Les premières écoles d’arts martiaux du Japon sont, on l’a vu dans les articles précédents, issues de l’expérience du champ de bataille. Les survivants étaient bien évidemment les mieux placés pour apporter leur expérience et former les futurs bushis. Afin de conserver l’avantage sur son ennemi, la pierre angulaire de l’enseignement était le secret. C’est la raison pour laquelle les premières écoles étaient avant tout destinées aux familles d’un clan ou aux hommes d’un seigneur, mais rarement au-delà. Il en allait de la vie des guerriers de maintenir l’entraînement le plus secret possible. Peu à peu les instructeurs des clans ont pu, grâce à des périodes d’accalmie dans l'hsistoire du pays, ouvrir des écoles avec pignon sur rue. Comme le veut la tradition des premiers dojos qui débutent autour des 14° et 15° siècles, « l’école accepte tout le monde ». Ne nous trompons pas. Ceci ne veut pas dire que n’importe qui pouvait suivre l’enseignement, mais tout le monde pouvait avoir sa chance. Le senseï de son côté était (et est toujours) libre de refuser à tout moment de faire rentrer un élève ou de continuer à enseigner à un de ses élèves.
L’entraînement avait lieu fréquemment (on peut supposer au moins une fois par jour) mais je n’ai hélas pas trouvé de chiffres en la matière. Toutefois, pour se faire une idée, on peut s’appuyer sur les chiffres des chevaliers français et anglais qui au moyen-âge s’entraînaient entre 6 et 8 heures par jour (équitation, lutte, exercices physiques, maniement des armes, joute). Cet entraînement comportait plusieurs aspects. Tout d’abord la marche ou l’équitation selon le cas, puis les manœuvres en groupe et l’art de la stratégie pour les capitaines. Ensuite venait d’autres exercices de renforcement, comme la natation en armure qui laisse songeur : imaginez-vous nager avec 30 à 40 kg de métal et de bambou sur votre corps ! Vient alors l’art de la fortification, du siège et de la sape. Egalement au menu, bien entendu, les arts de combat. Le cursus de base est généralement le maniement du sabre et de l’arc. Pour les plus soucieux de briller dans toutes les situations, le maniement du yari, du naginata sont à rajouter. Et encore ce serait oublier l'utilisation des armes en dehors du champ de bataille. C'est pourquoi les armes de jet font également partie des pratiques usuelles. Les deux petites lames sur les côtés du katana, mais aussi le tanto et dans certains cas les sabres eux-mêmes, peuvent être jetés et plantés efficacement. L'éventail de fer (tessen) est également apprécié dans les lieux où l'on ne peut pas porter les sabres. Mais qu’advient-il lorsque les armes font défaut ? Alors il faut étudier des formes de combat à mains nues (taijutsu), avec et sans armure, ce qui change radicalement les techniques à appliquer. Le cursus moyen était donc très chargé.
- Maniwa nen ryû (fondée en 1368) : kenjutsu (avec l’odachi), naginatajutsu, sojutsu (techniques de lance) et yadomejutsu (technique pour dévier les flèches)
- Tenshin Shôden Katori Shintô ryû (fondée en 1447) : kenjutsu (itto et nitto), iaijutsu, kodachijutsu, bojutsu, sojutsu, shurikenjutsu, senjutsu, shikujojutsu (techniques de fortification) ninjutsu (techniques d’espionnage), jujutsu
- Tendo ryû (fondée en 1582) : naginatajutsu, kenjutsu (odachi, kodachi, nitto, tanto, kaiken), jojutsu (techniques du bâton à partir d’une naginata cassée) et kusarigamajutsu (techniques de faucille avec une chaîne lestée)
- Yagyû shingan ryû (fondée au début des années 1600) : taijutsu, kenjutsu, bojutsu, naginatjutsu, iaijutsu, senjutsu
- Hyoho niten ichi ryû (fondée du vivant de Musashi, entre 1584 et 1645) : kenjutsu (odachi, kodachi et nitto), jittejutsu (techniques du brise-lame), bojutsu, jujutsu, senjutsu (techniques de stratégie)
Je ne cite que cinq écoles anciennes, mais l’on pourrait passer en revue la liste complète avec le même constat. Le même constat ? Pas tout à fait. En effet, de nombreuses écoles classiques ne comprennent que l’étude du sabre, comme shinkage ryû, yagyû shinkage ryû, kashima shinto ryû, shindo munen ryû, kurama ryû, kashima shinden jikishinkage ryû et bien d’autres encore. Alors ?
A présent, revenons à notre époque et examinons les shinbudo : le judo et le karatedo sont des techniques de taijutsu uniquement. Le kendo est orienté sur l’étude du sabre, tout comme le iaïdo ou encore le battodo. Le kyûdô s’intéresse exclusivement à l’arc. Le jodo et le bojutsu (on ne dit pas bodo) sont deux formes d’étude du bâton. Seul l’aïkido propose un éventail plus large, en digne héritier du daïto ryû et des techniques du clan takeda qu’enseigna Sokaku Takeda au fondateur de l’aïkido, Morihei Ueshiba. C’est pourquoi l’on retrouve l’étude du bokuto, du jo, du tanto et du taijutsu si particulier à l’aïkido. Les shinbudo dans leur grande majorité sont des disciplines uniques et non transversales (arme ou taijutsu, pas les deux sauf pour l’aïkido). L’étude des arts de soin et de la stratégie ont disparu. Les enseignants ne craignent pas pour leur vie quand ils ouvrent un dojo et ne s’inquiètent que des cotisations et de l’agrément d’une fédération. On mesure encore une fois le gouffre technique et les siècles qui séparent les kobujutsu des shinbudo.
Conclure de ces trois articles que les koryû sont plus intéressantes, plus complètes et plus riches seraient un jugement hâtif et surtout un jugement de valeur. Chaque période de l’histoire est différente et s’il est heureux que certains perpétuent des traditions séculaires il est bon que les shinbudo se soient adaptés à notre époque de paix. De plus les techniques de guerre ont considérablement évolué, c’est le moins qu’on puisse dire. Aussi, étudier un koryû dans l’espoir de devenir un vrai combattant est un leurre complet. Mieux vaut s’engager chez les commandos ou tout autre corps d’élite de l’armée. En revanche, les amateurs d’armes blanches, de travail acharné, de rigueur et de discipline, d’histoire et de recherche sur les racines des arts martiaux modernes, trouveront dans les koryû une source sans fin d’inspiration et d’émerveillement.
A tous, je vous souhaite de trouver du plaisir dans votre voie, quelle qu’elle soit, c’est là le plus important.