Afghanistan, Irak, Libye : Comparaison n’est pas raison

Publié le 04 septembre 2011 par Jcharmelot

Les commentateurs ont rapidement cédé à la tentation de comparer la campagne de Libye avec les guerres en Afghanistan et en Irak. Et ils se sont réjouis en soulignant que les Occidentaux ont appris les leçons de ces récentes aventures et ne vont pas commettre les erreurs qui les ont marquées. Une mesure de  prudence est toutefois de mise: ces trois conflits présentent plus de différences que de convergence, et comme pour les deux premiers, celui de Libye peut réserver de mauvaises surprises.

Afghanistan : échec de la restauration de l’état 

La guerre en Afghanistan, qui va marquer son dixième anniversaire en octobre, est la conséquence directe des attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis. Ce qui fut d’abord une riposte unilatérale américaine à ces attentats s’est ensuite transformée en une vaste mission internationale. Et l’objectif originel d’éliminer Al-Qaïda et les Talibans a laissé la place à un dessin plus ambitieux, la mise en place d’un état stable allié de l’Occident. Aprés dix ans d’intervention cet objectif apparaît illusoire, et dans une région où les occupations étrangères sont mal accueillies, la guerre a perdu toute dimension stratégique. Elle est devenue une suite de confrontations militaires avec les Talibans dans lesquelles s’enlisent les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Et ces trois pays cherchent à se tirer du bourbier afghan, sans pouvoir faire état d’un véritable succés.

Irak : une ambition impériale déçue  

L’Irak a été une guerre idéologique lancée par une administration américaine décidée à imposer par la force sa vision d’un Moyen-Orient pacifié, et docile.  Le 11 septembre et les armes de destruction de masses de Saddam Hussein ont servi de justification et de prétexte. Les opérations militaires ont été largement unilatérales, même si la phase d’occupation a été plus multilatérale avec la participation notamment des Britanniques et des Italiens. En Irak, comme en Afghanistan, la présence de troupes étrangères a alimenté la résistance et les violences sectaires, avec l’établissement d’un triste record, relevé par le magazine The Lancet: un millier d’attaques suicide entre 2003 et 2011. Un rythme jamais atteint dans aucun conflit, puisqu’une étude précédente avait fait état de 315 attaques de ce genre entre 1980 et 2003 sur 18 théatres différents. Les chiffres irakiens donnent donc la mesure du désespoir et de la détermination d’un peuple en guerre. Alors que les derniers soldats américains doivent se retirer avant la fin de l’année, le bilan est trés décevant. Le coût de cette opération a été faramineux, en vies humaines, en richesses, et en stabilité pour la région. Les tensions confessionnelles en Irak ont été exacerbées et l’économie reste à reconstruire. Enfin, ultime camouflet pour Washington, le gouvernement de Bagdad est favorable à une forte coopération avec l’Iran, la bête noire des Etats-Unis et d’Israël.

Libye: une intervention sans occupation 

Les décideurs et les experts se réjouissent aujourd’hui que les pays qui sont intervenus en Libye –notamment la France et la Grande-Bretagne– n’ont pas déployé de troupes au sol, tout au moins en nombre significatif. Ils voient dans cette absence une différence essentielle avec l’Afghanistan et l’Irak qui permettra à l’Occident d’éviter une nouvelle occupation, et les terribles conséquences qu’elle entraîne. En cela ils ont raison: aucun contingent étranger ne viendra en Libye cristalliser les frustrations, la colère, voire la rage, de la population. Sans troupe au sol, pour le moment, ceux qui y sont intervenus vont donc échapper aux périls de l’enlisement.

Mais l’Afrique du nord et le sud de l’Europe ne vont pas échapper à l’instabilité qui va s’instaurer en Libye, et à l’impuissance de l’Otan ou de l’Union Européenne à gérer la situation nouvelle qui va s’y créer. La phase militaire de la crise libyenne a effectivement démontré les limites des moyens de projection de force de l’Otan, quand les Etats-Unis se refusent à s’impliquer totalement. Et l’absence de déploiement au sol en Libye est moins une illustration de la sagesse des dirigeants politiques européens qu’une admission d’un manque criant de troupes d’intervention au sein de l’Alliance atlantique. 

L’Egypte: le géant malade  

L’Occident est intervenu en Libye pour garantir que ses importantes ressources énergétiques soient mobilisées –notamment–  pour stabiliser le pays le plus important de la région, l’Egypte. L’éviction de Mouammar Kadhafi s’est avérée plus compliquée que prévue, mais a finalement été accélérée lorsqu’une attaque terroriste contre Israël le 18 août à partir du territoire égyptien a mis en évidence l’urgence de la situation.  Une guerre prolongée en Libye devenait de plus en plus périlleuse pour l’ensemble de la zone, sur le flanc oriental et méditerranéen de l’état hébreu. Au contraire, hâter une conclusion permettait de rouvrir aux Egyptiens, notamment aux centaines de milliers d’ouvriers du secteur pétrolier, le marché libyen. Et de leur garantir les premiers dividendes de la « révolution ».  

Mais la campage aérienne de  l’Otan, largement sortie du périmètre humanitaire défini par l’Onu, et l’intervention de forces spéciales européennes et arabes, totalement contraire au mandat de la résolution 1973,  pour conduire la rébellion à la victoire ne doivent pas cacher la réalité. De la Tunisie au Sinaï s’est instaurée un arc régional sans contrôle où, comme l’expliquait récemment un article du New York Times, les voitures volées en Libye sont revendues dans la bande de Gaza aprés avoir transité par les tunnels des contrebandiers palestiniens à la frontière avec l’Egypte. Si le commerce de voitures peut ainsi prospérer sans contrainte, d’autres trafics bien moins innocents peuvent également se développer dans une région devenue hors la loi.

Un désordre régional sans gendarme

Ce nouveau « désordre » régional est sans doute le prix à payer pour que les peuples puissent s’exprimer librement dans des pays dominés trop longtemps pas des dictatures.  Mais il doit être considéré comme tel par ceux qui en ont été les artisans. Les gouvernements européens, en première ligne, doivent être lucides et éviter de se laisser emporter par leur propre enthousiasme. 

Les projets de contrôle militaire de l’Aghanistan et de l’Irak se sont soldés par des échecs, mais l’appui armé a minima à la rébellion libyenne doit encore faire la preuve de son succés.  Cette intervention ne pourra être considérée comme une réussite que si elle ouvre la voie à la construction en Libye d’un projet national incluant tous les groupes ethniques, religieux, et sociaux. Et si elle ouvre, de l’Atlantique au Sinaï, une ère de développement économique propice à l’apaisement des tensions politiques.

Time

The New York Times

The New York Times

The Lancet