Il en va de la politique comme du sport : elle est d’une glorieuse incertitude. Et d’une incertitude perverse, qui plus est. Il y a l’incertitude sympathique, celle où globalement on ne sait rien, on est dans le brouillard, on tâtonne, et puis c’est tout. Et puis il y a l’incertitude politique qui résulte du brouillage d’une vraie certitude par une fausse certitude. Vous me suivez toujours ? Il y a donc la fausse certitude : celle des sondages qui, commandités par le Grand Capital™, ont pour seul objectif de vous soumettre à l’oligarchie, comme pourrait vous l’expliquer l’effarouché des sondages. Et il y a heureusement la vraie certitude : la certitude littéralement underground, qui parvient à vos oreilles grâce à la remontée du terrain.
Pour accéder à cette certitude, il vous faut vous mettre en contact avec un militant. Un vrai, un dur, un tatoué, pas un bureaucrate apparatchik qui ne descend jamais dans la rue. Le propre du militant est d’aller au contact de la vraie France, celle qui n’est jamais interrogée par les sondeurs et dont on ne soupçonne pas même l’existence dans les rédactions de la presse germanopratine. Investissant le terrain, il est capable de percer l’écume de l’opinion pour comprendre ce que veut vraiment le peuple.
Il est allé à la rencontre des gens sur les marchés, dans les Quartiers Populaires™ ; il a pénétré dans leur intimité par de patients et répétitifs porte-à-porte ; il a accompagné son candidat ou sa candidate lors de ses déplacements informels auprès de la France qui souffre, qui est aussi la France dynamique, celle où est stigmatisée une jeunesse pleine de potentiel et de talents, et qui est d’ailleurs l’avenir du pays. Il a conversé avec des citoyens coupés des élites et hermétiques aux sachants, avec des honnêtes gens imperméables à la dernière tendance passée en une de l’Express. Il a donné la parole à ceux qui ne l’ont jamais et écouté leur expression authentique. Et puis il s’en est retourné, plein d’usage et raison, apporter la bonne nouvelle au monde extérieur.
La bonne nouvelle ? Les sondages ont tort. Oh oui, vous dit-il avec un large sourire entendu, et on va avoir une grosse surprise le jour du vote ! Vous, vous ne pouvez pas vous en rendre compte, geek que vous êtes coincé derrière votre écran d’ordinateur, ou insider vous prélassant dans votre belle vie de bobo urbain, mais il se passe quelque chose sur le terrain. On n’avait plus vu ça depuis Mitterrand.
Sur les marchés ? C’était bien simple, il suffisait au militant de montrer le quart d’un bout d’un badge de soutien à son candidat pour que des badauds se jettent sur lui, lui disant que bien entendu, ils allaient voter pour lui, et lui demandant spontanément des tracts pour distribuer à leurs voisins. D’ailleurs ils n’avaient jamais vu d’autre militant, avant lui, venir leur parler. Et il fallait vraiment bien chercher, sur ce marché, pour trouver ne serait-ce qu’un olibrius mal luné pour esquisser, vaguement, la possibilité de choisir un autre candidat.
Les porte-à-porte ? Un triomphe. Dès que la rumeur de l’arrivée des militants se répandait dans les immeubles, c’était comme une fête des voisins qui s’improvisait : les habitants sortaient de chez eux en mettant leurs plus beaux habits, confectionnaient des affiches de soutien artisanales qu’ils accrochaient à leur fenêtre, et invitaient les militants à rester à manger, pour bien s’imprégner du message du candidat. La discussion avec eux était d’ailleurs fort significative : ils avaient à peine entendu parler des autres candidats, pensant l’un d’entre eux morts, l’autre en retraite, et ignorant tout simplement l’existence du troisième, pourtant très en vogue chez les médias aux ordres. Lorsque la conversation en venait à porter sur le programme du candidat soutenu par le militant, l’échange était simple et clair : oui, il n’y avait bien que ce programme pour répondre aux réelles préoccupations des vrais gens.
Le militant croise les remontées du terrain, les signaux faibles, pour construire une réelle image de l’opinion, à laquelle vous ne pouvez vous-même accéder, pas plus que les sondeurs prétendument scientifiques. Il a accès à des rapports des RG, que continuent à produire les RG alors que tout le monde croit naïvement qu’ils n’existent plus. Il observe les sondages-dont-vous-êtes-le-héros, le remplissage des meetings (de mémoire de militant, il ne les a jamais vus si remplis et si enthousiastes que pour son candidat), la tonalité des commentaires sur la presse en ligne (de mémoire de militant, ils n’ont jamais été aussi globalement positifs pour personne). Il peut aussi, bien entendu, sonder son entourage familial et amical, beaucoup plus représentatif que le vôtre.
Mais admettons – osez-vous prudemment – que le fameux jour J du vote, par une mécanique incompréhensible, son candidat ne se retrouve pas en tête, que faudrait-il en déduire ? Que les sondages auto-réalisateurs ont finalement produit leur effet, intoxiquant et manipulant le peuple, vous répond-il du tac au tac. C’est bien pour cela qu’il faudra sévèrement les réglementer, quand on reviendra au pouvoir.
Il est vraiment très fort, le militant.
Romain Pigenel
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