Une impuissance française
Nos dirigeants, de droite comme de gauche, sont incapables d’intégrer mentalement une réelle réduction des dépenses publiques. Et pourtant
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La volonté des responsables politiques français de conserver la notation du pays paraît désormais réelle et forte. Il faut mesurer le chemin que cela représente. Lorsque, en 2004, Thierry Breton demanda à Michel Pébereau et Nicole Notat un rapport sur l’état de la dette nationale, il fit un travail précurseur qui fut bien accueilli mais ne devint pas un sujet politique et encore moins électoral malgré l’espoir qu’il en avait. C’est le cas aujourd’hui où même une moitié environ du Parti socialiste reconnaît la priorité absolue du sujet… sans pour autant être capable d’adopter une “règle d’or” au contraire de nombre de nos voisins, y compris dirigés par des socialistes. Cependant, au fur et à mesure que les exigences s’élèvent – en raison d’une moindre croissance et des anxiétés des marchés financiers -, le débat se rapproche inexorablement du cœur du sujet, à savoir la réduction des dépenses.
Là aussi, il faut reconnaître l’effort remarquable mené pour réduire la fonction publique d’Etat. Avec quelques bizarreries néanmoins : la Culture ne perd que 93 postes sur 11 000 et les services du Premier ministre croissent de 24 postes à partir de 3 580… Mais il faut surtout reconnaître que c’est bien le seul. Pour le reste, la droite comme la gauche paraissent incapables d’envisager une réduction substantielle des dépenses publiques. Les exemples récents sont légion. Le ministère des Finances lui-même estime que les baisses doivent s’apprécier… par rapport à leur hausse tendancielle ! Raisonnement avec lequel un déclin de 1,7 % des dépenses d’intervention peut être présenté comme un gros effort et qui révèle surtout combien cette dérive est jugée naturelle.
Comment voulez-vous être jugé crédible par les marchés financiers avec une telle logique ? Un Etat n’est pas une entreprise mais il ne peut pas pour autant s’abstraire du plus élémentaire bon sens financier. Entrer dans le détail est démoralisant. Sur 38,3 Mds € d’interventions dites “de guichet” en 2011, qui sont des dépenses d’aides sociales, l’économie s’élèvera à… 300 M € en 2012. Et Bercy d’expliquer, bien sûr, que tout cela est rigide. Pas à la hausse : la dépense nationale de prestations sociales et transfert en nature a augmenté de 50 % entre 2000 et 2009 (soit 160 Mds€ environ) ! On pourrait s’attendre à ce que les dépenses dites “discrétionnaires” le soient moins comme leur nom l’indique. Pas davantage : elles vont subir un effort immense de 900 M€ sur 20 Mds.
Conservatisme de fonctionnaire ? Pas vraiment. Il n’est que de voir la défense farouche des budgets des collectivités locales par leurs représentants. On se pince d’entendre Gilles Carrez, qui n’est habituellement pas porté à la débauche budgétaire, expliquer gravement que “personne ne fait autant d’effort que les collectivités locales”. En matière d’accroissement des dépenses, c’est certain : elles ont crû de 51 % entre 1998 et 2008, net des transferts de l’Etat, ce qui représente 1,9 point de PIB. Et la fonction publique territoriale a crû d’un demi-million de fonctionnaires en vingt ans ! Mais il serait paraît-il inconstitutionnel de s’y opposer. Soit ; mais au moins que l’Etat n’y concoure pas et conditionne ses dotations aux efforts faits. Il serait de bonne démocratie que les élus assument leurs responsabilités électorales en levant les impôts nécessaires à leur prodigalité. Il est très choquant qu’ils puissent le faire en toute impunité aux frais de la nation.
De la même manière, il commence à se dire que le non- remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite “atteint ses limites”.
Si vous interrogez les tenants de ce discours, vous découvrez qu’il découle du constat que l’Etat ne pourra plus rendre le même service. Cette logique est atterrante à un double titre. D’une part, elle montre que les cent mille postes supprimés étaient vraiment du “gras de mammouth” pour reprendre un propos célèbre. D’autre part, et pire encore, elle montre que l’idée de supprimer massivement des interventions publiques n’est absolument pas entrée dans les esprits. On comprend alors aisément le sentiment de démoralisation des administrations qui sont priées par leur hiérarchie de faire pareil avec moins et critiquées par les citoyens pour ne pas y parvenir. Les mesures financières annoncées récemment par le Premier ministre montrent à quel point de blocage mental se trouvent nos dirigeants. Alors même que l’opinion exprime préférer les baisses de dépenses aux hausses d’impôts, il augmente ceux-ci de 11 Mds et ne réduit celles-là que de 1 ! Et cela après un rapport de l’inspection des Finances critiquant sans ménagement nombre de dépenses publiques. Une conversation récente à ce sujet avec un ministre de rang élevé m’a accablé : je suggérais que les allocations familiales soient réservées aux classes modestes et moyennes, comme vient de le décider récemment le Premier ministre britannique avec le soutien massif de l’opinion.
Cela paraissait impossible à mon interlocuteur manifestement affolé par une idée aussi révolutionnaire. En revanche, il lui paraissait possible de les soumettre à l’impôt ! Cette logique d’“usine à gaz” résume l’impasse intellectuelle de nos gouvernants conscients de l’état des finances publiques mais incapables d’opérer des choix. Et la pathologie est œcuménique comme le montrent les déclarations de plusieurs candidats socialistes à l’élection présidentielle. Pourtant, l’examen de baisses massives et réussies des dépenses publiques dans des pays qui ne sont pas d’un libéralisme fou montre qu’ils ont fait l’inverse de M. Fillon. La Suède a fait passer son déficit de – 11 % du PIB en 1993 à un excédent de 1 % en 1998. Pour mémoire, 1993 était une époque de très mauvaise conjoncture. Le Canada est passé d’un déficit de 5 % à un excédent de 0,3 % entre 1994 et 1998. La Nouvelle-Zélande d’un déficit de 8,3 % à un excédent de 3 % entre 1984 et 1994, etc. Dans ces trois pays, pourtant bien différents, le cœur du mouvement a été un débat très public (et très passionné) sur les priorités de l’action publique et les meilleurs moyens d’y répondre : public ou privé ? national ou local ? Il n’y a pas eu de “vaches sacrées” précisément parce que le débat était public et ouvert.
Chaque pays a sa culture politique et il n’y a pas de recettes transposables directement. Pour autant, la France doit s’engager dans sa propre cure de désintoxication. Notre société est profondément malade de sa culture de la dépense : au point que ses dirigeants eux-mêmes, y compris les plus jeunes, la croient intangible dans l’esprit de leurs concitoyens. Profonde erreur : nul doute que chacun se plaindra de la subvention, allocation ou prestation disparue. Pour autant, la nécessité sera comprise si ces mesures rentrent dans un schéma d’ensemble compréhensible où tous apparaissent contribuer. Et non dans une succession de mesures ponctuelles dont la diversité ne reflète aucune autre vision que le souci d’anesthésie.