La Génération Web 0.2 n’aime pas du tout l’excellente mémoire d’Internet
C’est en ne regardant pas du tout le débat des primaires du socialisme décontracté que j’ai encore une fois constaté à quel point notre élite politicienne était technologiquement contrariée. Certes, c’est assez facile de se moquer de ces pathétiques candidats puisqu’ils se jettent eux-mêmes en pâture dans une soupe médiatique typiquement 20ème siècle. Mais ce constat est facile à étendre sur tout les vieux débris qui sucent aux mamelles républicaines…
Et c’est grâce à un lien d’un lecteur (que je remercie au passage) que je suis tombé sur cette palpitante émission récente d’Yves Calvi sur France-5.
Utiliser les technologies du 21ème siècle est très pratique, quand on y pense : on dispose ainsi, rapidement, de l’information dont on a besoin, sans avoir à se palucher les centaines d’heures de crétineries consternantes que débitent les stations de radio ou de télévision. Et pour un type comme moi, qui n’a pour ainsi dire aucune minute à accorder à la télé, c’est une utilisation optimale de mon temps.
Si je m’attarde sur ce mode de consommation, c’est aussi pour faire remarquer que cette utilisation des nouvelles technologies introduit une cassure nette entre un vingtième siècle où les producteurs de contenu maîtrisaient bien la façon dont cette information était distribuée, et un vingt-et-unième où tout le monde peut devenir producteur, et où toute information peut être reproduite, disséquée à loisir, analysée, et, surtout, conservée.
Et c’est cette dimension que nos vieux dinosaures républicains n’arrivent absolument pas à comprendre et à gérer. Ils ne sont, tout simplement, pas équipés pour. Pire : cette conservation ad vitam aeternam des informations, ça les terrifie jusqu’au plus profond d’eux-mêmes. Pour eux, l’oubli est un droit, inaliénable et imprescriptible, qu’ils font absolument tout, actuellement, pour élever au-dessus de la liberté d’expression et de la vie privée.
C’est ainsi que, dans cette émission, on découvre un Alex Türk affolé, terrorisé même, à l’idée que la notion de vie privée évolue à ce point par l’impact des réseaux sociaux sur les comportements des internautes et des citoyens.
Précisément, il déclare :
« Notre vie privée va être profondément bouleversée dans les 10 ans qui viennent. Mais bientôt, je pense qu’on ne maîtrisera plus vraiment notre intimité, notre identité. (…) A l’horizon 2020, vous n’aurez jamais plus la certitude absolue de vivre en étant ni entendu ni vu. Et ça je pense que c’est insupportable. (…)On est prêts à renoncer à nos libertés individuelles en cédant à la tentation technologique. Les gens ne sont pas conscients de cela. On a fait des études, et des milliers de gens n’ont absolument pas conscience qu’en rentrant dans des systèmes, ils sont immédiatement repérés, suivis pour l’éternité. Je ne suis pas certain qu’ils aient des structures intellectuelles préparées au point de résister au travail des professionnels qui sont chargés d’établir leur profil. Moi, j’ai 61 ans, je vais passer au travers des gouttes, mais je pense à mes enfants et mes petits enfants. Comment vont-ils s’adapter ? »
C’est vrai, quoi, les générations futures, mon brave Yves Calvi, t’y as pensé, aux générations futures ? Elles vont au devant d’un de ces problèmes, moi, je te dis, aïe aïe aïe !
En effet, comme chacun le sait, les générations futures, ça ne s’éduque pas. Ca ne sait pas, ça ne peut pas savoir, et ça ne saura pas s’adapter à la nouvelle donne. Z’ont pas les bonnes structures intellectuelles bien préparées comme il faut. Sur les 100.000 dernières années, les générations futures ont réussi à s’adapter, mais là, c’est trop comprenez-vous : il existe maintenant un truc qui va se rappeler pour l’éternité des conneries qu’on raconte et qu’on publie !
Alors que faire ? Hein, alors ?
Attendez. Avant de proposer une solution, il faut d’abord faire appel à l’émotion. Ce que notre bon Alex enchaîne avec brio :
La vie privée et la liberté d’expression ne se négocient pas. La protection des données personnelles, c’est quelque chose de sacré.
Moyennant quoi, on l’apprend un peu plus loin,
Pour internet et la géolocalisation, il faut une position mondiale.(…)
Il faut absolument aller vers une régulation internationale. De toute façon il n’y a pas d’autre solution.
Limpide, non ?
Comme la vie privée serait menacée par cette mémoire eidétique qu’offre internet, vite vite, régulons. Et de préférence, au niveau mondial. Ceux qui connaissent Alex Türk (l’ancien président de la CNIL) ou qui ont lu sa biographie Wikipédia ne seront pas étonnés : nous avons ici affaire avec un gagnant régulier aux Big Brother Awards, notamment en 2010, « Pour tromperie et dissimulation, [et pour avoir endossé] les habits du défenseur tout terrain de la vie privée et des libertés alors qu’il en est parfois le fossoyeur et souvent le facilitateur. »
Il ne vient en effet pas à l’esprit de notre bon sénateur Türk que, petit à petit, les gens se rendent compte que Facebook, Twitter et d’autres sont un reflet de ce qu’ils publient. Les internautes de 2000 et ceux de 2011 ne sont pas les mêmes et les derniers ont déjà commencé à prendre des mesures concrètes pour faire attention à leur identité numérique.
Le danger évident de mettre en place de gros coussins législatifs (au demeurant techniquement impossibles), c’est, comme d’habitude en Socialie, d’enlever toute responsabilité au gentil internaute : il poste sur internet des photos de lui, nu, bourré chez le voisin, et récolte des misères dans son travail ? Heureusement, l’Etat est là et efface les méchantes traces. Et le fait de faire l’andouille et de le publier bruyamment n’est plus considéré comme un écart, mais simplement comme une péripétie que Maman Etat va nettoyer derrière.
Avec l’argent du contribuable.
Evidemment, tout ceci ne sert que de prétexte.
Ce qui terrifie le petit Alex, et qui détruit nos politiciens à petit feu, c’est bel et bien le fait que de plus en plus ils sont confrontés non pas à l’image privée qu’ils ont d’eux-mêmes, mais leur propre image publique qu’ils ne peuvent plus entièrement contrôler.
Or, pour un homme public, ne pas pouvoir contrôler son image, c’est une catastrophe.
Exemple pratique:François Hollande
En début de campagne des primaires socialistes, il nous écrivait doctement qu’il fallait abroger HADOPI. Et paf, un lien HTML. Internet se souvient. On a même son texte, ici.
Je ne pointe pas sur son site, parce que si on cherche à l’adresse http://www.francoishollande.fr/03062011/propos-de-la-loi-hadopi , on obtient ceci :
Roooh. Le petit coquin. Il a retiré le billet incriminant.
En effet, notre froufroutant clown présidentiable n’a rien trouvé de mieux à faire qu’à revenir sur ses propos. Ce n’est pas malin : de nos jours, tout ce qu’un politicien écrit publiquement pourra être retenu contre lui, ce qui sera d’autant plus facile qu’il aura tout fait pour.
Hollande et Türk (comme à peu près 99% de la classe politique actuelle) sont de cette génération Web 0.2 qui n’a toujours pas compris qu’avec Internet, on sait tout de suite s’ils se contredisent. Et comme ils ne veulent absolument pas assumer leurs contradictions, que cette mémoire dévoile leurs petits jeux politiques minables, ils en appellent aux procédés émotifs les plus grossiers pour tenter, une fois de plus, de renverser la vapeur.
Ne vous leurrez pas : si Türk et tant d’autres politiciens réclament à cors et à cris une régulation d’internet, un Droit à l’Oubli là où seule l’éducation et la responsabilité devrait prévaloir, ce n’est pas pour sauver vos miches.
C’est pour sauver les leurs, pour qu’ils puissent continuer à s’occuper des vôtres.
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