Jean-Christophe GRANGE - Le Passager : 8,5/10

Par Eden2010

Jean-Christophe GRANGE - Le Passager : 8,5/10

Voilà un vrai thriller qui parvient à tenir en haleine tout au long de ses 750 pages.

Il est vrai qu’en lisant la première phrase, puis les premiers chapitres, on doute d’abord, on s’interroge : ne serait-ce pas encore un de ces livres suspense à la construction solide mais scolaire, une construction classique manquant de souplesse qui amène à l’affrontement prévisible et explosif ? La phrase d’attaque nous ébranle en ce sens : « La sonnerie pénétra sa conscience comme une aiguille brûlante » … suivi quelques pages plus loin d’un « un rire(qui) jaillit de sa bouche comme le sang d’une plaie » … franchement, à cet instant on a presque envie de refermer le roman.

Mais c’est au moment même où le doute nous fait vaciller – tiendrons-nous 750 pages de thriller classique saupoudré de phrases stéréotypées – que le véritable roman commence !

Et l’intrigue vaut le détour (le style se détend également très largement) !

Malgré une chute très décevante et quelques petits accrocs c’est un excellent roman du genre.

Jean-Christophe Grangé nous y montre son talent ; il ne se contente pas de se reposer sur ce qui semble inné chez lui et s’efforce de s’immerger dans les milieux que traverse son héros. On sent qu’il s’est plongé dans les recherches pour y parvenir et s’est donné les moyens pour remplir ce roman d’action, de suspense et d’une véritable intrigue, aussi crédible que possible compte tenu du sujet et de l’histoire … dont voici le début et le résumé (ah, vous avez noté ma transition, super, hmm ???) :

L’intrigue :

Mathias Freire, psychiatre à Bordeaux, est de garde lorsqu’un homme est amené au service d’urgence : aucune blessure apparente, mais l’individu a perdu la mémoire. Mathias s’intéresse de près à ce cas atypique. Il est d’autant plus intrigué que l’homme amnésique lui fait part d’un rêve étrange, très similaire à un rêve qu’il a eu lui-même !

Dès le lendemain, l’homme sans mémoire commence, par bribes, à retrouver ses souvenir, son nom, son dernier travail … seulement, après vérification il s’avère que tous ces souvenirs sont factices, inventés par le subconscient du patient.

Mathias est devant un cas rarissime, celui d’une fugue psychique ! Son patient a certainement vécu un évènement traumatisant qui a effacé sa mémoire, et son subconscient construit une nouvelle identité qui prend la place de l’ancienne, l’effaçant au passage totalement.

Mais l’homme amnésique traîne dans son sillage un autre mystère : un meurtre terrifiant a été commis non loin de l’endroit où on l’a retrouvé errant sans mémoire. Un homme a été retrouvé mort, mutilé de façon horrible, une tête de taureau enfoncée sur le crâne, faisant de lui un véritable minotaure !

La jeune capitaine Anaïs Chapelet reçoit l’appel et la voici sur sa première grande affaire, et quelle affaire ! Elle se promet de tout mettre en œuvre pour la résoudre, pour en faire un tremplin pour sa carrière.

Son enquête la mène rapidement sur la trace de l’homme amnésique ; bien que celui-ci ne soit pas suspecté du meurtre il a tout de même été retrouvé non loin de la scène du crime, des objets ensanglantés dans la main. Peut-être a-t-il observé l’assassin, peut-être est-ce cela qui a provoqué son traumatisme psychologique ?

Anaïs poursuit son enquête avec acharnement. Des empreintes sont retrouvées sur la scène du crime et permettent ainsi de remonter à un clochard du nom de Victor Janusz qui semble avoir disparu depuis des mois.D’autres éléments d’enquête interpellent la jeune policière : d’où vient le taureau ? Quel est le mobile de ce meurtre mythologique ? Y en a-t-il eu d’autres, y en aura-t-il d’autres ? Que faisait l’amnésique sur le lieu du crime ? Qu'a-t-il vu ?

De son coté, Mathias Freire, étrangement touché par ce cas si particulier, commence à fouiller dans le passé de son patient et découvre quelque chose d’étonnant : cette fugue psychique qui l’a amené dans son service n’est pas sa première ! Son patient semble s’être déjà reconstruite une première identité, et qui sait combien avant cela ! Un cas d’école surprenant et passionnant pour tout psychiatre.

Mathias ne peut s’empêcher d’enquêter de son coté… jusqu’à se trouver devant un véritable gouffre, inattendu et terrifiant : celui de sa propre identité !

Car son patient n’est pas le seul en fugue psychique – Mathias Freire lui-même n’est pas ce qu’il pensait être. Son passé n’existe pas, son identité est fausse. Quelle est la probabilité que deux cas de ce type se croisent ? Infimes.

Pire encore, non seulement Mathias était un autre encore quelques mois auparavant, mais surtout, il portait alors l’identité de Victor Janusz, le clochard suspecté du meurtre du minotaure !

Est-il un assassin ? Est-il un simple malade ? Est-il une victime, une proie ?Un témoin, un observateur ? Qui est-il ? D’où vient-il ?

Mathias décide de se lancer à la poursuite de son propre passé, espérant ainsi prouver son innocence.

Il est désormais en fuite : il fuit la police, il fuit la menace d’une nouvelle fugue psychique qui le ferait à nouveau tout oublier et il fuit une puissance obscure qui semble le suivre pas à pas.

Ce roman est franchement palpitant. Les différentes parties nous font suivre Mathias à travers ses diverses identités tandis qu’il remonte, mois par mois, dans son passé pour atteindre sa véritable identité et peut-être découvrir l’assassin.

Pour cela il endossera ses anciennes vies comme des costumes ; de psychiatre il se plongera dans la vie des clochards de Marseille, puis … mais je ne vais pas vous en révéler plus. Sachez que d’autres terribles meurtres jalonnent sa route, que ses découvertes le mènent encore plus loin et encore plus loin, que la menace qui pèse sur lui devient de plus en plus tangible ….

On retrouve bien évidemment les classiques du genre : la femme flic qui traîne ses propres casseroles derrière elle, le petit coup de foudre entre elle et le suspect, le mystérieux complot, le rêve répétitif, le mystère, les meurtres rituels.

Seulement, ce n’est pas tout !

Nous plongeons dans une noirceur que ni Mathias, ni nous-mêmes ne comprenons. L’auteur parvient néanmoins à nous laisser des indices qui nous permettent de garder dès le début les yeux rivés sur le fil rouge, de ne pas nous perdre et de connaître la direction globale que nous empruntons.

Si nous suivons d’un coté Mathias de l’intérieur de l’enquête, nous suivons de l’autre coté Anaïs et avec elle l’enquête policière qui n’avance que difficilement et se focalise sur un seul coupable : Mathias.

L’auteur était audacieux, il aborde des milieux très différents, les lieux les plus divers, mêlant l’action à une psychologie complexe, une enquête qui se dédouble, qui se recroise, qui se poursuit, toujours autour du même fil rouge.

Vous le voyez, j’ai adoré ce livre, je lui ai attribué une bonne note, malgré ses quelques petits ratés et imperfections.

Je tiens à relever plusieurs aspects plus "techniques" du roman :

Comme je l’ai déjà mentionné, l’auteur s’est clairement donné beaucoup de mal dans la préparation de son livre, les descriptions des milieux, des lieux, des techniques de photographie, de l’art, du milieu des sans-abri, de l’aspect psychologique …

On le ressent peut-être un peu trop par moments, mais cela permet au moins de rendre l’ensemble crédible - sauf peut-être la fin ultime que j’ai trouvé tirée par les cheveux, et encore, des cheveux filasses (heureusement que cela ne gâche pas le cheminement même du roman).

Ainsi, Jean-Christophe Grangé se plonge corps et âmes dans les milieux qu’il décrit, et si, par moments, il pèche par son imprécision ou simplement une légère ignorance, il s’efforce clairement d’être aussi exact que possible dans ce qu’il écrit. Tout sonne d’ailleurs vraisemblable, qu’il parle de la peinture, de la psychiatrie, de la photographie ou autre.

Pour exemple, et contrairement à bien d’autres écrivains, Jean-Christophe Grangé s’efforce d’employer les termes techniques adéquats ; il est ainsi très précis dans le langage de la police judiciaire. Lorsqu’on demande à Anaïs « vous avez un mandat », elle répond « les mandants, c’est bon pour la poste. Si vous voulez parlez d’une commission rogatoire signée par un juge … » .

Néanmoins, quelques points m’ont gênée et nuisaient à la cohérence de l'ensemble.

Déjà, certains aspects et détails ne seront jamais expliqués, nous n’iront pas au bout de quelques'uns des filaments du fil rouge, si on peut dire. Je ne peux les citer sans quoi je gâcherai le suspense, mais sachez que certaines questions resteront sans réponse ; dommage, mais pas dramatique.

Quelques incohérences, et parfois l’auteur oublie des détails, comme lorsque Mathias se fait mordre par un chien dans le mollet,une morsure suffisamment profonde pour qu’il soit gêné par sa « patte folle » …. Or, le lendemain, plus rien. Il ne soigne à aucun moment cette blessure, mais dès le lendemain il ne semble plus rien avoir, pas d’infection (en général, une morsure de chien non soignée s’infecte aisément !), le muscle du mollet ne semble même plus douloureux. Il en a de la chance !

Les descriptions des lieux sont un peu édulcorées. Ainsi je n’ai pas reconnu Nice, décrite comme une ville très sûre, un peu comme Monaco peut-être avec une surveillance par caméras très poussée … et bien, en tant que Niçoise je peux vous dire que j’aimerais bien que Nice soit comme cela ! Moi, personnellement, je ne sors pas seule quand la nuit tombe et je me suis déjà faite agresser trois fois dans la rue (heureusement que je suis toujours préparée). Mais ce n'est pas bien important, et M. Grangé a parfaitement raison lorsqu’il décrit le coté morne et gris de la période du carnaval (en dehors des défilés).

Un autre point m’a vraiment ennuyée : il y a une chose qui m’agace chez les auteurs, c’est quand ils insèrent des mots ou phrases prononcées dans une langue étrangère dans leurs romans et que ces quelques mots sont faux ! Je ne peux juger des mots prononcés dans une langue slave, mais je peux clairement dire que le seul et unique mot allemand utilisé dans ce roman – un seul mot !! et simple encore !! – est FAUX :

A un moment ils frappent à la porte d’un atelier qu’occupe un artiste allemand qui leur lance alors, dans le livre : « Hereinkommen ». Non, non, non ! Si c’était un allemand, ce n’est CERTAINEMENT PAS ce qu’il dirait.

Il aurait pu dire : « Herein », ou alors « Kommen sie rein », mais il n’utiliserait pas le verbe non conjugué ! Un seul mot, un seul, et il est faux. Là, cela m’ennuie. L’auteur aurait pu faire vérifier, par une simple application d’internet !

En ce qui concerne les autres langues, je ne les parle pas, je ne peux donc rien dire là-dessus. Si cela se trouve c’est la seule et unique erreur commise.

Donc, quelques tout petits ratés.

Mais rien qui gâche le plaisir de lecture, le suspense, la finesse de l’intrigue - sauf la fin, qui est presque triste tellement elle ne répond pas aux attentes.

Une intrigue parfaitement pensée, magnifiquement déroulée.

Si les tous derniers chapitres sont un peu décevants, cela n’enlève rien à la qualité des quelques sept cents pages qui précèdent !!

Un roman que je conseille vivement !

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