Romance de sang

Par Borokoff

A propos de Drive de Nicolas Winding Refn ****

Ryan Gosling

A Los Angeles, un jeune homme cumule plusieurs boulots. Cascadeur pour le cinéma, garagiste, il conduit la nuit des grosses cylindrées pour des petits  malfrats qui dérobent de l’argent aux quatre coins de la ville. Vivant seul dans une chambre d’hôtel, il est le voisin d’une jeune blonde qui élève seule son fils en attendant que son mari sorte prochainement de prison. Ce dernier, ayant contracté avec la mafia locale des dettes qu’il doit rembourser, se remet aux « affaires » dès sa sortie de prison, aidé par le jeune « driver » qui entre-temps est tombé amoureux de la belle blonde. Lorsque le mari de sa voisine est assassiné par la mafia, le « driver » s’enferme dans une spirale de vengeance, de violence et de sang qui l’amène droit aux Enfers…

Adapté d’un roman éponyme de James Sallis, Drive est un thriller stimulant, aussi sanglant que jubilatoire, ultra-violent que déstabilisant. Ryan Gosling incarne un jeune homme taiseux. Sa timidité, son visage d’ange et sa tignasse blonde ne laissent pas supposer qu’il sera animé d’une telle haine et d’une telle violence. C’est pourtant lui qui va descendre un à un les caïds d’un Los Angeles filmé la plupart du temps en grand angle et dont on aura rarement eu au cinéma une vision aussi lugubre (on pense à l’ambiance poisseuse des romans de James Ellroy).

Dans Drive, tout est affaire de suggestion, de non-dits, d’implicite. Le « driver » est tombé amoureux de la jeune blonde (Carey Mulligan) qui habite à côté de chez lui, mais dès le départ, on sait que cette histoire d’amour est impossible. Son mari va sortir de prison et lorsque cela arrive, il se fait assassiner par des créanciers rancuniers.

Carey Mulligan

Si le « driver » se transforme peu à peu en psychopathe, s’il « pète les plombs » et descend à volo tous ceux qui en voudraient encore à celle qu’il aime, c’est par dépit amoureux en quelque sorte, parce qu’il sait son amour impossible. Pour cela, le scénario est extrêmement subtil et astucieux. La réaction du « driver » face à l’enfant qui a été menacé directement par la mafia en dit long sur l’origine de son traumatisme. Une partie de ses problèmes est sans doute liée à son enfance tant il ne semble supporter qu’on s’attaque au gosse.

Si l’on a dit que le scénario est remarquable, plein de rebondissements, c’est la mise en scène qu’il faut saluer, le brio notamment avec lequel les scènes de course-poursuite en voiture sont réalisées. Drive n’a pas eu le Prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes pour rien. Rythmée, tendue, avec des respirations (ralentis dans les couloirs de l’hôtel) lorsque le « driver » et la jeune femme parviennent à se croiser et à se parler comme en catimini (il semble qu’elle soit tombée amoureuse elle aussi), la réalisation instaure dès le départ un climat étrange.

Les compositions de Cliff Martinez, de College, feat. Electric Youth (A Real Hero) ou encore de Desire (Under Your Spell) laissent flotter un climat langoureux qui contraste avec l’extrême violence des scènes de représailles (notamment celle où le « driver » s’acharne à coups de botte sur le crâne d’un de ses assaillants mais aussi celle du motel). Il faut saluer la performance de Gosling, qui a bien fait ressortir le côté mutique de son personnage. Le « driver » , en roue libre totale, se transforme peu à peu en monstre mécanique dans le film, le visage de plus en plus dénué d’expressions, marchant comme un automate vers son funeste destin.

Dans Drive, tout est affaire de décalages. On sent le plaisir que Winding Refn (auteur de la trilogie réputée des Pusher, 2006 et de Le guerrier silencieux, Valhalla Rising, 2009), comme un certain Tarantino, prend à jouer avec les codes des films de genre (séries B notamment). La dissonance entre la brutalité sanglante des scènes de combat et ces musiques sentimentales édulcorées prouve son habilité à jouer avec les clichés. Le héros, un temps sentimental, s’adonne rapidement à une violence synonyme de défouloir de ses frustrations.

Cette distance ironique dans la mise en scène est poussée assez loin, dans les gros plans ou ceux en contre plongée du visage du héros au volant de sa voiture. On pense tantôt à Bullitt (1968) tantôt à la manière de filmer le héros sur son cheval dans les westerns américains des années 1970.

Quant aux seconds rôles et aux « sales gueules » de méchants (Albert Brooks, Ron Perlman en tête), ils complètent un casting idéal, réussi comme ce Driver

www.youtube.com/watch?v=2TEG-j1O3hc

Film américain de Nicolas Winding Refn avec Ryan Gosling, Carey Mulligan, Albert Brooks (01 h 40).

Scénario : ****

Mise en scène : ****

Acteurs : 4 out of 5 ****

Dialogues : 4 out of 5 ****