Quand la Fed danse le twist

Publié le 05 octobre 2011 par Copeau @Contrepoints

Ben Bernanke serait-il devenu maître de danse ?

Par Jean-Yves Naudet
Publié en collaboration avec l’ALEPS(*)

Y a-t-il place pour la fantaisie quand on parle d’une banque centrale, temple de la rigueur et de l’austérité ? Twist, c’est une danse, c’est un pas glissé. La Fed c’est la Banque Centrale des États-Unis. Ben Bernanke serait-il devenu maître de danse ?

Eh bien oui. Il avait prévenu qu’il n’hésiterait pas à utiliser de nouveaux instruments monétaires pour la relance. En voici un : le « twist », pratique qui vise à faire diminuer les taux d’intérêt à long terme et à injecter des liquidités dans l’économie. Deux vices à la fois, mais qui ne font pas une vertu. Cette fuite en avant de la Banque centrale américaine montre une perte totale de sang froid, qui contribue à affoler les marchés. Venant après les hausses d’impôts proposées par Obama, cela fait beaucoup d’erreurs de la part des États-Unis.

Des taux d’intérêt nuls

Si l’Europe est malade des dettes publiques irresponsables, dues aux folles politiques de relance, l’Amérique ne va pas mieux, comme le pensent ceux qui ont dégradé la note de la dette souveraine des États-Unis. La semaine dernière, Jacques Garello a parlé des erreurs de politique budgétaire d’Obama, qui espère réduire les déficits en augmentant les impôts : en toute logique, on prépare ainsi un nouveau ralentissement économique. Cette semaine, il faut se tourner vers la politique monétaire américaine, encore plus suicidaire.

Voilà dix ans que la Fed (Réserve fédérale) commet des erreurs majeures de politique monétaire. Cela a commencé en 2001 avec Alan Greenspan qui, après l’attentat du 11 septembre, a cru bon de prévenir une récession en pratiquant une relance à la mode keynésienne : l’immobilier, en particulier devait être soutenu par des taux d’intérêt artificiellement bas. Cet « argent à bon marché » (easy money) a également permis de financer les crédits accordés pour l’accession à la propriété immobilière, distribués par Fanny Mae et Freddy Mac. Voilà l’origine de la crise des surprimes : la Fed faisait savoir qu’en toute hypothèse elle viendrait en aide aux banques mises éventuellement en difficulté par le non remboursement de ces crédits. Bien évidemment les ménages les moins solvables n’ont pu rembourser, les maisons ont été vendues en catastrophe, leur prix s’est effondré. Tout le système bancaire mondial allait en subir les conséquences, car ces titres « pourris » s’étaient diffusés dans le monde entier.

Et de fait, en 2008, la Fed a inconditionnellement soutenu les banques en injectant des sommes folles dans l’économie. C’est ainsi qu’elle a racheté plus de 2 000 milliards de dollars de dettes hypothécaires. La crise de confiance ainsi artificiellement provoquée par la Fed a entrainé une récession économique.

Face à cette première crise, les gouvernements ont répondu par la relance budgétaire, d’où les déficits explosifs et une deuxième crise, celle des dettes souveraines. La Fed a encore une fois joué le jeu : elle a fixé des taux d’intérêt à court terme nuls : une banque se procurant des liquidités quasi-gratuitement auprès de la Fed. Bien entendu, la récession s’est poursuivie.

Du « quantitative easiness » au « twist »

Jusque là, on était dans le pur keynésianisme : l’injection de monnaie doit créer la croissance. Mais depuis 2008, avec Ben Bernanke, la Fed est passée aux politiques monétaires « non conventionnelles », dites de « quantitative easiness », consistant à mettre à la disposition du Trésor des quantités de monnaie bien supérieures à ce que l’orthodoxie monétariste autorisait. L’émission de dollar a eu pour contrepartie le rachat de la dette publique américaine, d’abord pour 800 milliards (QE1), puis pour 500 milliards (QE2). La Fed devenant ainsi le premier détenteur de bons du trésor américains, devant même les Chinois. Cette audace a valu à Ben Bernanke le surnom de « Ben l’hélicoptère » : elle revenait, selon l’image utilisée par Milton Friedman, à jeter des billets au dessus des États-Unis d’un hélicoptère. Pourtant, après ces épisodes, la récession était toujours là.

La Fed allait-elle en rester là ? Pouvait-elle aller plus loin, en fixant des taux à court terme en dessous de zéro (donc en versant des intérêts aux emprunteurs !) ou en rachetant plus de dette encore? Rien n’est impossible à Ben Bernanke : il avait d’autres idées en réserve.

Il a donc sorti l’arme du « twist ». Le terme a un coté délicieusement vieillot, qui rappelle les années 60 et les rockers de première génération, mais la politique est tout aussi surannée, puisqu’elle n’avait été pratiquée qu’en 1961, au début du mandat de J.F. Kennedy. Ben Bernanke est donc allé chercher au fin fonds des recettes keynésienne d’il y a cinquante ans ! Cette politique consiste à vendre des bons du Trésor à court terme (venant à échéance à moins de trois ans), pour racheter à la place des obligations d’État à échéance plus lointaine (entre 6 et 30 ans, principalement entre 20 et 30 ans) : il s’agit donc de modifier la composition du portefeuille de la Fed, en allongeant la « maturité » des titres. Cela devrait avoir un double effet : réduire les taux à long terme et injecter de fait des liquidités dans l’économie : en clair augmenter la masse monétaire. On cumule ainsi l’action par les taux et l’action par les quantités. Les keynésiens, qui pensent que l’activité est stimulée par les taux d’intérêt bas (c’est moins cher d’emprunter) et par la création de monnaie (ce qui est censé stimuler la demande) cumulent ainsi les deux « miracles » de la Théorie Générale.

Et 400 milliards de dollars de plus

Le Comité de politique monétaire (FOMC, Federal Open Market Committee) a donc lancé un twist à hauteur de 400 milliards de dollars, étalé jusqu’en juin 2012. La Fed a assorti cette politique de tels commentaires sur le risque d’une récession majeure aux États-Unis que les marchés ne s’en sont pas émus tout de suite. Mais progressivement la fébrilité de la Fed a contribué à accroître l’inquiétude générale. D’ailleurs 3 des 11 membres du FOMC avaient voté contre, considérant que cette politique n’aurait pas d’effet positif, mais mettait en péril les fondements monétaires des États-Unis. Le twist ne faisait pas l’unanimité.

Les keynésiens eux-mêmes ont eu des doutes, puisque leurs modèles de prévision les plus « purs » estimaient l’impact prévisible sur l’emploi de… 0,23 point, c’est-à-dire rien du tout. On sait hélas que cette prévision était optimiste, puisque le chômage atteint maintenant des sommets. Comme on pouvait le prédire sans erreur, la création de monnaie et la baisse des taux à long terme n’ont pas eu le moindre impact sur la consommation et l’investissement, sur la demande, tandis que le taux zéro à court terme et la création de plusieurs milliers de milliards de dollars n’a eu aucun impact sur la croissance.

C’est bien le principe même du keynésianisme monétaire, présent dans chacune de ces politiques, qui est en cause. Jamais la relance de la demande, monétaire ou budgétaire, n’a eu le moindre effet sur l’économie réelle. Aujourd’hui, l’économie américaine est déjà inondée de liquidités, et l’on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif : pourquoi rajouter de l’eau ?

C’est la Fed qui aggrave les problèmes de l’économie américaine

Une chose est certaine : cette inondation monétaire finira par provoquer des dégâts. La création massive de monnaie provoquera une reprise massive de l’inflation, qui est « toujours et partout un phénomène monétaire » (Milton Friedman). Certains keynésiens ne s’en cachent pas. Le FMI l’avait laissé entendre du temps de Dominique Strauss-Kahn et en France Jacques Delors l’avait dit, il y a quelques mois. Mais pour les keynésiens l’inflation a du bon car elle permettrait aux États de rembourser leurs dettes en monnaie de singe, en allégeant le poids réel de celle-ci, c’est-à-dire en volant une nouvelle fois les épargnants.

Ce que les keynésiens oublient, c’est que si la politique monétaire peut faire baisser les taux à court terme, les taux à long terme, eux, dépendent largement de l’inflation et des anticipations inflationnistes. Donc, la politique du twist peut faire baisser dans un premier temps les taux à long terme, puis, quand l’inflation se profilera à l’horizon, ils s’envoleront à nouveau, ce qui est le contraire de l’effet recherché par les tenants de cette politique.

Tout cela est consternant. La lecture de la presse française aussi, quand on voit Le Figaro-économie titrer « La Fed contrainte à la relance »…Contrainte par qui, sinon par l’idéologie ? Pour une fois, nous serons plus proches du Monde, qui explique que « dans ces conditions, la confiance en la capacité de la Fed à trouver les solutions fiables pour enrayer une rechute lourde dans la récession se dégrade ». Cela ne trouble pas Ben Bernanke, qui vient d’indiquer qu’il disposait encore « d’une série d’outils ». Le twist de la Fed nous donne le tournis. Les principaux élus républicains des deux chambres l’ont bien compris en déclarant, avant même les dernières mesures, « s’inquiéter que toute intervention supplémentaire de la Fed n’aggrave davantage encore les problèmes de l’économie américaine » : tout est dit.

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Sur le web

(*) L’ALEPSprésidée par le Professeur Jacques Garello, est l’Association pour la Liberté Économique et le progrès social, fondée il y a quarante ans, sous l’autorité de Jacques Rueff, dans la tradition intellectuelle française de Jean Baptiste Say et Frédéric Bastiat.