Passant dans la rue, j’ai eu, du coin de l’oeil, une vision de livre d’images, de muséum : des photos grises partageant leur cadre avec des textes au crayon, une cinquantaine de cadres dans les deux salles. C’était assez pour que je m’arrête, que je rentre et que j’y passe un long moment. La galerie ‘Fait & Cause’, issue de l’association ‘Pour que l’Esprit vive’, (voilà déjà de beaux noms) présente le photographe bosniaque Milomir Kovačević, familier des travaux de mémoire. Cette suite d’images et de textes construit une série formelle, très élaborée.
Cette exposition est faite de souvenirs d’exil : le photographe a demandé à des Sarajeviens vivant aujourd’hui à Paris de lui montrer l’objet qui pour eux était Sarajevo, plus qu’un souvenir, l’essence même de leur vie là-bas. Chaque photo est accompagnée d’un petit texte, souvent dans un français maladroit ou ampoulé, un émouvant français d’étranger (cliquez sur les photos des textes). D’autres, chassés de chez eux, sont partis avec la clef de leur maison. Ici on voit un bric-à-brac touchant d’ustensiles de cuisine, de photos de famille, de vêtements, de chaussures, de poupées, d’images religieuses, Coran comme Vierge, voire Tito. On voit ça ailleurs, à la Porte Dorée ou sur ce site.
Mais, ici, ce que Kovačević a su faire, aidé en cela par la charge émotionnelle du mot ‘Sarajevo’, c’est un mausolée : tous ces cadres identiques, cette série obsessionnelle contribuent au rappel des tourments des habitants de Bosnie. Et les objets eux-mêmes sont chargés de sens : la valise de l’exilée, mais qui, prête au voyage, fut oubliée sur place le jour du grand départ, et retrouvée intacte des années plus tard, toujours pleine des mêmes trésors (mèches des cheveux des enfants, lettres du mari,..) côtoie le miroir, qui a vu toutes les horreurs, les bombes et le sang, et qui subsiste, muet, imperturbable, comme l’optogramme du Dr Vernois.
Et le petit coeur de Sarajevo, pour ceux qui connaissent cette ville (et qui l’ont connue avant) rendra vos yeux humides.
Partout dans ces salles errent les fantômes des exilés, des hommes chassés de leur terre, des victimes de l’horreur. Et revient étrangement à l’esprit la phrase de Duras ”Tu n’as rien vu à Hiroshima”.
Photos courtoisie de Milomir Kovačević, © Milomir Kovačević.