À entendre les commentaires sur les Primaires socialistes, l’opération est une totale réussite, avant même d’avoir eu lieu, alors qu’on ne sait pas même combien d’électeurs y participeront. Cela peut changer le résultat final, mais si le Parti socialiste a choisi d’organiser des Primaires ouvertes au-delà des adhérents du PS, ce n’est au fond pas pour choisir le candidat mais pour lancer une dynamique de victoire. Les Primaires d’octobre 2011 préparent-elles vraiment une victoire pour le 6 mai 2012 ?
Pour le PS, une nouveauté à double tranchant
Combien de Français iront voter les 9 et 16 octobre ? S’ils y participaient autant que dans les autres pays européens où un tel processus a eu lieu (comme en Italie), cela représenterait environ 10 % de l’électorat, soit 4 millions de votants. Un récent sondage LH2-Libération fait monter ce taux de participation à 33 % soit 15 millions de votants. Le PS préfère tabler sur 1 million de participants et a prévu sur cette base 10 000 bureaux de vote. Ces variations dans l’électorat attendu laissent imaginer l’ampleur de la surprise qui se prépare peut-être aujourd’hui, n’importe quel revirement étant possible dans quelques jours par rapport aux sondages effectués, selon la composition de l’électorat et le degré de marginalisation des militants socialistes.
Le 1er octobre 2009, 68 % des militants socialistes se sont prononcés pour l’organisation de Primaires « ouvertes » aux non-adhérents, dans un scrutin interne qui, malgré une participation assez faible (46 %) indiquait un choix très clair. Pourquoi les militants socialistes, propriétaires collectifs d’un parti historiquement structurant de la gauche française, ont-ils ce jour-là choisi de se dessaisir du droit de choisir eux-mêmes le candidat à même de défendre leurs idées aux élections présidentielles ?
Le débat sur les primaires au Parti socialiste est extrêmement ancien comme le rappelle de façon très détaillée et pertinente Rémi Lefebvre dans son récent ouvrage Les primaires socialistes (voir aussi la critique de La Brèche). Déjà, pour les Présidentielles de 2007, des primaires avaient été organisées au sein du PS mais avec la participation d’adhérents à prix réduit (les « adhérents 20 euros ») pour la plupart aussi vite repartis. Ces primaires avaient d’ailleurs aussi donné lieu à des débats télévisés (sur LCP). C’est après l’échec de Ségolène Royal, et en raison du spectacle de désunion montré pendant cette campagne et à l’occasion du congrès de Reims en 2008, mais aussi des échecs répétés aux Présidentielles (1995, 2002, 2007) que l’idée de Primaires ouvertes monte, malgré certaines oppositions fermes, en particulier de la part de François Hollande et de son entourage direct. C’est sous l’impulsion d’Arnaud Montebourg et du think tank Terra Nova présidé par Olivier Ferrand, auteur du rapport Pour une primaire à la française avec Olivier Duhamel, que cette idée convainc les socialistes. Le succès de la campagne de Barack Obama aux États-Unis n’y est pas totalement étranger non plus, car c’est après le retour d’une délégation partie auprès de l’équipe d’Obama, comprenant le directeur de cabinet de la nouvelle Première secrétaire Martine Aubry, Jean-Marc Germain, la députée des Deux-Sèvres (« Royaliste ») Delphine Batho, Arnaud Montebourg et Olivier Ferrand, que la direction du PS se convertit à cette idée. Une commission est alors constituée par Martine Aubry et présidée par le duo Montebourg-Ferrand, un rapport est remis le 17 juin 2009, une pétition est signée par de « grands noms » à la fin de l’été 2009 (BHL, Touraine, Cayrol), et le tout débouche sur l’adoption du principe par les militants, et finalement l’organisation du scrutin d’octobre 2011.
Le véritable objectif des primaires
Trois objectifs étaient affichés par le rapport Pour des primaires ouvertes et populaires de la commission Montebourg-Ferrand :
• Objectif n° 1 : donner la plus grande dynamique politique au vainqueur
• Objectif n° 2 : opérer le rassemblement politique le plus large au profit du vainqueur
• Objectif n° 3 : choisir le « meilleur » candidat, le ou la futur(e) Président(e)
Il est encore une fois clair que l’objectif n° 3 n’a guère de portée, le choix du meilleur candidat aurait très bien pu revenir aux militants socialistes et le choix du futur Président échoit naturellement au scrutin présidentiel de 2012. Cet objectif est donc forcément atteint, mais rien ne dit qu'il les mieux que par des Primaires fermées. Aux États-Unis, John McCain aussi avait été désigné par des Primaires ouvertes.
Les deux objectifs n° 1 et 2 sont en revanche plus intéressants et sont ce qui a vraiment convaincu le PS et ses militants d’adopter des Primaires ouvertes. Commençons par l’objectif n° 2 qui visait à rassembler l’ensemble des partis de gauche dans cette dynamique. Ce second objectif a visiblement échoué : le PS, organisateur des primaires, en est aussi le seul participant, si l’on excepte le Parti radical de gauche qui a trouvé là le moyen le moins déshonorant de renoncer pour la seconde fois consécutive à présenter un candidat aux élections présidentielles. La stratégie solitaire des Verts, la détermination d’autres candidats à se présenter (Jean-Luc Mélenchon, Jean-Pierre Chevènement) et l’impossibilité de rallier le MoDem ont donc eu raison de cet objectif-ci.Reste donc l’objectif n° 1, le seul donc par lequel se mesurera le succès éventuel des Primaires. En proposant de « donner la plus grande dynamique politique au vainqueur » cet objectif affirme le souhait de créer :
- une dynamique militante pour « drainer des millions de sympathisants vers le candidat » (p. 45, avec une référence ouverte à Obama) ;
- une dynamique citoyenne : « réconcilier les citoyens avec l’action politique » en leur permettant « d’être associés à la définition progressive du projet, issu du débat d’idées de la Primaire ».
Là aussi, il faut bien constater que la dynamique « citoyenne » est d’une pertinence assez contestable dans le processus des Primaires tel qu’il a fini par être adopté, le projet socialiste ayant été adopté en amont et les candidats mettant eux-mêmes en avant des propositions personnelles assez marquées et parfois contradictoires (protectionnisme contre libre-échange, hausses budgétaires à la culture ou à l’éducation contre réductions), qui ne laissent guère de place à une éventuelle recomposition totale d’un projet présidentiel à partir des propositions des uns et des autres. La dynamique militante est donc, à l'automne 2011, le seul objectif pertinent et mesurable à partir duquel peut être évaluée la réussite des Primaires.
Une opération communication ratée
Ce petit retour sur l’organisation des Primaires permet donc de saisir quel est le véritable but de l’opération : créer derrière le futur vainqueur une « dynamique militante », autrement dit un soutien populaire qui constituerait sans nul doute une force pour le candidat socialiste dans la perspective du scrutin d’avril-mai 2012. Cette idée dynamique militante, une fois encore, c’est Barack Obama qui l’inspire. Obama, que les socialistes se plaisent à souvent critiquer, les fait néanmoins rêver lorsqu’il s’agit de sa campagne électorale de 2007-2008, qui a définitivement marqué l’histoire de la communication politique.
Aujourd’hui, à quelques jours des Primaires, alors que trois débats se sont déroulés à la télévision, que reste-t-il à vrai dire de cette ambition ? Les débats télévisés ont été des exemples très frappants de froideur aseptisée, dans des décors blancs et bleutés qui auraient pu correspondre au Parti démocrate américain mais sont en France plus appropriés à la communication de l’UMP. Le public lui-même, à chaque fois aussi léthargique, alignement de visages immobiles et cireux, était loin d’évoquer la « dynamique militante » d’un meeting, mais aussi très loin du rythme et de la ferveur des débats des Primaires américaines. Les questions abordées (les déficits publics, la sécurité, les banlieues et l’islam) faisaient elles-mêmes ressembler ces trois soirées à un point presse gouvernemental. On savait la cellule de communication du Parti socialiste peu efficace et plutôt en retard sur le monde actuel, mais le problème est là d’une autre dimension et relève de la faute professionnelle : les débats télévisés n’étaient pas là pour permettre aux candidats d’exposer leurs idées dans un silence mortel, mais devaient leur offrir une tribune pour convaincre les Français et mobiliser le peuple de gauche. Les militants socialistes s’étaient certes prononcés pour des Primaires ouvertes, mais à aucun moment il ne s’était agi de mettre sur pied des Primaires qui ne soient en rien socialistes, en rien même de gauche.Le passage à des Primaires ouvertes était, et demeure d’ailleurs probablement pour les années à venir, une question très complexe en ce qu’elle remet en question le rôle même du Parti politique, dont le rôle démocratique d’interface et de proposition, décrit par Jean-Marie Donegani et Marc Sadoun (La démocratie imparfaite), n’a jamais été totalement assumé mais disparaîtrait cette fois pour passer à un statut d’écurie professionnalisée au service des candidats. Mais si le PS doit abandonner son rêve d’incarner une force militante, que du moins la nouvelle formule permette aux idées de gauche d’être défendues et de convaincre. Qu’elle crée cette dynamique : de ce point de vue en tout cas, les Primaires de 2011 semblent se diriger vers un échec.
Reste aujourd’hui de ces Primaires la dimension procédurale, peut-être seule, ce qui pouvait être à prévoir (Laurent Olivier, 2009). Une dimension qui ne semble guère plus servir qu’à masquer les insuffisances idéologiques, les doutes, les hésitations d’un parti en quête permanente de rénovation, et qui n’a jamais semblé aussi passéiste et fragile. Les Primaires devaient lui donner un nouveau souffle. Mais aujourd'hui, sans une forte mobilisation les 9 et 16 octobre et sans un effort pour trouver enfin cette chaleur militante, et ― qui sait ? ― un projet convaincant au-delà d’un programme, c’est un souffle qui risque d’être bien court pour atteindre le 6 mai 2012.
Crédits iconographiques : 1. Premier débat des Primaires, le 14 septembre © 2011 France 2 | 2. Débat démocrate au Texas, le 21 février 2008 © CNN | 3. Meeting de Jean Jaurès au Pré Saint-Gervaus, contre la loi des trois ans (1913). DP.