Regards croisés: Louise Bourgeois (by Cécile, Christelle, Justine et Stefania)

Publié le 04 octobre 2011 par Lifeproof @CcilLifeproof

Regards croisés : dans cette rubrique, nous confrontons environs tous les 2 mois nos 4 points de vue sur une oeuvre ou un artiste contemporain. Pour ce 4ème opus, nous vous présentons quelques oeuvres de Louise Bourgeois.

Louise Bourgeois avec sa sculpture Spider IV en 1996

Cécile:

Quand j'entends le nom de Louise Bourgeois, je visualise toujours cette petite mamie toute ridée à qui je voulais faire des bisous tellement je la trouvais belle. Pour contextualiser cette image, il faut savoir qu'elle est décédée en 2010 à l'âge de 98 ans et, qu'après avoir commencé à exposer en 1945 aux États Unis, elle a poursuivi une carrière internationale dans la lignée du surréalisme.

Araignées et phallus sont des thèmes récurrents de son œuvre. La première fois que j'ai vu l'une de ses sculptures, il s'agissait d'une araignée géante sous laquelle on pouvait aller, c'était au musée d'art moderne de la ville de Paris. Je l'ai trouvée hallucinante et depuis, je me demande comment quelqu'un d'arachnophobe pourrait percevoir une telle œuvre. Je ne sais pas. Ancienne flippée des araignées, j'ai pourtant adoré pouvoir passer dessous, la découvrir et me sentir toute petite face à elle et ses dualités : sa finesse et sa légèreté s'opposant à sa monumentalité qui peut être écrasante, l'impression d'agressivité que l'on peut avoir quand on s'en approche et de protection quand on est dessous, etc. C'est ce que j'ai ressenti au « contact » de cette araignée. Pour Louise, elle symbolise la mère « parce que ma meilleure amie était ma mère, et qu'elle était aussi intelligente, patiente, propre et utile, raisonnable, indispensable qu'une araignée ». Étonnant ? Pas tant que cela, la mère est celle qui protège son enfant souvent, lui sert de refuge, de maison où s'abriter... Ce qui rejoint les principales préoccupations de Louise Bourgeois : la procréation, la maternité et la naissance entourées des figures du père et de la mère. On parle souvent de « femmes-maisons » à propos de ses œuvres, j'aime ce terme, très à propos.


Stefania:

Louise Bourgeois est l’une des plus grandes artistes du XXième siècle et une des femmes les plus formidables de l’art contemporain. En se penchant sur ses œuvres, on découvre peu à peu, à travers son langage riche en métaphores et évocations, des évenements de son autobiographie et on plonge petit à petit dans son histoire. Toutefois, les expériences dont l’artiste nous parle sont des expériences communes à tous : le rapport parental et familial, la sexualité, la dimension de la femme, la nostalgie de l’enfance, l’importance de la maison…

Parmi les sculptures de Louise Bourgeois vous connaissez certainement les grandes araignées en bronze et acier. Elles ont été les premières oeuvres de l’artiste française que j’ai vu en vrai (aux Etats-Unis). Les parents de Louise tenaient un atelier de réparation de tapisseries anciennes. Le travail lent, incessant, patient des mains de sa mère, lui fait tout de suite penser à une araignée, qui tisse sa toile et sait se défendre toute seule grâce à son art. Néanmoins, la figure de l’araignée n’est pas anodine dans la culture occidentale : elle a une forte ambivalence. Elle peut aussi nous faire penser au mythe d’Arachné, la fille qui avait défié Athena dans l’art du tissage et qui en avait été punie.

En ce qui me concerne, en bonne phobique, j’ai toujours eu une peur folle des araignées. Celles de Louise Bourgeois, en plus de leur taille démesurée, ont des membres squelettiques, une couleur sombre et envoûtent le spectateur, et sont la personnification de mes peurs irrationnelles. Quand j’en vois une dans un musée ou un parc, je n’arrive pas à m’approcher et encore moins à rester dessous.

Comme je vous le disais, le choix des symboles, des matériaux, des objets qui composent une installation ou une sculpture de Louise Bourgeois n’est pas un hasard. Il s’agit toujours d’éléments qui font d’une œuvre très personnelle un récit universel. Voilà pourquoi je pense que Louise Bourgeois a été une des artistes les plus importantes du Xxième siècle.

Christelle:

Quand l’image, ou le poids du talent, prend la place de la véritable personne, il devient bien difficile d’en parler. Peut-être parce qu’on a l’impression de ne faire que redire ce qui a déjà été dit, et en mieux, des centaines de fois. Mais le grand public connait-il vraiment Louise Bourgeois ? Un peu sans doute mais pas en profondeur, je crois. L’araignée gigantesque, effrayante, est de loin l’œuvre la plus célèbre de l’artiste.  Pourtant d’autres sculptures existent que je trouve personnellement plus fascinantes encore.

 
Louise Bourgeois, Nature Study,
marbre et acier, 1984–94

Tel ce sphynx sans tête aux multiples mamelles et pattes de chien. Etonnement intitulé Natural Study, cet être hybride ne nous renvoie pas seulement au mythe œdipien. Plus subtilement, mais de façon bien plus obsédante, ce corps inconnu interroge notre humanité. Il nous ressemble autant qu’il nous est différent.  De cette ambivalence découle la fascination.

A la lecture plus immédiate du fameux Fillette, pénis géant sculpté, je préfère le magma de formes arrondies émergeant à peine de tissus plissés de Cumul I de 1969.

Deux œuvres en marbre me direz-vous, il est vrai que j’apprécie beaucoup ce matériaux d’où suinte à jamais la noblesse antique.

Mais oui, bien sûr, Louise Bourgeois c’est aussi une certaine dénonciation de la violence notamment celle faite aux femmes, de l’enfermement et de la toute-puissance masculine mais à force de le dire, de le lire, ne l’a-t-on pas réduit à ce seul message ?

Louise Bourgeois, Cumul I, marbre blanc et bois, 1969

Justine:

L'oeuvre "Spider" (1997) vue au Centre Pompidou en 2008 m’a glacé le sang. Dans les bras de l’araignée déjà célèbre, était insérée une cage. On pouvait y voir quelques meubles éclairés par une lumière jaune tristounette. Je me rappelle avoir collé mon visage au grillage, longuement, dévisageant cette petite mise en scène lugubre. Je me rappelle l’angoisse montante dans le bas du ventre, comme un liquide froid. Je me suis dit « et bien Louise, elle exagère ». En effet, je n’ai pas apprécié de me faire manipuler ainsi sans possibilité de fuite, passant de l’état de bien-être qui m’habitait ce jour-là, à une mini-déprime fulgurante…

C’est pour moi toute la force de l’artiste: sculpter n’importe quel matériau, y compris l’émotion. Je trouve également que les oeuvres de Louise sont belles, toujours soignées, extrêmement "finies". En celà elles satisfont mon besoin de "perfection".

Dans l’œuvre dont je vous parle ici, la cage serait comme la toile de l’insecte dans laquelle auraient été attrapées des bribes de souvenir délavés par le temps.

  Louise Bourgeois, Spider, acier, tapisserie, verre, tissus, or et os, 1997

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Vous pouvez consulter un excellent dossier sur Louise Bourgeois ici.

Louise Bourgeois est décédée en 2010 à l'âge de 98 ans.

Bibliographie: (source Wikipédia)

De Louise Bourgeois
  • Louise Bourgeois, Marie-Laure Bernadac, Hans Ulrich Obrist : Destruction du père, reconstruction du père. Écrits et entretiens 1923-2000, éd. Daniel Lelong.
  • Louise Bourgeois : He Disappeared into Complete Silence, éd. Dilecta, 2008.
  • Louise Bourgeois : Moi, Eugénie Grandet, « Cabinet des Lettrés », éd. Gallimard, 2010
Sur Louise Bourgeois
  • Peter Lodermeyer, Karlyn De Jongh & Sarah Gold, Personal Structures: Time Space Existence, DuMont Verlag, Cologne, Germany, 2009.
  • Marie-Laure Bernadac : Louise Bourgeois, éd. Flammarion.
  • Mâkhi Xenakis : Louise Bourgeois, l'aveugle guidant l'aveugle, éd. Actes Sud - Galerie Lelong.
  • Marie-Jo Bonnet, Les femmes artistes dans les avant-gardes, Ed. Odile jacob, Louise Bourgeois et la destruction du père.