Magazine Politique

Martine Aubreizh

Publié le 06 octobre 2011 par Variae

C’est déjà un classique et un leitmotiv des débats télévisés pour les primaires socialistes : on sait qu’à chaque émission, il va y avoir le moment Aubry où, avec l’air satisfait de celle qui a préparé son coup pendant des heures, elle attaque François Hollande, essayant pataudement de montrer qu’une de ses propositions ne fonctionne pas. A la fin du troisième débat, mercredi soir, c’est l’engagement du favori des sondages sur la création de 60 000 postes dans l’Education nationale qui en a fait les frais, la maire de Lille en critiquant le coût – elle qui ne rechigne pas, par ailleurs, à réclamer des créations de postes de policiers. Bref. On pouvait s’attendre à une intervention sous cet angle ; mais j’ai été très étonné, en revanche, que Martine Aubry, dans son bref exposé consécutif, ne revienne pas sur son grand projet scolaire annoncé deux jours avant : l’apprentissage obligatoire du breton à l’école, en Bretagne, et des autres langues régionales, là où elles sont pratiquées.

Martine Aubreizh

Quand j’ai découvert cette information sur Facebook, j’ai d’abord cru à un canular. Mais la lecture de Ouest France a vite balayé cette éventualité. Martine Aubry, dans la semaine qui précède le premier tour de la primaire du PS, s’exprime clairement en faveur de l’enseignement du breton. Elle préconise même, là où une langue régionale est pratiquée, son enseignement presque obligatoire sous la forme d’un apprentissage français/langue régionale. La proposition de Martine Aubry est précise : cet enseignement sera la règle « sauf désaccord express des familles ».

Deux réactions. La première, sur l’ordre des priorités pédagogiques que suggère cette propositions. Alors que tout le monde s’accorde sur les problèmes croissants rencontrés par les jeunes pour maîtriser le Français, alors que l’on ne cesse par ailleurs de déplorer le retard des Français sur la pratique des langues étrangères les plus employées dans le monde (que ce soit l’Anglais ou celles des puissances émergentes), la candidate qui dit faire de l’école « sa priorité » préconise comme grande idée pédagogique la « recolonisation » linguistique forcée des langues régionales. Sans que ces langues soient effectivement pratiquées et défendues par l’immense majorité des populations concernées – on lira à ce sujet le témoignage de Nicolas du blog Partageons Mon Avis, qui se trouve être « d’origine bretonne ». Je serais d’ailleurs curieux de savoir comment Martine Aubry entend étendre son raisonnement au reste de la France. Imposera-t-on des cours d’occitan en Septimanie, en l’honneur de Georges Frêche ? Des cours de chti à Lille ? Des cours de patois dans le reste du pays ? Ou bien acceptera-t-on que dans certaines zones la pratique d’une langue régionale soit contrainte, et dans d’autres non, en rupture totale avec le principe d’égalité républicaine ? Et combien faudra-t-il que Martine Aubry recrute et forme d’enseignants pour mener à bien cette mission, elle qui rechigne à revenir sur les suppressions de postes de Nicolas Sarkozy ? On notera pour finir le caractère hypocrite de l’enseignement « obligatoire sauf désaccord express des familles » : la pression sociale, et la crainte de mettre les enfants à l’écart, poussera de facto l’immense majorité des familles concernées à ne pas refuser, même si elles ne sont pas spécialement ravies de voir leurs enfants perdre du temps à s’imprégner du folklore local.

Deuxième réaction : sur la portée idéologique de cette proposition. Je continue de lire Ouest France : Pour la maire de Lille, ce renforcement de l’identité régionale ne peut que renforcer la République. Et l’enjeu n’est pas seulement culturel. « Il est devenu évident qu’on défend mieux la République française quand on la vit dans son territoire, avec sa culture. Et c’est parce que je défends avec ardeur l’idéal républicain que je défends la diversité culturelle de la France et des Français ». Outre que je ne comprenne pas très bien en quoi le fait d’apprendre le breton vous rend plus républicain, je perçois ici les prémisses d’un tropisme identitaire et communautariste, où l’appartenance à la République n’est pas d’abord une affaire légale et d’adhésion à des principes, mais doit passer par la médiation d’un terroir d’origine que l’on devrait toujours traîner avec soi, telle la tortue sa carapace. Comment reprocher à l’UMP de parler de « préfets musulmans » si la gauche explique qu’il y a des « citoyens bretons » qui sont de bons citoyens car bretons ? Et par ailleurs, qu’est-ce que « son territoire » ? S’il me prend à moi, Lorrain expatrié à Paris, l’envie d’aller m’installer en Bretagne, est-ce que cette dernière devient alors mon territoire, et mes enfants des citoyens de culture bretonne, contraints d’apprendre le breton ? Cette logique n’a pas de limites : si dans un quartier breton le wolof est la langue maternelle majoritaire chez les habitants, pourquoi leur imposer l’apprentissage du breton, et non celui du wolof ? On est, pour faire bref, dans un paradigme d’assignation identitaire qui me semble malheureusement être en continuité avec ce que construit l’UMP depuis 2007.

Favoriser le pluralisme culturel, donner à chacun les moyens de s’approprier ou de se réapproprier sa culture d’origine est une bonne chose – si cela se fonde sur la liberté, le volontariat, et le respect de la complexité de l’identité humaine, qui fait qu’un Chinois vivant à Rennes peut se sentir plus breton que son voisin qui se prénomme Ronan et dont tous les ancêtres parlaient breton. Imposer des prismes identitaires régionaux, en revanche, ne favorise aucunement l’ouverture et l’universalisme. Et je crois que la première mission du prochain président (ou présidente) sera d’abord de réunir les Français, divisés pendant cinq ans, plutôt que ressusciter d’improbables chauvinismes.

Quelle mouche a donc piqué Martine Aubry lors de ce déplacement de campagne ? Un confrère blogueur me souffle qu’il s’agissait pour elle, dans la logique de sa campagne « de réseaux », de mobiliser les défenseurs de la langue bretonne en sa faveur. Si Paris vaut bien une messe, je ne crois pas que la République mérite un tel mess, comme diraient les Anglais. Il est visiblement grand temps, pour certain(e)s, que les primaires se terminent.

Romain Pigenel


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Variae 35066 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine