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L'âne

Par Choupanenette

Voilà un animal calomnié. Comme on s'est égayé, avant et depuis la Fontaine, aux dépens de Maître Aliboron, dont le nom est devenu synonyme à la fois de sot et d'entêté !
Savez-vous bien cependant que cet animal vilipendé est doué d'une grande intelligence ?

L'âne d'un certain Ammonius professeur de belles lettres, à Alexandrie, assistait, dit-on, aux classes de poésies faites par son maître, et se privait, pour venir entendre les vers qui lui plaisaient, de la nourriture placée devant lui ; mais il agitait furieusement les oreilles en signe de mécontentement, quand l'élève assis sur la sellette ne lui paraissait pas un favori des muses.
Le général Friant, lors de l'expédition d'Egypte, eut un mot amusant qui réhabilite le frère méconnu du cheval et le mit, pour une fois, en bonne compagnie.
Brusquement attaqué par les Mamelouks, en plein désert, embarrassé dans ses mouvement par un troupeau de baudets et une phalange de savant qui s'appelaient Monge, Berthollet, Haüyn Fourrier, il fit former le carré à ses grenadiers, et s'écria de sa belle voix de commandement :
"Les ânes et les savants au milieu !"
Parce qu'il brait de façon peu harmonieuse, vous croyez, sans doute, l'âne réfractaire à la musique ! Écoutez pourtant ce que le Mercure de France de 1769, dit d'un âne musicien : "Un jeune âne ne manquait jamais d'assister aux concerts qu'on donnait au château d' Onarville dans le pays chatrain. Au premier prélude des instruments, il venait se poster près d'une fenêtre de la pièce où se tenait l'assemblée, et prêtait plus ou moins d'attention selon que la musque était plus ou moins à son goût. La dame du château avait une voix charmante ; sitôt qu'elle se faisait entendre le bourriquet enchanté dressait ses longues oreilles et savourait ses accents avec délice."
Le chroniqueur ajoute qu'un beau jour, l'âne transporté d'admiration entra dans le salon, et fit sa partie dans le concert par de formidable "hi ! han !" qui ne furent pas du goût des autres mélomanes.

Parmi les amis du placide animal figura l'un des plus spirituels écrivains du XVIIIe siècle : Beaumarchais.
L'histoire  que je vais vous dire est-elle vraie ? Elle mérite en tout cas de l'être.
Un pauvre grison, chargé de légumes, s'arrête un jour devant la porte de Beaumarchais. L'écrivain achète les légumes, et voyant que l'animal est d'une maigreur étique, il lui fait donner une botte de foin ou picotin d'avoine. A quelque temps de là (on était en pleine période révolutionnaire), Beaumarchais voit arriver des agents de police chargés de perquisitionner chez lui ; il se sauve à travers champs, et trouve asile dans la demeure du propriétaire même de son obligé qui s'écrie en l'apercevant :
"Voilà le bon monsieur qui a donné du foin à notre âne."
C'est ainsi que Beaumarchais devint l'ami des ânes.
L'âne peut être d'ailleurs un ami précieux. En tout cas, il n'en est pas de plus doux ni de plus patient.


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