La jolie bouffonnerie Occupy Wall Street
Vous en avez peut-être entendu parler, notamment si vous avez ripé sur les médias franchouilles : un mouvement de contestataires bigarrés s’est installé devant Wall Street pour protester vigoureusement. Et rapidement, la presse s’est emparée du sujet…
Et pour s’en être emparée, elle s’en est emparée.
Oh, bon, certes, il n’y a pas encore eu de larmoyants reportages télés au format de vingt minutes dans des documentaires, mais cela ne saurait tarder. Pour le moment, la presse publie de plus en plus d’articles pointus et précis sur ce mouvement qui compte… qui compte 5000 personnes selon la police et 12.000 selon les syndicats.
Comme d’habitude lorsqu’on cite des chiffres comme ceux-là, je sors mon petit Badge « Approved By Alain » : au moins, on peut être sûr qu’il y avait 2500 personnes. Toute estimation au-delà relève de la pure spéculation.
Ce mouvement est donc présenté comme assez massif, plutôt spontané, et de message humaniste sur le mode « Les riches sont des méchants qui nous ont ruiné, reprenons le pouvoir ».
Des chiffres vagues, des syndicats, des gens qui protestent, des gentils pauvres contre des méchants riches, il y a là tous les ingrédients pour que la mayonnaise habituelle prenne ; et cette impression ne s’évanouit pas lorsqu’on voit les titres des principaux organes de presse subventionnée intégrer rapidement le terme « indignés » clairement roulé sous l’Hessel. Une enquête rapide s’impose donc pour comprendre un peu ce qui se passe, et mesurer l’habituel décalage entre ce qu’on peut réellement comprendre, notamment en lisant les journaux locaux, et les faits rapportés par la presse franchouille qu’on sent déjà frétillante et toute acquise à La Cause de ces manifestants.
Tout d’abord, regardons rapidement la nature parfaitement spontanée du mouvement : elle est, disons, discutable. Oui, certes, la mise en place du mouvement, utilisant les réseaux sociaux, dispose bel et bien de cette fraîcheur, cette nouveauté, cette génération spontanée qu’on pouvait trouver dans certaines des manifestations du Printemps Arabe. Et ce n’est pas étonnant, du reste, que nos manifestants et la presse n’hésitent pas à y faire référence. Mais cette spontanéité a été rapidement canalisée par les habituelles stars de la récupération politique (Moore, Klein, Barr, West, Chomsky). Même si le mouvement se réclame apolitique dès qu’il le peut, ses vagues slogans, la population concernée, les « élites » qui ratifient et soutiennent ces slogans… tout cela classe l’ensemble plutôt à gauche.
À la limite, ici, peu importe : si ce qu’ils disent, si ce qu’ils réclament est juste, logique, tient la route, gauche ou droite, cela mérite d’être supporté. Et c’est là que les ennuis commencent.
Exactement à l’instar des purées lyriques de Papy Hessel et des meilleures bouillies tiédasses de Papy Morin, si les slogans sont, sur le plan marketing, intéressants, les revendications sont en revanche pour le moins confuses. Et celles qui se dégagent un peu des brumes sont sans équivoques : ils aiment tendrement la politique d’Obama (qu’on ne pourra pas qualifier de libérale), ils adorent l’idée d’augmenter les taxes.
Eh oui : avec ces taxes, ils visent les « saloderiches », se veulent anti-système… et réclament exactement ce que les pontes du système (Buffett, Sorros, Obama par exemple) préconisent, précisément parce que ces derniers savent pertinemment qu’ils y échapperont. Au passage, on se rappellera que Obama, justement, fut un bénéficiaire goulu des largesses de l’industrie financière pour payer sa campagne. Dans son top 10, on trouve Goldman Sachs, JP Morgan et Citigroup. Coïncidence ?
Peu importe : pour ces manifestants, l’État est détourné de ses justes fins par les grandes entreprises capitalistes de connivence. Et force est de constater qu’ils ont parfaitement raison jusque là. L’oligarchie tient les rênes.
Le souci, c’est que nos gentils occupants de Wall Street pensent réellement que la cause de leurs problèmes est l’avidité sans borne des banquiers, et que le (bien sûr) gentil État est corrompu par les (bien sûr) méchantes corporations fachiss’ qui ne veulent rien que diminuer la retraite des enseignants, tuer des bébés phoques, faire des tremblements de terre à coup de fracturation hydraulique et je m’égare mais je crois que vous saisissez le tableau.
Mais aucun ne semble voir, aucun ne veut voir celui qui préempte immédiatement 30 à 50% de leur salaire, qui fait couler, lentement mais sûrement, l’assurance maladie, qui contrôle la création monétaire, qui incite les banques à acheter des obligations d’États en échange de refinancement moyennant des impressions dans l’arrière boutique de Ben B, qui définit les codes du logement, qui contrôle l’agriculture, l’instruction, un bon paquet de professions pour limiter la concurrence, qui contrôle le pétrole, le nucléaire, qui enferme les gens pour des motifs arbitraires, qui contrôle l’armée, qui envahit l’Afghanistan et la Libye et y tue des civils.
Il est trop gros, sans doute…
Le plus symptomatique est la parfaite incohérence de leur comportement.
Si, d’un côté, on peut les féliciter d’avoir entrepris quelque chose pour essayer de changer une situation qui ne leur plaît pas (et c’est déjà beaucoup plus que beaucoup de citoyens dans le monde), on ne doit pas s’épargner non plus de noter qu’ils réclament clairement qu’on impose de force leurs idées (on voit des panneaux « A government is an entity which holds the monopolistic right to initiate force »)… à ce gouvernement alors que celui-ci a été totalement acheté par ces corporations qu’ils essaient de réguler. Et lorsque justement, ce gouvernement utilise précisément son monopole du droit d’utiliser la force en les jetant de Wall Street, ils pleurnichent.
Autrement dit, ces aimables excités veulent qu’on impose leurs idées en utilisant la force sur les autres.
Ces gens, finalement, ne valent tristement pas mieux que ceux des corporations : on peut les préférer parce qu’ils sont en bas de la hiérarchie, mais leur comportement montre de façon assez limpide que s’ils avaient toute latitude, ils agiraient avec la même brutalité que ceux qu’ils dénoncent.
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