Les informations mises à disposition des médias occidentaux par l’industrie aéronautique chinoise sont maigres. Qui plus est, il n’est pas facile d’évoquer les programmes en cours avec des responsables rencontrés, par exemple, au salon du Bourget. Dès lors, il convient de tenter, au mieux, la synthèse des données obtenues par bribes et morceaux. Cela, bien sûr, à propos des seuls programmes civils, ceux de Comac. Il apparaît ainsi de plus en plus clairement que l’avion régional ARJ21 se heurte à des difficultés, lesquelles auraient d’ores et déjà un impact sur le C919, lequel se positionne en concurrent des familles Boeing 737 et Airbus A320.
L’ARJ21 prend beaucoup de retard, les premiers exemplaires de série devraient aujourd’hui être en service mais ne seront apparemment pas livrés avant le deuxième ou troisième trimestre de l‘année prochaine. Du coup, le C919 serait décalé d’autant, peut-être parce que le bureau d’études dont il est issu ne serait pas en mesure de mener les deux tâches de front. Des retards dont l’importance est très relative et qui, a priori, n’ont rien de choquant : aucun des programmes lancés au cours de ces dernières années n’a respecté son calendrier initial, qu’il s’agisse d’Airbus ou de Boeing. Les Chinois ne feraient donc pas exception à cette curieuse règle non dite.
Le cas de Comac n’en retient pas moins l’attention pour des raisons qui lui sont propres. Le constructeur chinois a en effet affiché une tranquille assurance lors de l’annonce de ces deux opérations et a placé la barre très haut, ce qui témoigne peut-être d’une certaine forme de candeur. En clair, les difficultés auraient été sous-estimées et les prévisions seraient exagérément optimistes.
A vrai dire, on a du mal à s’y retrouver. Comac a conclu un accord avec Bombardier dont il est pour le moins difficile de saisir les contours, d’autant que le CRJ 1000 et l’ARJ21 sont sur le même créneau tandis que le C.Series est proche du C919. En d’autres lieux, dans d’autres circonstances, on parlerait sans doute d’incompatibilités. A l’opposé, on comprend mieux les liens que les Chinois ont établis récemment avec Fokker et qui visent le support après-vente. Cette branche survivante du défunt avionneur hollandais dispose en effet d’un solide savoir-faire en la matière.
Ici et là, des voix s’élèvent ainsi pour accuser la Chine de vouloir trop en faire, trop vite, en matière de technologies de pointe. Des sinologues accomplis s’interrogent sur la véritable signification des déboires du train à grande vitesse chinois et tentent un parallèle avec les difficultés techniques de Comac. C’est une piste intéressante, encore que semée d’embûches dans la mesure où, répétons-le, les informations de première main font défaut.
C’est la capacité «d’intégrateur» qui serait en cause, avant tout, ARJ21 et C919 faisant appel à une palette de fournisseurs étrangers, motorisation et équipements, qui ne sont pas développés au niveau national. La critique, pourtant, n’est sans doute pas recevable à partir du moment où, dans le domaine militaire, des résultats remarquables ont été enregistrés récemment, à commencer par l’apparition de l’avion de combat de nouvelle génération J-20. Mais remplit-il bien les conditions imposées par la fiche-programme qui lui a donné naissance ? Là encore, les informations font défaut.
Finalement, les torts sont peut-être de notre côté, plus particulièrement en ce qui concerne le C919. Au vu des objectifs poursuivis, d’entrée, les uns et les autres ont entrepris de comparer le 150 places chinois à l’A320 NEO et au 737 MAX. Ils ne jouent pourtant pas dans la même catégorie, Airbus et Boeing suivant une filière abordée de très longue date et adoptant grâce à ces dérivés une stratégie d’attente. Les «vrais» successeur viendront plus tard. Le C919, tout au contraire, est tout à la fois un premier essai et un aboutissement. La surestimation sévirait dès lors tout autant à Toulouse et à Seattle, l’avion chinois étant en réalité un danger commercial largement virtuel. Ce qui n’enlève rien à ses mérites.
Pierre Sparaco - AeroMorning