Cette femme dont la vie
Fut irréprochable.
Était morte sans agonie.
On sentait
L’âme douce et admirable
Que ce corps avait abrité
Elle reposait dans son lit,
Les traits calmes, ses cheveux gris
Soigneusement peignés,
La physionomie reposée.
À genoux, près du lit,
Son fils, un magistrat sophiste
Et sa fille Eulalie,
En religion sœur Évariste
Pleuraient éperdument.
Lui accusait les faibles, les pauvres gens.
Elle, avait épousé Dieu par dégoût des hommes.
Tous deux, secoués comme
Par une tempête de douleur, haletaient,
Sanglotaient.
Leur crise se calma lentement.
Ils pleuraient plus mollement
Telle l’accalmie qui suit un ouragan.
Soudain la religieuse dit à son frère :
-Tu te souviens que maman
Aimait relire ses vieilles lettres.
Elles sont toutes là, dans son tiroir.
Si nous les lisions, nous pourrions revoir
Toute sa vie.
Ils prirent les paquets jaunis,
En choisirent un et commencèrent :
« Mon adorée si chère,
Je t’aime par-dessus tout.
Depuis hier, je souffre comme un fou
Hanté par ton souvenir, ma Lucienne.
Je sens tes lèvres sous les miennes,
Tes yeux sous mes yeux, ta chair
Sous ma chair.
Je t’aime !
Je t’aime !
Mes bras s’élancent
Vers toi, avec le désir immense
De t’avoir encore.
Tout mon corps
T’appelle, te veut.
J’ai dans ma bouche le goût
De tes baisers de feu… »
Le magistrat lut jusqu’au bout,
Chercha la signature. Il n’y en avait pas
Mais seulement : « Celui qui t’adore »
Et un nom : « Victor ».
Leur père s’appelait Louis.
Ce n’était donc pas lui.
Le fils prit un autre billet. Il lisait :
« Je ne puis me passer de tes baisers… »
Alors il ferma les rideaux du lit
Et brûla ces tendres plis.