David et Goliath (autoportrait en cinéaste téméraire)

Par Borokoff

A propos de Ceci n’est pas un film de et avec Jafar Panahi, Mojtaba Mirtahmsab 4 out of 5 stars

Jafar Panahi

A Téhéran, le cinéaste Jafar Panahi vit en résidence surveillée en attendant de connaitre le verdict dans le procès qui l’oppose à l’Etat iranien. En 2009, à l’époque de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad, Panahi a été arrêté avec Mohammad Rasoulof pour avoir tourné clandestinement un film sur les manifestations.  Ceci n’est pas un film, réalisé avec l’aide du documentariste Mojtaba Mirtahmasb, est une sorte de journal intime, d’auto-confession filmée dans laquelle, au-delà du drame et de l’angoisse qu’il est en train de vivre, Panahi réaffirme son amour et pour le cinéma, n’abandonnant jamais l’espoir de retourner un jour un film…

Un cinéaste condamné au chômage technique et cloîtré dans son appartement n’a rien de drôle. Pourtant, jamais Panahi ne tombe jamais dans le misérabilisme ni le pathos ni la confidence impudique. Au contraire, le sens de l’humour et de l’autodérision avec lesquels il parle de sa situation parait inouï pour quelqu’un qui risque 6 ans de prison et 20 ans d’interdiction de tourner des films.

Même si sa peine est réduite, Panahi sait qu’il ira en prison. Que faire lorsque l’on vous enferme chez vous pendant des mois et que vous avez reçu l’interdiction de tourner ? « J’ai le droit de raconter mes scénarios et de faire l’acteur, non ? » confie avec un sourire fatigué mais plein d’ironie un Panahi déterminé et qui, ni une ni deux, commence à lire l’un des nombreux scénarii qui n’ont jamais reçu d’autorisation de tournage par le comité de censure iranien.

Ceci n’est pas un film se déroule sur une journée, le jour de la Fête du feu. Au petit-déjeuner, Panahi appelle au téléphone son ami réalisateur Mirtahmasb pour qu’il vienne le voir et filmer. Mais filmer quoi ? Qu’escompte Panahi ? Que son ami fasse un film à sa place ? Un film sur lui ? Peut-être Panahi pense-t-il simplement faire réagir la communauté internationale en montrant le cauchemar qu’il vit comme celui des cinéastes de son pays. Peut-être a-t-il inconsciemment en tête le sacrifice qu’il est train de faire ?

Malgré la fatigue nerveuse que l’on sent dans ses yeux et sur ses traits bouillonne en lui l’espoir de refaire des films. C’est que l’énergie créatrice et le courage de Panahi paraissent inépuisables. Malgré l’interdiction, Panahi ne peut s’empêcher de tout filmer autour de lui, même avec son seul iPhone. Chaque jour, il entend au téléphone que la décision « politique » et non « légale » concernant son procès n’a pas été rendue. A bout de nerfs, mais toujours très poli, il raccroche.

Puis, il se met à raconter en détails la mise en scène d’un film qu’il n’a pas pu tourner, collant au sol des bouts de scotch pour délimiter l’espace, mimant avec ses mains le cadre et les plans qu’il souhaitait faire. La situation a quelque chose de pathétique et de profondément triste, mais on n’arrête pas un homme dont le cinéma est toute la vie comme ça. Pourtant, Panahi s’arrête soudain de parler, soudain en proie au désespoir : « A quoi bon raconter un film si on ne le tourne pas ? »

Panahi s’éloigne dans la cuisine, part fumer sur son balcon. C’est là, dans cet appartement, le sien, qu’il a été arrêté deux ans plus tôt par un commando du Raid qui a confisqué les pellicules du film qu’il était en train de tourner avec Rasoulof.

Ceci n’est pas un film était sélectionné en compétition officielle au dernier festival de Cannes, où il est arrivé « sous le manteau » et sur une clé USB !

L’auto-documentaire de Panahi n’est pas un film en effet, et il le dit lui-même, ce sont des bribes de scénarii, de souvenirs racontés à la caméra, des morceaux épars de vie où le cinéaste iranien se compare à l’un de ses personnages de Le miroir qui portait autour du bras un plâtre gênant dont il voulait se débarrasser. Filmer « coûte que coûte ». C’omme une énergie vitale. Malgré la pauvreté de leur matériel, Panahi et Mirtahmsab ont mis au point un procédé filmique simple, un système d’échange et de communication qui passeraient (encore une fois) par le cinéma et un langage visuel, chacun filmant l’autre à tour de rôle à l’aide d’un iPhone et d’une caméra. Comme une nécessité intrinsèque et une bulle d’oxygène, le seul moyen pour le cinéaste de respirer et d’y croire encore.

Ce n’est pas un film, non, mais une confession éparpillée, pudique et émouvante, un plaidoyer pour la liberté dans laquelle le cinéaste (ré)affirme sa volonté de filmer. Ce besoin organique, plus fort que lui, reprend le dessus dans un plan séquence mémorable à la fin du film qui contraste avec la majorité des autres plans fixes du film. Défiant presque le pouvoir, exemplaire de ténacité et de volonté, de courage et d’abnégation, Panahi sait mieux que quiconque qu’il n’avait plus grand chose à perdre dans le combat qui l’oppose à Big Brother…

www.youtube.com/watch?v=CDXvUINRAEk

Film documentaire iranien de et avec Jafar Panahi, Mojtaba Mirtahmasb (01 h 15).

Mise en scène : 4 out of 5 stars

Dialogues : 4 out of 5 stars