Paris retrouvé - 13. - exposition "visions d'égypte" à la bnf : photographier

Publié le 01 octobre 2011 par Rl1948

   Si la photographie avait été connue en 1798, nous aurions aujourd'hui des images fidèles d'un bon nombre de tableaux emblématiques, dont la cupidité des Arabes et le vandalisme de certains voyageurs a privé à jamais le monde savant. Pour copier les millions et millions de hiéroglyphes qui couvrent, même à l'extérieur, les grands monuments de Thèbes, de Memphis, de Karnak, etc., il faudrait des vingtaines d'années et des légions de dessinateurs. Avec le daguerréotype, un seul homme pourrait mener à bien cet immense travail.

Dominique-François ARAGO

Rapport sur le daguerréotype ...

Paris, Bachelier, 1839

pp. 27-30.

  

   A Paris, à la séance de la Chambre des Députés du 3 juillet 1839, ainsi qu'à l'Académie des Sciences, le 19 août suivant, l'astronome et homme politique français Dominique-François Arago défendit, dans une allocution mémorable, l'invention toute récente de la photographie ou, plus précisément, du daguerréotype, procédé photographique mis au point par Louis Jacques Mandé Daguerre.

   Ses arguments - allusion aux dessinateurs qui, dès 1798, accompagnèrent Bonaparte lors de sa Campagne d'Egypte, ainsi qu'à l'égyptologie naissante que le déchiffrement des hiéroglyphes par Jean-François Champollion, en 1822, ne pouvait que favoriser -, eurent l'heur de convaincre voyageurs, archéologues et égyptologues de terrain. Et parmi eux, Emile Prisse d'Avennes.

     Souvenez-vous, amis lecteurs, nous lui avons emboîté le pas tout ce mois de septembre aux fins d'admirer le talent avec lequel il a calqué, dessiné et peint ou estampé pour rendre le plus exactement compte des monuments qu'il avait croisés sur le sol égyptien, qu'ils fussent antiques ou arabes.

     Plus particulièrement lors de son second voyage, de 1858 à 1860, c'est la photographie - à laquelle il ne pouvait rester indifférent - qui retint son attention :  n'était-il pas l'ami proche, au point de donner à son fils le prénom de ce grand précurseur de la photographie en Egypte que fut Maxime Du Camp ? ; n'avait-il pas collaboré à l'élaboration de textes légendant la publication de clichés de l'artiste ? 

     Quoiqu'il en soit, pour sa relativement courte nouvelle mission en Egypte, en plus de Willem de Famars Testas que nous avons rencontré à ses côtés mardi dernier, Prisse s'adjoint les services du tout jeune, peu coûteux et pourtant déjà talentueux photographe parisien Edouard Jarrot (1835-1873)

   Toutes inédites parce qu'issues du fonds Prisse d'Avennes (Fonds PA) appartenant à la BnF et, plus spécifiquement des documents iconographiques conservés au sein de son Département des Manuscrits, qu'elles n'ont jamais quitté, ce sont quelques-unes de ces oeuvres - qui dépassent, et de loin, leur initial dessein à prétention documentaire -, qu'ici, dans la galerie Mansart où nous déambulons depuis quelques semaines maintenant, sur les cimaises de gauche consacrées à l'Egypte pharaonique et ensuite celles de droite, à l'Egypte arabe, nous allons dans un instant  pouvoir admirer.

     Mais avant cela, et sans évidemment avoir la prétention d'esquisser une histoire exhaustive de la photographie et de ses techniques, j'aimerais à grands traits quelque peu en présenter les premiers moments, ne fût-ce que pour préciser certains termes employés dans les cartels de l'exposition comme par exemple papier albuminé, papier salé, papier ciré sec, négatif papier, négatif verre ...

     Quand, dans la première moitié du XIXème siècle, des archéologues ou des voyageurs tels Karl Richard Lepsius ou Gérard de Nerval désirèrent utiliser les techniques les plus modernes pour immortaliser les monuments qu'ils rencontraient sur le rives du Nil, c'est tout naturellement vers le daguerréotype que, dans un premier temps, et avec des fortunes diverses, ils se tournèrent : Lepsius, pour ne citer qu'un seul exemple, ne ramena aucune prise de vue dans la mesure où il cassa malencontreusement son matériel.

   Car vous vous imaginez sans peine, amis lecteurs, que ce qu'il fallait, en ces temps anciens, emporter d'Europe n'était en rien comparable à nos petits appareils numériques de poche : en effet, le procédé inventé par Daguerre en 1839 consistait à utiliser une chambre obscure posée sur pieds dans laquelle on introduisait une plaque de cuivre recouverte d'une mince couche à base d'iodure d'argent, composé sensible à la lumière.

   Après avoir pris la photo - c'est-à-dire après avoir respecté un temps de pause qui pouvait atteindre de très nombreuses minutes -, le daguerréotype était alors placé dans une boîte en bois pour être développé sous les effets de vapeurs de mercure et ainsi donner l'image attendue.

   Ce procédé présentait malheureusement plusieurs inconvénients : il coûtait cher, il exigeait une préparation assez longue et difficile qui incombait à celui qui s'en servait, il était fragile dans la mesure où, par exemple, il ne résistait pas à des traces de doigts et, surtout, il n'était pas reproductible. Partant, il ne pouvait être retenu comme type de document pour figurer dans des publications ; de sorte que les premiers ouvrages illustrés consacrés à l'Egypte ne purent proposer de daguerréotypes, mais seulement des gravures réalisées à partir d'eux.

   Quelque vingt ans plus tard, quand, pour sa seconde mission en Egypte, Prisse d'Avennes se fit accompagner d'Edouard Jarrot, la technique avait considérablement évolué.

   En effet, depuis 1841, l'AnglaisWilliam Henry Fox Talbot (1800-1877) avait mis au point un procédé qui fixait de manière permanente l'image sur du papier albuminé ou du papier salé (et non plus sur des plaques de cuivre) et qui, avantage notoire, permettait de tirer un nombre d'épreuves quasiment illimité. 

   Appliquant le procédé négatif-positif à l'origine de toute la photographie moderne, ce calotype - c'est ainsi qu'on le nomme -, qu'utilisa notamment Du Camp lors de son séjour égyptien avec Flaubert, fut lui aussi très vite remplacé. Ainsi, en 1851, quand le Français Gustave Le Gray (1820-1884), met au point un papier ciré sec permettant une meilleure image argentique et des contrastes plus appuyés que ce qu'offrait le calotype.

   La même année, c'est à nouveau à un Anglais, Frederick Scott Archer (1813-1857) que l'on doit un autre procédé : il remplace le négatif papier comme support par une plaque de verre : non seulement les images étaient bien plus nettes mais, surtout, elles nécessitaient des temps d'exposition considérablement moins longs. Certes, avant lui, Claude Félix Abel Nièpce de Saint-Victor (1805-1870), lointain parent de ce Joseph Nicéphore Nièpce que l'on considère volontiers comme l'inventeur de la photographie parce qu'en 1822, l'année même où Champollion parvint à déchiffrer les hiéroglyphes - il est des siècles où soufflent de grands esprits ! -, il réalisa la première héliographie, Niepce de Saint-Victor donc avait déjà mis au point un procédé de négatif sur verre à l'albumine, mais sans vraiment l'exploiter à grande échelle.

   Le Gray, encore lui, remplacera l'albumine par du collodion, substance découverte en 1847 en milieu chirurgical par un médecin de Boston. Humide, visqueux, le produit qui contenait de l'iodure et du bromure d'argent devait être appliqué de manière régulière sur la plaque de verre afin de la rendre photosensible.

   En Egypte où, de 1858 à 1860, il accompagne Prisse d'Avennes, Edouard Jarrot, utilisera tout à la fois des négatifs sur papier ciré et d'autres sur verre au collodion, selon les conditions climatiques du moment sachant que le rendu est différent suivant le degré de chaleur ou de sécheresse de l'air ambiant, mais aussi selon le sujet exigé par son "patron" qui estimait que le négatif papier convenait mieux à certains clichés d'architecture ... Quant aux tirages, il les réalise sur papier salé ou albuminé ; parfois, il joue même sur les contrastes de manière à permettre à Prisse d'ajouter de la couleur, voire de confirmer l'un ou l'autre détail au crayon, comme déjà, rappelez-vous, il le faisait sur ses calques et estampes.

   Avec notamment Maxime du Camp, Gustave Le Gray et Edouard Jarrot, la photographie encore naissante s'imposera progressivement en tant que témoin incontournable de l'Histoire, et pas nécessairement qu'égyptienne : Le Gray, pae exemple, deviendra le photographe officiel de la cour de Napoléon III.

   Nonobstant, la photographie immortalisant les antiquités des rives du Nil acquiert aussi à cette époque ses lettres de noblesse ; bien d'autres artistes, tous européens, tous professionnels, suivront, qu'il serait ici hors de propos de mentionner.

   Vous me permettrez néanmoins d'en épingler trois : Henri et Emile Béchard, deux frères collaborateurs de certains égyptologues - Gaston Maspero, entre autres - qui, à la fin du XIXème siècle, fixèrent pour l'éternité moult monuments de Karnak ; ainsi qu'Antonio Beato, d'origine vénitienne qui, près d'un demi-siècle durant, jusqu'à sa mort en 1906, s'intéressa notamment à Louxor et dont les clichés constituent de nos jours encore l'essentiel des cartes postales vendues là-bas.       

     Il me semble grand temps maintenant, avant de mettre fin à notre visite de ce samedi, de voir quelques-unes des 150 photographies d'Edouard Jarrot, - évaluation que l'on trouve, rappelez-vous, sous la plume de Prisse en personne.

   Pour ce faire, je vous propose d'abord de visionner un court document vidéo : défilent - malheureusement trop vite - différents aspects de cette superbe exposition, au détour desquels vous apercevrez certaines des oeuvres de l'Avesnois.

   Nous terminerons ensuite avec deux d'entre elles : pour ce qui concerne l'Egypte pharaonique, j'ai choisi de présenter une des cinq qu'il réalisa en mai 1860 du moulage du buste de la statue de Chephren.

(Photographie, papier albuminé/négatif verre - Fonds PA, 19-I-3, f. 6 - Catalogue : p. 135)

   Et, pour l'Egypte arabe, celle de la mosquée d'Ibn Touloun flanquée du nouvel hôpital

 

(Photographie retouchée, papier salé/négatif papier - Fonds PA, 25-I-6, f. 7 - Catalogue : p. 126)

   Si d'aventure vous êtes libres mardi 4 et samedi 8 octobre prochains, deux derniers rendez-vous pourraient nous réunir dans cette Galerie Mansart de la Bibliotèque nationale de France pour découvrir l'ultime partie de l'exposition Visions d'Egypte.

   Cela vous tente-t-il ?

(Grimal : 2008 1, 556-8 ; Le Guern : 2001, passim)