Demain ne sera pas comme hier. Il sera nouveau et il dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer. Gaston Berger, Extrait de la Phénoménologie du temps et prospective.
Le Centre d’Analyse Stratégique, institution d’expertise auprès du Premier Ministre, a fait paraître cet été, un rapport d’étude intitulé “Le travail et l’emploi dans 20 ans”. Ce rapport, pourtant extrêmement passionnant, est sorti dans l’indifférence quasi générale, notamment celle des professionnels des RH, alors qu’il constitue une formidable base de réflexions pour anticiper les évolutions de l’entreprise et le rôle des RH.
Source FlickR : OpenSourceWay
Quelles sont les principales conclusions de ce rapport ?
Evolution des relations dans l’entreprise
Les relations futures seront caractérisées par un affaiblissement de la subordination et la remise en cause de l’autorité, accompagnée d’une demande croissante d’autonomie de la part des collaborateurs. Même si le salariat reste une forme dominante, il évoluera vers une multiplication des conditions contractuelles : multi-employeurs, association de divers statuts en même temps (ex. salarié et auto-entrepreneur, salarié et étudiant).
Remise en cause des 3 unités de lieu, temps, action
Issue du modèle fordiste, cette forme traditionnelle d’organisation concerne aujourd’hui moins de 1 salarié sur 2. Elle sera concurrencée par le développement du travail à distance et du nomadisme. Le collaborateur sera quant à lui confronté, volontairement ou pas, à une plus grande porosité entre ses différents temps sociaux (formation, emploi, retraite…), qui seront également chamboulés par rapport à leur chronologie actuelle.
Amélioration significative de la situation de l’emploi
L’évolution démographique des pays de l’hémisphère nord, la mondialisation des échanges, et surtout l’accélération des transformations technologiques, auront tendance à réduire le taux de chômage et vont maintenir une demande forte en force de travail de la part des entreprises. Cela aura pour conséquence une augmentation du coût du travail et une concurrence renforcée sur certaines compétences. Ce rapport de force, favorable aux employés, favorisera une multiplication des mobilités et des changements d’employeurs avec une logique de marchés professionnels que l’on voit émerger aujourd’hui avec les notions de “personal branding” ou marketing personnel.
Accélération technologique et économie de la connaissance
L’entreprise va subir des transformations profondes, comme la diffusion de modèles d’organisations apprenantes, à l’exemple de l’entreprise 2.0, plate, réactive (cf. les théories autour du lean), plus informelle et appuyée sur l’autonomie et le développement des compétences qui favorisent le capital humain. A noter que le développement de profils d’experts, avec une logique de marché des compétences pour certains, accompagné du développement des nouvelles technologies, pourra être générateur de nouvelles formes d’inégalités entre les salariés.
Développement de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE)
La société civile véhicule de nouvelles valeurs qu’elle va exiger des entreprises : égalité femmes/hommes, diversité, équilibre vie privée/vie professionnelle, développement durable ; autant de nouvelles exigences que revendiqueront également les salariés pour leur entreprise.
Quelles pistes de réflexion pour les RH ?
Travailler l’engagement
La dimension “utilitaire” du travail (la rémunération), devrait se renforcer chez les jeunes au détriment des autres dimensions comme l’épanouissement personnel et l’intégration sociale, de plus en plus attachés à la sphère privée. L’entreprise pourrait devenir une véritable force de proposition et établir avec ses salariés un contrat qui valorise la marque personnelle répondant ainsi aux aspirations d’indépendance et aux critères d’employabilité.
Revoir les modalités du contrat de collaboration
Le futur caractère pluri-statutaire des collaborateurs conduira à une fragmentation des situations et à la nécessaire adaptation des réponses standardisées et uniques d’entreprises trop rigides face à un cadre économique et légal pluriel. L’entreprise doit devenir un acteur dans la réflexion et l’élaboration des nouveaux modèles juridiques du contrat de travail devant être repensés face aux nouveaux cadres de réalisation de leurs missions par les salariés multi-facettes.
Revoir les modes de management
Il faudrait également sortir le télé-travail du cadre anecdotique et parfois vécu comme excluant lorsqu’il est réservé aux populations minoritaires de l’entreprise, pour en faire un véritable mode d’organisation alternatif dans un cadre managerial repensé.
Positionner l’entreprise comme un véritable partenaire social.
Les frontières de l’entreprise se brouillent de plus en plus du fait du développement d’outils collaboratifs, il faudra accélérer à bon escient, c’est-à-dire en tenant compte des critères de confidentialité inhérent à certaines données, le développement du travail en réseau.
Une vision encore trop court-termiste
La fonction de business partners oblige les RH à se concentrer sur le court terme et à intégrer les mêmes nouvelles contraintes liées à une croissance économique atone, à l’accélération technologique, au renforcement réglementaire et à la mondialisation. En conséquence, les ressources et les énergies dédiées aux études et à l’anticipation ne permettent que des visions court-termistes. Pourtant, les changements dans les politiques RH, l’optimisation de leurs process (formation, mobilité interne, évaluation,..), et les évolutions comportementales des salariés, relèvent plutôt d’un calendrier du long terme. Il existe bien des visions sur le long terme dans quelques entreprises pionnières américaines sous l’angle du “workforce planning”. Mais ces projections restent concentrées sur des aspects démographiques, de compétences et de métiers dans l’entreprise, destinées à anticiper les besoins à venir.
Une meilleure prise en compte du “temps long” devrait permettre aux RH d’anticiper les futures bases d’un contrat social réinventé, indispensable pour que les entreprises puissent s’appuyer sur leurs ressources humaines, et qu’elles disposent de l’agilité nécessaire pour rester compétitives et relever les défis d’un environnement de moins en moins prédictible. La dimension de business partners des RH ne doit pas être synomyme uniquement d’immédiateté.