, personne n’a trouvé que le niveau des fonds propres (2,11%) risquait d’être insuffisant en cas d’incertitudes sur certaines classes d’actifs. Et les « stress testeurs » ont trouvé la banque en pleine forme.
Incompétents ou menteurs ?
Rappelons une fois encore qu’en 2008, les gouvernants nous ont fait croire que 6 milliards suffiraient à sauver une banque qui avait 120 milliards de cadavres potentiels dans son bilan. Ils nous ont juré, la main sur le cœur, que le contribuable, à long terme, ferait une bonne affaire, que dès que la confiance serait revenue sur les marchés, les 6 milliards de participation en vaudraient bien plus.
Eh bien, aujourd’hui, ils affirment qu’à long terme, les actifs pourris qui seront placés dans une structure de « défaisance » retrouveront des couleurs et que le contribuable ne sera pas lésé. Pensez donc… 92% des placements cantonnés dans la « bad bank » sont « investment grade », c’est-à-dire éligibles au portefeuille des institutions les plus réglementées. À peine 10 milliards de pertes tout de suite, et à terme, on vous le dit, l’État fe-ra-des-bé-né-fices.
Un peu comme les 6 milliards d’il y a trois ans, quoi… Qui en valent, aujourd’hui, euh…
Mais « ayez confiaaaance », l’État contrôle la situation. Mais non, il n’a pas fait preuve d’incompétence crasse en 2008. C’est juste que… euh… Ah oui, « les conditions ont changé, l’économie n’est plus la même »… Effectivement, le pourcentage des dettes publiques a explosé un peu partout. Nos politiciens sont-ils seulement des incompétents adeptes de l’auto-persuasion, ou pire ? Comment peuvent-ils dire que « l’économie a changé » sans admettre qu’ils en sont la cause directe ?
Les créanciers doivent manger leur chapeau
Notre ministre des finances (avec son collègue Belge, M. Reynders) a claironné que tant les créanciers que les déposants de Dexia seraient garantis. Là, je pouffe, ou je hurle, selon mon humeur. Car à de tels niveaux de pertes, il est évident que, sauf intervention du con-tribuable, les deux ne peuvent être garantis. L’État va donc augmenter notre dette de quelques milliards, et plus probablement quelques dizaines, pour renflouer Dexia… au lieu de forcer une recapitalisation par « debt to equity swap », ou encore de liquider la banque selon la méthode « serbe ».
Car, oui, au risque d’avoir l’air de me répéter, des solutions existent, qui permettent de solder les comptes des mauvaises banques sans accomplir d’acte contre-naturel vis-à-vis du séant des contribuables.
Dans le cas de l’échange « dette contre capital », (expliqué ici, ici et sur Objectif Eco), la banque est recapitalisée par les créanciers, qui voient leurs créances converties en actions. Si la rupture de flux financiers induits par le « swap » met à son tour en faillite le créancier (on ne sait jamais), on lui applique le traitement, et ainsi de suite.
Dans le second (méthode « Dinkic »), la banque est liquidée, la vente des actifs garantit les dépôts, qui sont transférés vers d’autres banques au choix des déposants, la banque centrale assurant la liquidité (mais pas la solvabilité) pendant la période transitoire de 6 mois. Mais les créanciers, eux, ne touchent que le reliquat de la liquidation, si reliquat il y a. Deux grandes banques (à l’échelle du pays) serbes et une grande banque Slovaque furent liquidées ainsi au tournant du millénaire, sans panique, sans effet domino ou crise systémique.
Outre qu’il est immoral que des créanciers qui ont pris de mauvaises décisions d’investissement soient sauvés par des contribuables qui n’y sont pour rien - mais la morale, de nos jours, aucun politicien ne sait ce que c’est ! -, sauver les banques en endettant les États est la pire des façons d’utiliser l’épargne des français : l’argent ainsi pris aux forces vives de la nation manque cruellement pour fournir de la ressource financière aux entreprises nouvelles ou moyennes, celles dont la capacité d’innovation pourrait apporter aux économies les gains de productivité dont elle a besoin pour surmonter sa montagne de dettes.
Ultime preuve d’incompétence
Ceux qui ont juré que le sauvetage des banques en 2008 était indispensable nous ont affirmé que cela était le seul moyen de faire en sorte que les banques continuent de prêter. C’était la condition indispensable, nous disaient-ils, pour éviter un « credit crunch ».
Hélas, trois ans après, et comme je l’avais expliqué à l’époque (par exemple ici – ou encore là), le crédit aux PME se tarit : Europstat, cité par contrepoints, nous apprend que dans 19 pays sur 20, le pourcentage de prêts refusés aux PME ou de prêts seulement partiellement octroyés est en hausse parfois sensible. Pas étonnant : les banques ont engrangé des pertes, leurs fonds propres sont impactés négativement, et donc elles doivent impérativement réduire leur effet de levier, et ce, aussi bien du fait des normes Bâle III que du simple bon sens.
Une fois de plus, les milliards du contribuable n’ont pas amené les effets que nos gouvernants avaient annoncé. Alors quand ils parlent de « trouver une solution », vous les croyez encore ?
Dexia fois 21 égale ???
Mais quand un remède ne fonctionne pas, tout docteur Knock vous le dira, il faut augmenter la dose. Mardi dernier, Joaquim Almunia, le bras droit de Jose Manuel Barroso, a annoncé dans un discours qui restera sans doute un modèle de grand « foutage de gueule » politicien, que l’Europe étudiait un plan de « recapitalisation » de 21 banques, nombre susceptible de croître le cas échéant. Recapitalisation est en l’occurrence une façon élégante de ne pas prononcer le mot de « nationalisation ».
Autrement dit, votre argent servira à sauver les petites fesses rondes de banquiers et financiers bien dodus, qui n’assumeront que très légèrement à vos dépens les conséquences de leur incurie.
La fin du discours d’Almunia est à peine croyable :
And in the meantime, let’s hope that markets will calm down ; that banks will resume lending to the real economy ; that growth will take again a sustainable path ; that new jobs will be created again ; and that the taxpayers will recover the resources they have been obliged to put on the table to prevent an even worse crisis.
Et pendant ce temps, espérons que les marchés vont revenir au calme, que les banques vont recommencer à prêter à l’économie réelle, que la croissance va reprendre un chemin durable, que de nouveaux emplois seront créés, et que les contribuables vont récupérer les ressources qu’ils ont été obligés (! !!) de mettre sur la table pour empêcher une crise encore pire.
« Espérons » ! Ces gens ne font plus qu’espérer un miracle, et nous parlent d’un retour à la confiance de l’économie alors qu’ils prétendent soigner un mal de dette par plus de dettes, et allouer nos ressources en voie de raréfaction aux agents économiques les plus nullissimes !
Multiplier l’endettement pour payer les dettes…
Et pour ce faire, ils envisagent… de transformer l’EFSF en banque européenne avec un effet de levier de 4 à 5 ! C’est-à-dire que forts de la garantie de l’Allemagne, nos eurocrates envisagent d’émettre plus de 1000 milliards d’Euros d’obligations de l’EFSF, qui renflouera les 21 dexias, et les États souverains en difficulté.
Les bras m’en tombent. Ces idiots espèrent qu’un machin dont l’objectif est de ramasser les créances les plus pourries de l’union européenne, les « subprimes de la dette souveraine », ou de rentrer au capital de banques exsangues, sera capable de générer assez de cash pour rembourser toutes les dettes qu’elle aura souscrites… Et dont les « fonds propres » de 440 milliards auront été constitués grâce à de nouvelles dettes des États membres !
Bref, les pertes de l’EFSF leveragé iront grossir l’ardoise des contribuables d’Europe.
À vos mouchoirs ! Ceux qui nous gouvernent prouvent chaque jour que ceux qui les conseillent ne comprennent rien à l’économie, mais persistent aveuglément dans l’erreur, nous entrainant vers la ruine aussi sûrement que le capitaine du Titanic vers le naufrage.
—-
Lire également :
Dans la même veine :
Sur Contrepoints, une surprenante Interview de l’économiste en chef de DB, Thomas Mayer, surprenante parce que dans sa position, il est étonnant de l’entendre dire ce qu’il dit, et avec lequel je ne peux qu’être presque complètement d’accord :
La législation peut nous aider à atteindre ces deux objectifs, mais elle doit avoir conscience de ses limites. Tout d’abord, les entreprises doivent être incitées à avoir des pratiques raisonnables. La meilleure motivation est de rendre possible la faillite. Nous avons donc besoin d’un système de liquidation des entreprises financières rapide et efficace.
—-
Sur le web
Lecture complémentaire :
Chute de Dexia, Bâle III et crise des collectivités locales
Nationalisation des banques : au royaume des idées idiotes…
Faillites bancaires, quelles solutions : échange dette capital
Faillites bancaires, quelles solutions : liquidation ordonnée (« Dinkic »)
—-
Textes plus anciens :
Novembre 2008 : le plus dur est devant nous, changement de cap économique indispensable
Novembre 2008 : Pourquoi les menaces de l’État fouettard n’empêcheront pas la contraction du crédit aux PME
AGEFI, avril 2009 : sauver les banques sans spolier les contribuables, c’est possible