Du domaine des Murmures est le second roman de Carole Martinez. Le coeur cousu avait été un de mes coups de coeur l'année dernière. Du domaine des Murmures est en lice pour le Goncourt cette année. Nous en saurons plus le 2 novembre...
1187. Esclarmonde, fille de châtelain, refuse l'union que son père a organisée pour elle. Elle décide, à l'âge de dix-sept ans, de consacrer sa vie à Dieu en se faisant emmurer dans une cellule attenante à la chapelle qu'elle a fait construire sur le domaine. Mais le dernier matin de sa vie de liberté, elle se fait violer. Désireuse avant tout de s'offrir à Dieu, malgré la souillure que représente ce viol, elle se tait et se fait emmurer. Une étroite fenêtre munie de barreaux la relie au monde extérieur. Mais très vite, Esclarmonde se rend compte qu'elle n'est plus seule dans sa cellule.
Du domaine des Murmures est une belle histoire, un conte, une fable. Elle nous raconte le combat d'une femme, celui d'Esclarmonde, tout comme nous suivions le combat de Frasquita dans le premier roman de Carole Martinez.Mais les ressemblances s'arrêtent là. Esclarmonde décide de se retirer du monde à dix-sept ans, croyant ne rien y laisser. Mais elle se trompe. Et son goût pour la vie la détourne de sa foi et de sa dévotion. L'erreur est humaine, mais bien plus difficile à réparer quand on est emmurée à vie et que l'on a voué son existence à Dieu.La narration à la première personne - c'est Esclarmonde qui s'adresse au lecteur - offre au texte un caractère intime. Sans jamais tomber dans le pathos ou dans une quelconque mièvrerie, Carole Martinez nous présente avec ce personnage l'image d'une femme forte, consciente de ses faiblesses. Si j'ai été portée par la plume incroyable de Carole Martinez - qui allie poésie, musicalité et figures de style en tous genres - et cette intrigue plutôt originale, j'ai été déroutée par le prologue qui ancre la narration dans le présent. Des promeneurs abordent le Domaine des Murmures, et la voix d'Esclarmonde leur parvient à travers les âges pour leur raconter sa vie. Pourquoi un tel ancrage ? Il est si peu exploité que j'ai soupçonné un truchement pour expliciter le titre. C'est un passage inutile, qui offre un côté fantastique au roman qui n'en a pas besoin. Soit il fallait l'exploiter davantage et ancrer cette histoire dans le présent par le biais d'un narrateur autre, soit commencer le roman directement par la voix d'Esclarmonde, sans relier son récit au présent.
Si ce n'est ce détail, j'ai néanmoins passé un très moment de lecture. Un immense merci à ma très chère Tinusia de m'avoir surprise en m'envoyant ce livre la semaine dernière... Une belle découverte d'une auteure dont je ne cesse d'admirer la plume.Je ne résiste pas à l'envie de vous citer la fin de ce prologue décrié quelques lignes plus haut, afin que vous appréciez le style singulier de Carole Martinez...
"La tour seigneuriale se brouille d'une foule de chuchotis, l'écran minéral se fissure, la page s'obscurcit, vertigineuse, s'ouvre sur un au-delà grouillant, et nous acceptons de tomber dans le gouffre pour y puiser les voix liquides des femmes oubliées qui suintent autour de nous." (p.15)