Roman, Editions Gallimard, 201 pages , 16.90 €
Parution le 18 août 2011
RENTREE LITTERAIRE SEPT 2011
L'histoire : 1187... Pour s'affranchir d'un mariage imposé par son père, la jeune Esclarmonde décide de s'emmurer vivante et de consacrer sa vie à Christ et à la prière. Son père lui fait donc construire une cellule, munie d'une fenestrelle pour qu'Esclarmonde puisse être nourrie, attenante à la chapelle de son château : le domaine des murmures.
La solitude à laquelle Esclarmonde aspirait sera parsemée de surprises et d'embûches. Si vous tendez l'oreille, c'est la voix d'Esclarmonde que vous entendrez vous conter son histoire.
Tentation : Mon attente impatiente depuis "Le coeur cousu"
Fournisseur : Ma CB lors de la rencontre avec l'auteur à Rennes.
Mon humble avis :Je ne lis jamais ou presque de roman historique. Même si une 4ème de couv évoque les années 39-45, c'est souvent suffisant pour me faire reposer un livre. Heureusement, il y a des valeurs sûres qui vous font aller à contre courant de vos goûts présumés ou de vos appréhensions. Carole Martinez est décidément une valeur sûre !
Ce livre aurait pu commencer par "Il était une fois" puisqu'il s'agit d'un conte. Un conte avec des personnages hauts en couleurs, effrayants et puissant, pauvres et simples, généreux ou égoïstes,gentils ou maléfiques, sains ou fou, malheureux ou heureux, aux destins imprévisibles, à qui l'on donne des pouvoirs mystiques. Tout tient du conte, depuis la construction, en passant par la narration, jusqu'à la description des lieux. Partout règne un certain mystère, comme une brume qui ne se lèverait pas. L'histoire se déroule sur une terre forte en légendes, celles des femmes enterrées vivantes et qui murmureraient la nuit par exemple, ou des destriers fantômes... Carole Martinez insère une autre légende, celle d'Esclarmonde qui, pour échapper à un mariage arrangé, préfère s'emmurer vivante à 15 ans et se destiner à Christ et la prière. Sa renommée va alors dépasser les frontières. Je m'inquiétais un peu du sujet, me demandant comment, d'une femme enfermée toute sa vie, on pouvait décliner un roman entier sans redondance, sans tourner en rond, en restant captivant... C'était sans compter sur l'imagination, l'illustre plume (qui rentrera aussi dans la légende) et le talent de Carole Martinez. L'auteure, magicienne, est parvenue à glisser une dimension épique, tragique, romanesque, héroïque, historique pour faire de cette oeuvre un roman vraiment pittoresque. Le lecteur est suspendu au destin émouvant de la jeune Esclarmonde, qui découvre la vie et le monde depuis sa geôle volontaire. Elle devient un symbole et les pèlerins viennent la visiter sur leur chemin pour Rome ou St jacques de Compostelle. Esclarmonde devient sainte aux yeux du monde. Et pourtant au fure et à mesure de son évolution tant physique que psychologique, cette cellule devient trop petite. Mais Esclarmonde a promis. Que vaut une promesse d'une jeune fille de 15 ans ? Nous partageons avec Esclarmonde, nuit et jour, ses forces, ses joies, ses peines, ses détresses, et sa transformation.... je n'en dirais pas plus... il faut garder le mystère. Jusqu'où la foi peut-elle porter ? Ce roman traite d'ailleurs beaucoup plus du mysticisme que du religieux.
J'avoue m'être égarée quelques pages, les pages où, par l'esprit, Esclarmonde suit les pas de son père au fond de l'horreur des croisades en Terre Sainte. Par contre, ce voyage dans un temps que je connais mal, le Moyen Âge, voyage richement documenté apporte une dimension culturelle supplémentaire et non négligeable à cet ouvrage. La condition des femmes à cette époque est plutôt glaçante et je ne m'étais jamais imaginé les guerres Saintes comme de tels charniers...
Un conte, c'est atemporel. Il y a Barbe Bleu, les contes de Perrault, Cendrillon et Blanche Neige depuis plus ou moins longtemps et pour l'éternité, il y a dorénavant Esclarmonde. Et un conte a une moralité... Celui du Domaine des Murmures nous amène à nous interroger sur nos erreurs de jeunesse, les choix que l'on a fait à une époque sans posséder toutes les données en mains et sans en imaginer forcément toutes les conséquences. Les choix qui ne sont toujours assez mûris et qui nous engagent sur une voie pour toute une vie... Des choix trop petits ou trop grands pour nous.
Personnellement, j'ai vu aussi dans ce conte une (éventuelle) parabole très contemporaine sur les enfants stars ou toutes ces personnes qui accèdent à la célébrité soudainement, au point que les admirateurs leur prêtent des pouvoirs auxquels les premiers intéressés finissent par croire aveuglément, et à en user sans modération... jusqu'à la chute. Que l'on soit en 1187 ou en 2011, les Hommes n'ont finalement pas tant changer que cela.
Un livre très riche, plein de surprises même pas évoquées dans ce billet... J'ai assisté à 3 conférences de l'auteur alors je pourrais vous en apprendre encore et encore sur ce livre aux richesses infinies, parfois cachés pour le profane. Comme dans tout livre, suivant notre culture générale (ou spécialiste), des détails nous échappent. Et les découvrir où se les voir révéler est une joie immense. Ce que je sais, c'est que je trouve ce deuxième roman plus facile à lire que "Le coeur cousu" et Esclarmonde, héroïne plus unique de ce roman, restera très très longtemps en moi. Alors posez, vous, tournez les pages et écoutez les murmures d'Esclarmonde.
L'avis de Clara, Leiloona, Antigone et Stéphie