Introduction
Matteo Messina Denaro
Carrefour en Italie
Les aventures du groupe GDM à Barcellona Pozzo di Gotto
L'Expo Milano 2015
Le site Alfa-Romeo de Portello
Conclusion
* * *MàJ - 31 janvier 2011 : je vous avais parlé en fin de billet du jugement de Giuseppe Grigoli, "le roi des supermarchés Despar de la Sicile Occidentale", pour lequel le parquet avait demandé une condamnation à 15 ans de prison, et bien le Tribunal de Marsala s'est prononcé ce soir, en condamnant Grigoli à 12 ans d'emprisonnement, Matteo Messina Denaro à 27 ans par contumace (il est en cavale depuis 1993), et en leur saisissant définitivement un patrimoine d'une valeur de 500 millions d'euros (comptes bancaires, 12 sociétés, plus de 200 bâtiments, 133 terrains, etc.)...
* * *Introduction
Il y a un an déjà, en dressant le bilan de l'entreprise mafia pour l'année 2009, j'écrivais ceci :
Si je trouve le temps, je vous ferai un billet sur les déboires de Carrefour en Italie du sud...L'heure est venue de m'atteler à la tâche, mais comme vous allez le voir c'est compliqué ! Posons d'abord le cadre de la situation.
La grande distribution en Italie (connue sous le sigle de GDO, Grande Distribution Organisée) est désormais un débouché prioritaire pour la mafia, dont la stratégie vise de plus en plus à occuper et coloniser l'économie LÉGALE...
Un phénomène qui ne passe pas inobservé, comme en témoignent différents articles publiés en novembre 2010 : “La mafia si infiltra nella grande distribuzione”, “La mafia ricicla nella grande distribuzione”, etc.
Ce faisant, la mafia joue sur un double tableau : la spéculation immobilière d'une part (avec la construction des centres commerciaux), et toute la filière marchande de l'autre (de la production au transport et à la distribution), dont un exemple frappant est la mainmise de l'association cosa nostra / camorra / 'ndrangheta sur le Marché de gros des fruits et légumes de Fondi, le plus grand marché italien (et d'Europe...) qui s'étend sur plus de 335 hectares à 2h de route de Rome.
Cette association criminelle, qui se divise en outre le pays en trois (pratiquement la 'ndrangheta au Nord, la camorra au Centre et la mafia au Sud...) est plus vivace que jamais, donc croire que ce pacte mafieux tripartite a été démantelé pour Fondi n'est qu'un leurre, puisque l'administration de la ville, qui aurait dû être placée sous administration contrôlée, a été sauvée de justesse par le gouvernement Berlusconi, toujours prêt à aider les amis en cas de besoin... [Début]
Matteo Messina Denaro
Mais revenons à nos moutons ! Ou, pour mieux dire, au mouton noir qui a pour nom Matteo Messina Denaro, en cavale depuis les attentats terroristes-mafieux de 1993, dernier grand parrain de cosa nostra qui court toujours en dépit de plusieurs condamnations à perpétuité prononcées contre lui.
Et qui semble s'intéresser de très près à la grande distribution, comme en témoignent plusieurs enquêtes en cours, qui impliquent notamment Giuseppe Grigoli et Salvatore Scuto, respectivement gérant de la marque Despar pour la Sicile Occidentale et membre du Comité directeur de Despar Italia, prête-nom présumés de Messina Denaro...
Bien. Mais quel est le rapport avec Carrefour, me direz-vous ? J'y arrive. En partant de la reconversion stratégique annoncée par le nouvel homme fort du Groupe, Lars Olofsson.
Le 30 juin 2009, Carrefour a tenu à Paris une journée-investisseurs consacrée à la présentation aux analystes des principes de la nouvelle organisation et à la mise en œuvre de son plan de transformation, qui prévoit notamment, pour l'Italie :
Refocalisation de nos affaires
• 2 fermetures (Rome, Bari)
• Décision de céder 4 hypermarchés (Région des Pouilles)
• 6 hypers restants dans le Sud de l’Italie
Renforcer le business dans le Nord de l’Italie
• Investissement prix de l’ordre de 40m€
• Convergence des enseignes en cours
Lancement d’un plan de transformation dans le Nord de l’Italie :
• Programme de réduction de coûts : “Fast Forward”
• Amélioration significative de la marge en 2010
En clair, cela signifie un désengagement du Groupe dans le Sud et un recentrage au Nord, comme l'explique le plus récent document de référence (2009) disponible en ligne, au chapitre intitulé "Italie : cap au Nord"
En 2009, Carrefour Italie a décidé d’établir des bases solides pour le futur. Le plan de transformation est en marche et Carrefour recentre ses activités dans le Nord du pays. Commercialement, le processus de convergence s’est accéléré avec le passage de 50 magasins GS sous l’enseigne Carrefour Market et de 15 magasins de proximité DiperDi sous l’enseigne Carrefour Express. C’est sur ces nouvelles bases que Carrefour Italie entend bâtir son leadership. En 2010, l’Italie devrait compter 400 Carrefour Market et 700 Carrefour Express dans tout le pays. Le lancement de la gamme Carrefour Discount et l’extension des gammes de produits à marque renforceront aussi la présence de Carrefour dans le panier des consommateurs. La réinvention des hypermarchés dopera leur attractivité et le développement des supermarchés en franchise dynamisera l’expansion de Carrefour.[Début]
Carrefour en Italie
Aujourd'hui, Carrefour en Italie c'est 25 000 salariés, soit 5% des effectifs mondiaux de l'entreprise (500 000 employés dans 35 pays), et à fin décembre 2009 un réseau de 477 magasins consolidés :
- 61 hypermarchés
- 227 supermarchés
- 0 hard discount
- 175 magasins de poximité
- 14 cash & carry
De fait, à fin octobre 2010, l'entreprise comptait en plus d'une soixantaine d'hypers
[MàJ] Selon une présentation Carrefour trouvée sur Internet, les PdV sont 1 303 (respectivement 449 et 854), plus 64 hypers et 14 cash & carry, soit un total réseau de 1 381. (904 de plus qu'en 2009 !)
Après avoir ouvert ses premiers hypermarchés en 1993 et être devenu en 2000 n° 2 de la distribution dans le pays (avec le rachat via Promodès du Groupe GS, créé au début des années 60 par Marco Brunelli, ex-président de Carrefour Italia en 2000-2002 et actuel patron de Finiper), en avril 2005, à la suite d'un partenariat avec Aligros, le groupe acquiert 160 points de vente, pour l'essentiel des magasins de proximité situés dans la région des Pouilles, un investissement qui se traduisait deux ans plus tard par ... une perte de 5 millions d'euros dans cette seule région !
Une situation déplorable, qui a naturellement conduit au désengagement localisé du groupe, comme le laissait entrevoir Giuseppe Brambilla, Directeur Exécutif Italie, dans une interview qui remonte à fin juin 2009 :
Question : - Le réseau des hypermarchés Carrefour dans le Sud a été mis en vente, et pourtant aucune transaction n'a encore été finalisée. Pourquoi ?Donc, sauf erreur de ma part, les 6 hypermarchés Carrefour restants dans le Sud de l'Italie seraient : 2 en Calabre [Portobolaro (Reggio Calabria) et Cosenza], 3 en Campanie [Marcianise et Capodrise à Caserte et 1 à Pontecagnano (Salerne)], et 1 en Sicile [Milazzo].
Réponse : - Certains centres étaient mal positionnés et disproportionnés par rapport au marché local. Comme de nombreux autres acteurs économiques, nous avions parié sur une augmentation des revenus et de la consommation dans le Mezzogiorno, mais la première n'a pas eu lieu et la seconde n'a été que partielle. Précisons en outre que nous pratiquons une politique de rémunération où le niveau des salaires est pratiquement identique dans le Nord et le Sud du pays, avec en plus la concurrence de nombreux acteurs qui n'ont pas modernisé leurs modes d'organisation et ont recours à des formes de flexibilité du travail qui nous sont interdites.
Q. : - Comment allez-vous réagir ?
R. : - Nous relancerons certains hypermarchés, et pour les autres, nous les restructurerons ou nous les fermerons.
Ce dernier est en franchise au Groupe GDM, qui exploitait il y a quelques temps encore les hypers de San Cataldo (Caltanissetta) et Castrofilippo (Agrigento), toujours en Sicile, avant de faire transiter les deux centres commerciaux - "Le Vigne" de Castrofilippo et "Il Casale" de San Cataldo - de Carrefour au groupe Sidis (dont les hypers, soit dit en passant, sont exploités en franchise sous l'enseigne Auchan...).
Or il est intéressant de connaître les motivations de GDM, dévoilées dans un communiqué à la clientèle par le responsable du groupe pour la Sicile, qui dénonce que ce "retrait" est dû aux "difficultés qui tenaillent cette terre", où il "est dur d'investir" ("difficoltà che attanagliano questa terra", in cui "è difficile investire"), en dépit de tous les efforts déployés pour offrir le meilleur service possible ("aver dato il massimo per offrire un buon servizio"). Traduisez MAFIA !
Je sais bien que pour un français la traduction ne coule pas de source, mais lisez ce billet avant de poursuivre, vous comprendrez mieux.
Et pour être plus explicite, je vais vous raconter une histoire. [Début]
Les aventures du groupe GDM à Barcellona Pozzo di Gotto
Barcellona Pozzo di Gotto, c'est en Sicile, juste à côté de Milazzo (Messine).
En juin 2007, la société G.D.M. – Grande Distribuzione Meridionale S.p.a. présente à la municipalité un projet ambitieux prévoyant l'aménagement d'un parc commercial sur plus de 18 hectares, qui aurait dû accueillir six zones destinées à la grande distribution, à l'implantation de locaux commerciaux, aux loisirs, plus une zone de jeux pour les enfants, des hôtels et des restaurants.
Pour présenter ce projet, GDM se basait sur un contrat d'utilisation des sols passé en 2005 avec la société Dibeca S.a.s., propriétaire d'une bonne partie des hectares de terrain, contrat accompagné d'une promesse de vente.
Or en mai 2008, GDM décidait de se retirer du projet, au motif, selon Piergiorgio Sacco, président du groupe, que « (l)’achat des terrains à Dibeca était soumis à la réalisation de plusieurs conditions dans un délai de trois ans et non au-delà à dater de la signature du premier contrat, conditions telles que l’approbation du projet, l'octroi par la municipalité des permis de construire correspondants et des autorisations administratives nécessaires à l'ouverture d'une grande surface », et qu'aucune de ces conditions ne s'était réalisée.
Pour autant, en janvier 2009, la commission municipale compétente modifiait l'attribution des permis de construire en les transférant à la société Dibeca, "propriétaire" des terrains. Or en fait, le bail d'une durée de six ans avait été stipulé avec Alessandro Cattafi, "administrateur unique de Dibeca, qui se substituait à la véritable propriétaire, Mme Nicoletta Di Benedetto", contre le paiement d'un loyer annuel de 27 888,67 € (rapportés au nombre d'hectares, avouez que ça fait pas lourd !).
Donc en regard d'une affaire de 250 millions d'euros (le mafioparco, Sonia Alfano dixit, qui développe ici les relations obscures avec la franc-maçonnerie, comme toujours en Italie), la municipalité s'est empressée d'approuver le projet à l’unanimité, le 16 novembre 2009, par 22 votes favorables et 1 abstention...
Or dans un cas précédent, une inspection de la Préfecture de Messine faisait observer que la municipalité de Barcellona Pozzo di Gotto aurait dû procéder à des vérifications préalables et ne jamais passer d'accords avec des sujets tels que M. Alessandro Cattafi et Mme Nicoletta Di Benedetto, respectivement fils et mère de l’avocat Rosario Pio Cattafi, personnage plusieurs fois mis en examen et considéré l'un des chefs de l’organisation mafieuse de Barcellona Pozzo di Gotto. En effet, le nom complet de la société, c'est “Dibeca S.n.c. di Cattafi Rosario & C”...
Car toujours selon les inspecteurs de la Préfecture de Messine, Rosario Pio Cattafi « représente l'un des acteurs plus emblématiques à travers lesquels Barcellona Pozzo di Gotto est devenu carrefour (sans jeu de mots : il crocevia) névralgique et lieu de rencontre où convergent les intérêts des mafias de Catane et de Palerme, et où se brassent d'importantes opérations financières et des trafics illégaux conduisant jusqu'à Milan », évoluant à un « niveau supérieur » d'intermédiation entre les chefs de Cosa Nostra et « certains sujets institutionnels qui opèrent plus particulièrement dans la politique, la justice et les administrations publiques ».
Le curriculum de ce Monsieur est d'ailleurs plutôt chargé : membre de l'extrême-droite subversive dans sa jeunesse, suspecté d'être mêlé à des affaires d'enlèvement, de trafic d'armes, d'explosifs, de drogues, de corruption, de menaces, titulaire de comptes chiffrés en Suisse, fréquentant des membres des services secrets et, last but not least, des parrains de nombreuses familles mafieuses (Santapaola, Carollo, Fidanzati, Ciulla, Bono), il fut également lié au boss Giuseppe Gullotti jusqu'à sa condamnation définitive pour le meurtre du journaliste Beppe Alfano, père de l'actuelle parlementaire européenne, Sonia Alfano, qui confia un jour à sa fille après avoir vu Cattafi à Barcellona Pozzo di Gotto : s'il est revenu, c'est qu'une grosse affaire se prépare...
Le "repenti" Giovanni Brusca l'a indiqué comme étant celui qui lui avait fourni la télécommande ayant servi à l’attentat de Capaci, durant lequel furent assassinés le juge Falcone, sa femme et les membres de son escorte. Or Brusca devrait savoir ce dont il parle, puisque c'est lui qui a appuyé sur le bouton de la télécommande faisant sauter la demi-tonne d'explosifs enfouis sous l'autoroute Palerme-Punta Raisi !
Voici donc l'une des mille manières possibles pour la mafia de financer des opérations millionnaires (en euros...), et plus les affaires sont grosses, plus les organisations mafieuses sont aux aguets. C'est par exemple le cas de la reconstruction de l'Aquila ou de l'Expo universelle de 2015 qui se tiendra à Milan. [Début]
L'Expo Milano 2015
En février 2010, le Préfet Lombardi a publié un rapport - extrêmement confidentiel - sur les mafias à Milan et dans la région, intitulé Le crime organisé en Lombardie, dévoilé par un excellent journaliste, Roberto Galullo, dont la lecture fait froid dans le dos, avec, dès la page 5, des paragraphes comme celui-ci :
“Bien qu'il y ait eu au cours de la dernière décennie diverses opérations de police, vastes et pénétrantes, pour réprimer le phénomène mafieux, les bandes criminelles ont montré une grande aptitude à se réorganiser et se régénérer après les lourdes pertes subies, grâce à l'arrivée de nouveaux venus transférés dans le nord du pays pour remplacer les mafieux en prison. Cette organisation se caractérise par sa capacité avérée de se mouvoir sans grande difficulté dans le domaine du blanchiment, grâce aux fortes relations nouées avec des représentants de l'univers de la banque, de la finance et des institutions. En profitant notamment du potentiel offert par la première place boursière nationale, la 'ndrangheta et d'autres gangs criminels recyclent et/ou réutilisent l'argent sale provenant d'activités illégales, y compris internationales (...), et s'infiltrent insidieusement dans l'économie légale en exploitant des entreprises apparemment licites”.Suivent les noms des familles représentant tout le gotha de la 'ndrangheta qui opèrent en Lombardie : 1) Morabito-Bruzzaniti-Palamara; 2) Morabito-Mollica; 3) Mancuso; 4) Mammoliti; 5) Mazzaferro; 6) Piromalli; 7) Iamonte; 8) Libri; 9) Condello; 10) Ierinò; 11) De Stefano; 12) Ursini-Macrì; 13) Papalia-Barbaro; 14) Trovato; 15) Flachi; 16) Paviglianiti; 17) Latella; 18) Imerti-Condello-Fontana; 19) Pesce; 20) Bellocco; 21) Arena-Colacchio; 22) Versace; 23) Fazzari; 24) Sergi; 25) Giampaolo-Palamara-Romeo; 26) Facchineri.
“Nonostante nell’ultimo decennio si siano susseguite vaste e penetranti operazioni di polizia per reprimere il fenomeni, i sodalizi criminali hanno subito mostrato grande attitudine alla riorganizzazione e alla rigenerazione dopo le pesanti perdite subite, grazie all’apporto di nuovi soggetti trasferiti nel nord del Paese qui arrivati per rimpiazzare i membri della struttura criminale colpiti da provvedimenti restrittivi. L’organizzazione si connota nell’accertata capacità di muoversi senza particolari difficoltà sul terreno del riciclaggio, grazie a consolidati rapporti con esponenti del mondo bancario, finanziario e istituzionale. Avvalendosi delle potenzialità fornite dalla prima piazza economico-finanziaria a livello nazionale, la ‘ndrangheta, così come altre consorterie criminali, attua il riciclaggio e/o il reimpiego dei proventi derivanti dalla gestione, anche a livello internazionale, di attività illecite…inserendosi insidiosamente nel tessuto economico legale, grazie all’esercizio di imprese all’apparenza lecite”.
Il suffit de voir la concentration...
En outre, toujours selon le préfet, de nombreux indices suggèrent que certaines entreprises seront candidates à l'adjudication de marchés modestes afin d'éviter de devoir subir les contrôles nécessaires pour produire le certificat anti-mafia, indispensable pour les gros marchés. De même, il est avéré que des entreprises en odeur de mafia se servent de sous-traitants sans problèmes avec la justice pour pouvoir contrôler ensuite les chantiers, notamment au niveau du transport et des mouvements de terre...
(“molteplici indicatori segnalano che alcune imprese si stanno orientando verso appalti di importo limitato così da evitare la verifica dovuta per la certificazione antimafia. Nel contempo si registrano ricorrenti aggiudicazioni seriali sotto soglia a livello locale, i cui importi, se globalmente valutati, raggiungono cifre molto considerevoli, spesso superiori alla soglia per la quale è richiesta la certificazione antimafia. E’ altresì emerso che, spesso, società inquinate si servono di imprese sane per aggiudicarsi appalti pubblici e successivamente, tramite queste ultime, subentrano di fatto nei cantieri con propri mezzi o con l’intervento di altre ditte legate a organizzazioni mafiose… Fenomeno diffuso è anche l’aggiramento della normativa antimafia per i sub-contratti in materia di trasporto e movimento terra”).
J'arrête là en espérant vous avoir donné une idée précise de la situation. Mais de nouveau, quel est le rapport avec Carrefour ? Laissez-moi vous expliquer. [Début]
Le site Alfa-Romeo de Portello
Portello est un quartier près de Milan où l'usine Alfa Romeo a assuré sa production pendant près de 80 ans, de 1908 à 1986, année de l'achat du constructeur automobile par Fiat, qui aurait ensuite vendu la friche industrielle à la société Immobiliare Estate sei, dans le cadre d'un accord prévoyant la construction de deux gratte-ciel, d'édifices de luxe et ... d'un hypermarché, à la barbe de précédents accords signés avec les syndicats.
Globalement, tenez-vous bien, la zone recouvre une surface de 2,2 millions de mètres carrés, dont l'actuel et seul propriétaire est (je vous fais grâce des nombreux passages successifs) Marco Brunelli, encore lui : cofondateur en 1957 de Esselunga avec Nelson Rockefeller et les frères Caprotti, Bernardo et Guido, il cofonde quelques années plus tard avec Guido le groupe GS (qui fait maintenant partie de Carrefour), puis le groupe Finiper S.p.A., holding de contrôle du groupe Iper ; depuis décembre 2006, Brunelli détient 98,7% d'Immobiliare Estate sei, propriétaire de ces 220 hectares aux portes de Milan...
Naturellement, les avenants se sont succédés, et en septembre 2010, un accord de programme a été signé avec la Région Lombardie, qui prévoit en plus des deux gratte-ciel, des édifices de luxe et de l'hypermarché (ouvert en 2004), l'aménagement d'infrastuctures routières (dont une rocade), d'un réseau de transport public (métro/tramway) et d'un énorme parking qui devra desservir la zone de l'Expo 2015.
Et dire que cette zone industrielle de Portello fut créée en 1906 par un français, Alexandre Darracq, bordelais comme le soussigné, patron des automobiles Darracq, sur un emplacement jouxtant le site de l'Exposition Internationale de Milan, tenue cette année-là... La boucle est bouclée !
Attention, que les choses soient claires, je n'accuse absolument personne en racontant cette histoire, j'indique seulement que là où existent des marchés publics et privés de cette ampleur, accompagnés de la promesse de financements publics et privés millionaires, les mafias sont aux premières loges non pas pour se contenter d'assister au spectacle, mais bien pour y tenir le rôle principal. C'est d'ailleurs ce qui se passe et se passera pour la construction du Pont sur le Détroit de Messine, pour lequel la table à trois pieds ('u tavulinu : politiques / entreprises / mafias) est déjà dressée, et depuis longtemps.
Donc pour terminer notre histoire, Marco Brunelli, qui fait aujourd'hui partie du pacte d'actionnaires de Mediobanca, a racheté en février 2010 Finiper à Carrefour, en mettant fin par la même occasion à son partenariat avec l'entreprise au sein de la centrale d'achat GD Plus.
Quant au groupe Carrefour, qui réaffirme ses priorités autour du G4 (France, Espagne, Italie et Belgique), dont le déploiement du nouveau modèle d'hypermarché est prévu sur 2011-2012, il poursuit maintenant son désengagement dans le Sud du pays, puisque dès ce mois-ci des licenciements sont prévus à Capodrise (qui devient Iper de Brunelli), et Marcianise (Caserte), dont les salariés ne sont pas vraiment enchantés de passer aux mains de Despar, 50 bougies et un procès pour mafia à célébrer dans quelques jours, le 15 janvier (le parquet a demandé une condamnation à 15 ans de prison pour Giuseppe Grigoli)...
On peut les comprendre ! [Début]
Conclusion
D'aucuns se demanderont peut-être ce qui m'a pris d'écrire ce billet. En fait, la réponse est assez simple : je n'en peux plus de la mafia, de ce putain de pays mafieux et corrompu, un phénomène qui doit d'abord être dénoncé et prévenu, avant d'être réprimé. Ce n'est pas le pays que je veux pour l'avenir de mon fils, même si ça reste son pays natal, celui de sa mère, et mon pays d'adoption.
Or vu que je suis très attentif à TOUS les signes qui trahissent la présence de la mafia, mon billet n'a d'autre but que de prévenir des entreprises françaises (ce que j'écris ici de Carrefour vaut aussi bien pour Auchan, Leclerc, Conforama et autres acteurs de la grande distribution ... ou pas) de ce à quoi leur réussite et leur taille financière les exposent : elles sont des morceaux de choix pour l'appétit sans fin et sans fond des mafias, dont la première occupation consiste de plus en plus à recycler d'immenses liquidités dans l'économie légale, chaque année des milliards d'euros - ensanglantés et escroqués des pires manières sous toutes les latitudes - en quête de "légalisation"...
Car en dépit du désengagement de Carrefour dans le Mezzogiorno, apparemment pour des raisons "purement" économiques, je ne pense pas un instant que le groupe soit tellement ingénu de n'avoir pas pris en compte cet aspect - disons, "collatéral". Ceci dit, le redéploiement annoncé dans le nord du pays ne les garantit en aucune façon contre les attentions des mafias, qui colonisent désormais aussi ces régions, lentement mais sûrement, à commencer par la Lombardie. Par conséquent croire que se déplacer de quelques centaines de kilomètres pour y échapper serait une grave erreur.
Que les entreprises à succès soient donc informées et bien conscientes de ces risques concrets et de leur existence, et si jamais elles pensent avoir besoin d'un conseiller "mafia" pour leur développement en Italie, et bien mon mail est dans la signature : presque trois décennies de permanence et une connaissance fine des problématiques à votre service !
Je peux même vous concocter un rapport sur mesure en cas de nécessité...
Qui sait si Monsieur Lars Olofsson me lira un jour ? Les commentaires sont ouverts, et bonne année 2011 à toutes et à tous... [Début]
Jean-Marie Le Ray
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P.S. La réalité de la très forte pénétration mafieuse en Italie du Nord a été dénoncée par Roberto Saviano pas plus tard qu'en novembre 2010, dans une émission télévisée qui a battu tous les records d'audience de la troisième chaîne publique et déclenché une pitoyable réaction du ministre de l'Intérieur, Roberto Maroni, piqué au vif par les mots de Saviano sur les contacts et les compromissions entre 'ndrangheta et représentants du parti sécessioniste et xénophobe de Maroni, la Ligue du Nord d'Umberto Bossi. Si vous comprenez l'italien :
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