Avec la révolution libyenne et depuis la guerre de libération de l’Algérie, c’est la seconde fois dans l’Histoire contemporaine du Maghreb, que la question de la participation, au pouvoir, des populations « berbérophones » du Nord de l’Afrique, est liée à l’idée d’un projet de démocratisation d’un régime politique. La première date d’un demi siècle, quelques semaines seulement, après que Ben Bella, soutenu par le Colonel Boumedienne ait évincé du pouvoir le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne qui venait de rentrer de Tunis, avec à sa tête Ben Khadda. Ce dernier avait déclaré, la veille, à son départ de Tunis, que son équipe avait le soutien du Président Bourguiba.
Démocratisation, non pas, dans le sens de la sauvegarde de l’identité culturelle, des minorités relatives que sont les populations de la Grande et de la Petite Kabylie, mais dans celui de la prise en considération d’une vision politique démocratique dont l’aile berbère des chefs historiques, aussi bien militaires que politiques, s’étaient déclarés porteurs dès le lendemain de leur retour de Tunis, siège du GPRA.
C’était la première tentative, à laquelle le pouvoir Arabo-Socialiste, instauré par Ben Bella-Boumédiene, avait répondu en faisant investir Fort National et Tizi Ouzou, par les chars de l’A.L.N dont l’un des chefs résistants, tué, moins de cinq ans plus tôt, par l’Armée Française portait le nom de Amirouche Ait Hamouda. Le détournement à, caractère idéologique, de la Révolution algérienne, à la réussite de laquelle les Imazighen contribuèrent fortement, aussi bien au niveau politique que militaire, de sa vocation nationaliste algérienne et maghrébine par extension, l’Histoire des cinquante dernières années en montrera le caractère fondamentalement contre-révolutionnaire. En liquidant tous ses chefs historiques, non acquis aux idéologies dites progressistes adoptées par l’Etat Boumedienniste, l’Algérie, devenue hégémonique à l’égard de ses voisins, s’était, sans s’en rendre compte, inoculée les germes destructeurs d’un arabisme aliénant qui n’a pas manqué de devenir un vecteur important d’importation au Maghreb du Chafeisme d’El Azhar, transformé, par la suite en Wahabisme destructeur. C’était, bien au-delà des faux calculs à caractère stratégique, une attitude politique qui rompait avec l’histoire spécifique du Maghreb. La majorité des pouvoirs qui avaient réussi à créer des espaces politiques « étatisables », au Nord de l’Afrique, ont été le fait de tribus Amazighs arabisées et islamisées, mais nettement autonomes des Califats d’Orient. Sauf pour les périodes de décadence, au cours desquelles l’Algérie et la Tunisie vont subir la domination de la Sublime Porte, avant d’être « annexées », par la force des armes, à l’Empire colonial français.
Aujourd’hui, nous assistons, dans d’autres conditions, dans un contexte international qui a totalement changé à l’avènement de la Révolution libyenne, qui n’est pas une révolution de libération nationale, mais de conquête, par un peuple en armes, de sa liberté spoliée par un dictateur. Sans la transformation du Printemps arabe en Libye, en soulèvement armée, personne, peut-être n’aura entendu parler des populations berbères de Jbel El Gharb qui avaient réussi à chasser les Phalanges de Kadhafi de leurs montagnes, avant d’en descendre pour participer largement à la libération de Tripoli, privant les islamistes de Mohamed Belhaj de l’occasion de se déclarer comme étant les libérateurs, à eux seuls, de la Capitale libyenne. Un acquis politique de taille que les Amazighs libyens n’avaient pas tardé à traduire en acte politique conséquent et ce par l’organisation, à Tripoli même et dans l’enceinte d’un grand hôtel, habituellement consacré aux activités officielles du dictateur, d’un grand rassemblement qui avait eu droit à une couverture de plusieurs heures sur la Chaine Al JAzira. Les personnalités invités ont eu l’occasion d’expliquer, en direct qu’ils ne se considéraient pas les représentants d’une minorité ethnique, ni d’une région, mais comme étant les autochtones, non seulement de la Libye,mais de toute la région maghrébine. Et de se prononcer, pour la réinscription de leur pays dans son environnement géographique et humain normal, considérant comme prioritaire, son intégration dans un espace économique commun comprenant la Tunisie. C’était d’une lucidité historique qui ne manquait pas de rappeler la magistrale leçon du Palmarium, donnée, en direct, à Kadhafi par Bourguiba. Nous étions à mille lieux des propos de Belhaj qui plaçait, quelques semaines plus tôt, le futur de l’Etat Libyen, dans une optique on ne peut plus identitaire et moralisante qui n’avait rien à envier, par son caractère idéologisant, à la troisième théorie Kadhafienne.
Cette émergence à la surface de la question amazigh, là où l’on s’attendait le moins à la voir posée, en termes politique d’avenir, devrait, à mon sens, être considéré comme le point de départ d’une réflexion sérieuse et profonde sur les moyens de dépassement des obstacles, à caractère idéologique que rencontre la construction, à moyen terme, de l’espace économico-politique maghrébin, dont le caractère stratégique est on ne peut plus évident.
Les Imazighen du Jebel Nafoussa, par le biais d’une élite éminemment cultivée et solidaire, semblent nous dire que c’était une erreur de continuer à poser la question Amazigh, dans le cadre étriqué et faussement ethnique, de la préservation de l’identité culturelle et linguistique des « minorités berbères » d’Afrique du Nord.
Ce discours pourrait être interprété comme « assimilationniste » visant à régler la question de l’identité amazigh, en procédant à l’achèvement de son arabisation, par le biais de l’enseignement tout comme l’école républicaine, de Jules Ferry, en France, était venue à bout des cultures et langues régionales (bretonne et occitane, en particulier), en faisant de leur préservation une revendication identitaire à caractère minoritaire. Bien au contraire, en dégageant la question amazigh de l’espace de repli dans lequel on la limite aux régions berbérophones, on donne à l’identité amazigh une valeur extensive, de recouvrement de tout l’espace géopolitique maghrébin.
D’ailleurs, si l’on prend la peine de chercher l’origine de cette identification définitive, en Afrique du Nord, des berbères arabisés aux Arabes, que l’on va opposer aux « berbérophones », on rencontrera au bout du chemin l’ethnologie coloniale et l’intention de ses commanditaires qui voulaient diviser pour régner. Étant non fondée, cette thèse n’a eu aucun résultat tangible dans sa volonté parfois déclarée de transformer l’espace linguistique, en espace de scission ou de rébellion politique. Particulièrement au Maroc où le colonialisme avait essayé de jouer la carte de la sédition berbère pour endiguer les visées nationalistes du Roi Mohamed Ben Youssef, au moment où, en Tunisie, Mohamed El Moncef Bey se faisait assassiner(?), dans son lieu de déportation à Pau, en France.
A bien y réfléchir, l’on pourrait remarquer d’ailleurs, que les plus résistants parmi les Amazigh, seront parfois les éléments les plus actifs, sur le plan économique et social. Et ce, en se donnant les moyens de compenser leur sentiment d’être minoritaires, par l’acquisition du savoir, scientifique et technique et en s’investissant, avec compétence, dans l’activité économique, aussi bien dans les secteurs de services que de production et d’échange. De Paris, à Montréal, de Sfax à Casablanca et Aghadir en passant par Alger et Tunis et demain Tripoli l’on peut constater la présence effective de l’initiative économique des Amazighs de Djerba, de Douiret, de Sfax, de La Kabylie, des Mzabs du Sous du Sud Maocain et bien d’autres communautés Amazigh dont le poids économique dépasse de loin le poids démographique, même en y intégrant ceux de la Diaspora. Cette présentation, sans doute très sommaire parce que faite par le non initié que je suis, n’est que la désignation d’un investissement possible de toutes ces potentialités humaines dans la construction de l’espace économique maghrébin dont le fonctionnement politique ne peut être assurée que par l’instauration de démocraties pour le moins avancées, dégagées des idéologies identitaires d’importation et de révolutionnarismes dominateurs, producteurs de Kadhafis en puissance.
D’un autre côté, la reconnaissance de leur identité amazigh d’origine, par les Berbères arabisés, pourrait amener la majorité de maghrébins que nous sommes, à cesser de nous projeter dans des identités fantasmées d’originaires de je ne sais quelle tribu de Saoudie. Ces identités de projection ne peuvent que nous condamner à rester des éternels déracinés, coupables de ne pas être assez Arabes ou pas assez musulmans.
Être un Berbère arabisé c’est être un Arabe de Culture, nous dit-on. C’est là une définition qui tendrait à gommer l’identité Amazigh sous celle plus générale d’appartenance à un champ culturel que l’on dit riche de son passé, mais qui est aujourd’hui et cela dure depuis un bon moment, fortement traversé de tensions à caractère idéologique. Tensions qui le rendent aujourd’hui culturellement ankylosée et presque improductif en termes de création et de véritable vision prospective.
Mais au cas où, le Berbère arabisé s’assume en tant qu’Arabe de Culture, cela pourrait l’amener à prendre conscience de la positon stratégique qu’il occuperait, dans le champ culturel nouveau, au sein duquel l’histoire l’a placé à un moment où nos sociétés auront surtout besoin de porteurs d’idées nouvelles et d’ouvreurs de perspectives. Arabe de Culture, le Berbère arabisé peut s’identifier à l’Arabe Cultivé et continuer à assumer le rôle qui est historiquement le sien au sein de la culture arabe. Parce qu’un Arabe de Culture, dont l’Arabité est acquise et non pas donnée est à même de produire l’avenir dont cette Arabité a besoin et ne pas être tenté de reproduire un héritage qui , aux yeux des Arabes « authentiques » leur reviendrait de droit. Imaginez que l’on puisse, aujourd’hui, priver le Moyen Orient de l’apport culturel des Chrétiens Libanais, Syriens ou Irakiens, ou bien priver la Musique iranienne contemporaine de l’apport des kurdes iraniens.
Pour ce qui est des Imazighen arabisés, nous pouvons observer que les élites maghrébines sont objectivement remarquablement avancées Ce n’est pas redevable à la proximité de l’Europe, comme nous le font croire certains amis du Mashreq, mais au fait de notre culture plurielle. Car quoi que l’on dise L’Imazigh arabisé continue à véhiculer, sous sa langue mère mais historiquement acquise, l’Arabe, toute la vision du monde et l’imaginaire propre à la culture berbère d’origine. Je m’en étais rendu compte, le jour où j’avais rencontré à Paris Taos Amrouche et qu’elle m’avait dédicacé ses contes kabyles. C’étaient les mêmes contes que me racontait ma mère en Arabe Tunisien. Cela m’a été confirmé plus tard lorsque séjournant, chez les Aït Omghar, en tant « Erguez ta Amina » dans les montagnes des environs de Demnat, je n’avais pas eu besoin de comprendre le sens exact des mots pour comprendre le Berbère.
Aujourd’hui, je constate que les Imazighen de Adrar Nefussa qui ont chassé de Tripoli, le dictateur démagogue, se sont, à l’occasion, libérés de leurs attitudes historiques défensives et de préservation de leur identité culturelle, pour se proposer en « liant organique d’une qualité intellectuelle remarquable », pour la construction, pour commencer, d’un espace économique et culturel commun, ayant pour horizon de pensée, deux états qui seraient unis par leur option irréversible de vivre libres en démocratie.
Et je comprends que cela puisse faire peur à ceux qui veulent remplacer une dictature par une autre. Depuis quelques temps, et avant même que la bête immonde ne soit achevée, L’afghan de Tripoli ne cesse de marteler : La guerre est finie, rentrez chez vous à Musrata, Zentan et Nalut. Regagnez vos montagnes et laissez nous instaurer le Régime« juste, morale et divinement équitable dont nous révions déjà, chez les Talibans.