Magazine Culture

Le diable l'emporte I

Par Hiram33

Le-Diable-L-emporte-Livre-749888436_ML

Le diable l’emporte (Barjavel)

1ère partie

Barjavel annonce : les personnages et les événenements de ce roman sont imaginaires. Toute ressemblance avec des événements réels serait au-dessous de la vérité.

1

2

Après la 2è guerre mondiale, un univers nouveau était né. L’homme était devenu adulte. Il était maître désormais de l’énergie élémentaire, maître de la matière femelle. D’un signe du menton il transformait l’univers. Un savant français, interrogé sur ce qu’il éprouvait devant ces perspectives, répondit : « Ni peur, ni espoir ». C’était l’expression définitive du génie de l’homme, parvenu à une altitude qui le plaçait au niveau des dieux. L’homme allait enfin savourer le plein goût du fruit de l’Arbre. Même si l’enfer devait en être le prix, il ne pouvait regretter d’y avoir mordu. Mais les paysans, les ouvriers et les employés pensaient tout bêtement à vivre. Ils étaient partagés, eux, déchirés, justement, entre la peur et l’espoir. La paix ne se décidait pas à remplacer la guerre. Les nations capitalistes regardaient avec effroi l’ours russe se ramasser en boule et gonfler ses muscles. Comme des enfants battus, les nations plastronnaient, ricanaient pour cacher leur peur, et chacune espérait avoir le temps de frapper la première avant de recevoir. Mme Malosse avait connu la GM2 (2è Guerre Mondiale) et ne pensait qu’à une chose : « Ils vont me casser ma vaisselle à cause de la bombe atomique). Les peuples commençaient à se désintéresser de tout et à se résigner à tout. M. Dublé était marié et ouvrier pendant la GM2. Il avait trois enfants. Pendant la guerre, il ne pensa qu’à ce qu’allait devenir sa famille s’il était tué. Maintenant, il n’avait plus peur car en cas de guerre, la bombe atomique tuerait tout le monde. Aussitôt révélées les possibilités atomiques, les économistes s’étaient effrayés des perspectives de la production. Une abondance catastrophique bouchait l’horizon. Les nations blanches se cadenassèrent. Chacune craignait plus que la mort de voir sa propre faim rassasiée par les produits des autres. Se défendre contre la concurrence, et l’attaquer partout. Conquérir les marchés, même au prix de la misère, pour l’abondance de demain. Las de mal travailler, mal se reposer, mal espérer, mal craindre, hommes et femmes ne retrouvaient leur équilibre qu’au temps des vacances. Les Collignot allaient toujours en vacances en Bretagne. M. Collignot espérait que tout finirait par s’arranger. Irène était grande avec des gros seins. Elle regardait les hommes avec une belle sympathie physique mais sans trouble. Elle n’était pas très intelligente, elle le savait, cela lui était égal. M. Collignot regardait sa fille Aline sur la plage. Il était ému. Ils allèrent jouer sur les rochers. Aline voulut toucher une anémone de mer qui la blessa. Elle cria.

3

Une longue voiture noire fabriquée sur commande avec plein d’accessoires s’arrêta près de la plage. A bord, il y avait le secrétaire de M. Gé, Emmanuel Gordon et le chauffeur. Les intérêts de M. Gé le maintenaient présent dans toutes les parties du monde, il était partout et nulle part. Emmanuel Gordon avait été envoyé en mission par M. Gé. Il regardait Irène. En huit semaines, l’auto noire fit le tour des principales plages de France. Gordon cherchait des filles pour Gé. M. Gé ferait, parmi ces filles de choix, une sélection sévère. Il était maintenant bien décidé. M. Gé était un de ces hommes ignorés qui exercent un pouvoir sans limites sur les multitudes, au moyen du propre argent et de la sueur desdites multitudes. Il était né le 2 janvier 1900, d’un père hollandais et d’une mère états-unienne, à bord d’un paquebot allemand qui se rendait d’Angleterre en Russie. Un de ses ancêtres avait financé l’expédition de Charlemagne en Espagne. M. Gé avait fourni du ciment aux Allemands pour le mur de l’Atlantique, de l’aluminium pour les avions de la RAF, du pétrole pour les chars russes, de l’acier aux Japonais et du minerai d’uranium aux usines atomiques des Etats-Unis. Mais Hiroshima avait fissuré cet intérêt indifférent qu’il portait à ses multiples affaires. Il avait voulu profiter de la guerre et de la paix mais elles avaient profité de lui. Il comprit que sa fortune était vaine. Il ne voulut pas s’en remettre à dieu car ç’aurait été encore une réponse fabriquée, une attitude. Il décida de construire l’Arche. Il était en procès avec son fils, qu’il n’avait pas vu depuis douze ans. Il n’avait pas d’ami. Il n’avait pas le plaisir de la réussite car il ne connaissait pas l’échec. Il ne tenait pas énormément à continuer à vivre. Pourtant il avait commencé l’Arche depuis trois ans.

4

5

L’Agence chinoise d’Information annonça qu’une fusée à propulsion atomique s’envolerait d’un point X, en Mongolie, vers la Lune. Les Russes et les Etats-Uniens en avaient déjà envoyées sur la Lune, Vénus et Mars. Mais la fusée chinoise était la première avec un moteur atomique léger. Les nations blanches et les Russes étaient consternés. Alors les Blancs mobilisèrent leurs énergies pour rattraper le temps perdu. Ils inventèrent le moteur moléculaire, le molémoteur. Le charbon et le pétrole n’eurent plus de valeur. Le molémoteur ne coûtait presque rien et fournissait force, chaleur et lumière. En France, le sou remplaça le franc car le franc diminuait de valeur. Pour 20 sous, les piétons purent acquérir des patins à roulettes à molémoteur qui les propulsèrent sans fatigue sur les trottoirs. Le ciel des villes commença d’être emcombré par des hommes qui volaient avec deux ailes aux bras, un gouvernail aux pieds et un atome fusant au derrière. La Lune devint la reine de toutes les modes. Un chanteur obtint un succès international à la télé parce qu’il avait un visage rond, criblé de trous de la petite vérole. On construisit des gratte-ciel en forme de cirque, des autos en demi-globe, des meubles pivotants. Les femmes se fardèrent en blanc. Le gouvernement de SA Majesté britannique décida de faire construire en pleine forêt vierge africaine une ville atomique modèle, Moontown. Les hommes croyaient aux temps nouveaux et n’avaient plus peur de la guerre. Pendant ce temps, M. Gé venait d’engager 10 000 ouvriers supplémentaires pour hâter la construction de l’Arche.

6

Moontown était un cylindre creux, de 6 000 mètres de diamètres et 1 200 mètres de haut, posé sur sa base. Elle avait été construite en huit mois. Les habitations étaient des alvéoles. Les véhicules étaient transparents avec des molémoteurs. Il n’y avait pas de canalisations. Les molémoteurs faisaient tout. Il y avait des parcs, des jardins, des lacs et une piste permanente de sports d’hiver. Au dernier étage de Moontown, dans un appartement spécial, sous l’oeil des savants, des sociologues, des militaires et des délégués des syndicats, vivait le Civilisé Inconnu. C’était un citoyen anglais qui avait renoncé à son nom et à son passé. Tout ce que le progrès pouvait inventer était mis aussitôt à son service. Il était le banc d’essai et le modèle. Son vêtement était en tissu fait de courant d’air, de fumée de bois et de vapeur d’eau. Léger, infroissable, chaud dans les moments frais, frais quand le temps s’échauffait, il n’avait pas de couleur propre mais changeait de teinte selon le décor. Il buvait un liquide sans goût et des pilules parfumées au café, chocolat, frites. Il s’informait avec sa télécinéma. Il pouvait voyager sans bouger grâce à des techniques de simulation. Son examen médical était fait par des appareils. Son sang était changé régulièrement. On le débarrasserait de son appareil digestif considéré comme un nid à microbes et de ses poumons en oxygénant son sang par piqures biquotidiennes. Quand il travaillait, c’était en musique avec pour slogan « le travail c’est la liberté ».

7

Irène approchait de ses 24 ans. Elle avait failli trois fois se marier. Mais ses amants l’avaient quittée. C’était Gé qui opérait secrètement pour qu’elle garde sa virginité. Il envoyait des espions la surveiller en permanence. Irène se croyait libre. Elle ne se voyait pas différente des autres filles qui attendaient l’homme qui deviendrait leur maître (Barjavel se montre encore une fois profondément misogyne). Gé voulait trois vierges pour son Arche. Les deux autres étaient aussi surveillées qu’Irène. Il avait décidé de ne peupler l’Arche que de Français. Pour lui, ils n’avaient aucun caractère physique particulier, ni défauts ni qualités agressifs. L’Arche était presque terminée quand la fusée anglaise à molémoteur partit de Moontown vers la Lune.

8

La fusée anglaise devint satellite de la Terre. Elle envoya ses analyses de la Lune aux laboratoires terrestres. Les savants découvrirent que la Lune était ronde. Les foules regardaient sur leur télécinéma les images de la Lune envoyées par la fusée. Des gens croyaient voir des hommes ou des femmes alors qu’il n’y avait aucune vie sur la Lune.

9

Aline lisait un roman d’amour. Elle voulait trois enfants. Des garçons jugeant les filles trop bêtes (encore la misogynie de Barjavel). Elle avait 14 ans et se renseignait sur le sexe auprès de ses copines. Paul Jobet, le fils des concierges entra chez Aline pour regarder les images de la Lune sur la télécinéma. Il bricolait son écran et avait besoin d’aller chez Aline en attendant. Ils virent un morceau d’étoffe sur la Lune. Comme des milliers de téléspectateurs. Le général Hampton en déduisit que c’était un drapeau. Les journaux défendirent deux hypothèses, les hommes de la Lune avaient sorti leur drapeau en signe de fraternité ou de défense. Pourtant les savants ne trouvèrent aucun signe de vie sur les clichés. Les savants de Moontown ne retrouvaient pas le drapeau. Le professeur Tarcoloni de Milan résolut l’énigme par intuition. Pour lui le drapeau était un drapeau nazi ! En Allemagne, certains prétendirent qu’ Hitler avait fui avec un véhicule astronomique avec ses meilleurs savants vers la Lune. Ils reviendraient pour guider l’Allemagne vers la revanche. La presse et la radio allemandes se mirent à rappeler les droits imprescriptibles du Reich sur l’Autriche, la Bohême, l’Ukraine, la Pologne, le Danemark, la Flandre, l’Alsace, la Bretagne, Constantinople, Dakar et Narvik. L’ONU décida de mobiliser immédiatement les observatoires astronomiques, de créer sur tous les territoires immergés des postes de veille chargés de déceler les obus, fusées, soucoupes volantes ou autres engins pouvant provenir de la Lune, de faire patrouiller les océans, les mers et les lacs. Devant la gravité de la situation, le directeur du Laboratoire Astronomique de Moontown se décida à parler.

10

L’Arche était prête. Le pire pouvait maintenant advenir, et sans doute il ne tarderait point. M. Gé était dans l’Arche.

11

Sir Percival Perbrook, directeur du Laboratoire Astronautique de Moontown convoqua la presse. Il démentit les conclusions de Tarcoloni. Pour Perbrook, le drapeau sur la Lune était l’union Jack. C’était lui qui l’avait mis dans la fusée. Le drapeau était tombé de la fusée sur la Lune. Perbrook démissionna. La presse états-unienne fulminait contre l’impérialisme de Moontown. Les Etats-Unis ne pouvaient se permettre de laisser conquérir la Lune par un autre pays car ils étaient menacés par la surproduction atomique. L’URSS déclara que Perbrook était un imposteur aux ordres des trusts internationaux. Elle prétendit que le drapeau sur la Lune était son drapeau.

12

Les employés de l’UNESCO avaient abandonné l’Institution mais M. Collignot ne voulait pas partir. Paris s’était vidé comme en 1940. Comme toutes les villes du monde. Même les petits pays fabriquaient la nouvelle bombe. La course à l’uranium n’avait pas duré. Avec la nouvelle méthode, découverte en même temps par les principaux physiciens du monde, n’importe quoi devenait désintégrable. Les gens allèrent se réfugier dans les campagnes. Les fermes et les villages furent rasés par des millions de pieds. Les vaches avaient été mangées. L’exil se fit du Nord au Sud alors qu’on ne savait pas d’où viendrait la guerre. Les Etats-Unis voulèrent envoyer des hommes sur la Lune. Le président de l’ONU organisa une réunion à bord d’un transport autogyre à 12 000 mètres au-dessus du Pôle Nord. L’Angleterre, l’URSS et les Etats-Unis signèrent un traité d’amitié mais le lendemain la République du Libéria déclara la guerre à l’Albanie. Mme Collignot voulait partir mais attendait Irène qui n’était pas rentrée depuis qu’elle avait été convoquée au Ministère. Irène était partie à pied, tous les moyens de transport en commun ayant disparu. M. Collignot avait appelé le Ministère mais il n’y avait personne au standard. Aline n’avait pas peur, elle ne pensait qu’à l’aventure. M. Collignot était allé au Ministère mais il était désert. Les Jobet devaient partir alors les Collignot leur confièrent Aline. Elle finit par pleurer dans le camion des Jolibet. Mme Collignot, réalisant la perte de ses filles, s’évanouit.

13

Irène se trouvait nue dans une salle de bains. Elle ne se rappelait plus comment elle y était entrée. Mais elle n’était pas inquiète. M. Gé la regardait. Il n’y avait pas de curiosité malsaine car il avait eu toutes les femmes qu’il avait voulues. Il voulait seulement s’assurer qu’il avait vraiment rassemblé des êtres dignes de continuer l’espèce humaine. Contrairement aux autres gens que Gé avait capturés Irène n’avait pas paniqué. Gé pensait que c’était parce qu’elle n’était pas intelligente. Gé n’aimait pas l’intelligence et ne se croyait pas plus intelligent que la moyenne. Irène s’habilla et pensa à ses parents. Elle ouvrit les rideaux et s’étonna d’être loin de Paris. Elle sortit explorer l’Arche. Il y avait six autres appartements. Elle frappa à une porte. Une femme répondit.

14

Gé avait fait construire le Tube Electrique. Les gens ne disaient plus qu’ils prenaient le métro mais le Té. Des voitures en acier en forme de cylindre pointu aux deux extrémités, se déplaçaient à 500 kms dans un tube souterrain cerclé d’électro-aimants. Il y avait des affiches animés sur les murs du Tube. C’était au-dessous de l’usine atomique fournissant l’énergie au Tube que Gé avait construit l’Arche. Pour provoquer la fuite des ouvriers, Gé inspira quelques articles de journaux et de radio qui laissaient sous-entendre que la protection de l’usine souterraine n’était pas suffisante. Gé savait que la guerre atomique laisserait quelques survivants mais il craignait autre chose.

15

Gé parla aux femmes de l’Arche le soir de l’arrivée d’Irène. Elles étaient douze, réunies dans la grande salle du rez-de-chaussée. La raison commune de leur choix était leur beauté. Et cette raison même éclairait, croyaient-elles, lesdites intentions. Elles avaient toutes moins de trente ans. Elles étaient toutes assez larges de hanches. Elles avaient trouvé dans la salle du bas de quoi s’occuper (Barjavel pense que les femmes ne sont bonnes qu’à repasser, repriser, coudre ou tricoter) mais elles n’avaient rien fait. Elles avait pleuré pour en arriver inévitablement au bavardage, qui est l’occupation première des femmes (encore de la misogynie). A force de parler de ce qui leur arrivait, elles commençaient à l’oublier. Elles entendirent M. Gé mais sans le voir. Il leur expliqua que la guerre allait tout détruire et qu’il avait construit cette Arche pour douze hommes et douze femmes et des animaux. Il n’avait pas voulu sauver le chat, le rat, le lion et l’éléphant ou le porc. Il ne s’était pas occupé des poissons car il pensait qu’ils s’en tireraient. Il avait penser à sauver les arbres fruitiers et les céréales et les fleurs. Parmi les hommes, il y avait six cultivateurs, un maçon, un menuisier, un arracheur de dents et un musicien. Il n’y avait pas de médecin mais une sage-femme. M. Gé ne voulait pas de prêtre car il n’aimait pas le fanatisme. Les femmes ne pourraient rencontrer les hommes qu’à la sortie de l’Arche. Gé affirma qu’il n’était ni un philanthrope ni un mystique. M. Gé n’était pas sûr de survivre mais l’Arche continuerait de fonctionner automatiquement.

16

Lucien Hono entra sans prévenir dans le bureau de M. Gé. Il connaissait bien l’Arche car il était l’ingénieur qui avait dirigé les travaux. Il méprisait les hommes et ne voulut pas leur faire connaître ses travaux, c’est pourquoi il n’était pas devenu le nouvel Einstein. Il traita Gé de fou. Il était en colère car il voulait que les hommes crèvent. Gé lui avoua qu’il avait pensé à lui comme habitant de l’Arche. Hono était outré car il ne voulait pas être un reproducteur. Mais Gé avoua qu’il avait renoncé car il le trouvait trop laid. Hono se vanta de son intelligence qui pouvait sauver l’homme mais croyait que dieu avait voulu le fin de l’humanité. Hono voulait faire sauter l’Arche. Gé ne s’y opposait pas. Mais il lui dit qu’il agirait à la place de dieu en détruisant l’Arche. Hono pensait que Gé était le diable. Pour Gé, le diable était partout.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Hiram33 70 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines