Alors qu’il y a quelques années, Gabriel Dupuy faisait remarquer, au sujet de la mobilité, dans un entretien au journal Le Monde, que l’automobile n’avait pas été inventée et développée par les fabricants de calèches. Il y a donc fort à parier que l’automobile de demain ne sera donc pas l’œuvre des constructeurs automobiles (aussi puissants soient-ils).
L’année dernière une innovation a d’ailleurs fait le tour du monde sans que cette dernière n’ait réellement fait l’objet d’un étonnement particulier alors qu’elle constitue, selon moi, une évolution importante dans l’histoire de la mobilité et pour l’avenir des villes: la voiture Google sans chauffeur.
Google a en effet annoncé avoir parcouru plus de 200 000 kilomètres avec une voiture sans chauffeur. Cette nouvelle a même provoqué une modification de la réglementation du Nevada (qui ne rêverait pas de voir la réglementation de la Nouvelle-Calédonie évoluer au rythme des innovations de pointe…) pour autoriser les véhicules sans chauffeur ! Regardez donc cette vidéo (vous pouvez ajouter les sous-titres au choix, en bas à gauche du lecteur – j’essaierai de l’intégrer à ce billet plus tard).
http://www.ted.com/talks/sebastian_thrun_google_s_driverless_car.html
Il convient de mesurer les avantages d’une telle innovation si et seulement si elle s’accompagne d’un modèle économique qui s’appuie sur l’usage plutôt que sur la possession (à la manière du Vélib’ à Paris qui offre un service s’usage de bicyclette en opposition à l’achat d’un vélo pour tous).
Imaginez un peu. Ce matin, vous partez travailler. Pour cela, vous indiquez, avec votre téléphone, à votre prestataire de service de mobilité que vous être prêt à partir. Ce dernier recalcule les trajets de tous ses véhicules en circulation et en trouve un à proximité de chez vous qu’il détourne pour passer vous prendre. Vous montez dans le véhicule sans chauffeur déjà occupé par 3 autres personnes. Chaque passager est déposé et le véhicule repart, à vide pour aller chercher deux touristes qui veulent aller à la plage et une personne malade qui doit passer chez le rhumatologue. Et ainsi de suite : les véhicules (plutôt du type monospaces) circulent à longueur de journée pour répondre aux besoins en trafic. En heure creuse, ils retournent automatiquement à la borne électrique solaire la plus proche pour se recharger.
- La navette sans chauffeur est déjà une réalité à La Rochelle...
Quels avantages à un tel système ?
- En premier lieu, la diminution du parc automobile, donc de la production de voitures et du nombre total de voitures en circulation. Ce qui n’est pas un moindre avantage en matière de consommation d’énergie, ne serait-ce que dans la production des véhicules et de gestion des déchets tant les épaves de voitures constituent, surtout dans les pays tropicaux, des sources d’inquiétudes pour la santé et l’environnement. Le hic de ce type de véhicule concerne la masse d’électronique embarquée et le caractère polluant des différents matériaux en œuvre dans ces derniers.
- Ensuite, la diminution du besoin en stationnement : en effet, la voiture sans chauffeur permet d’optimiser le fonctionnement d’un véhicule qui roulerait donc autrement plus qu’une voiture aujourd’hui qui passe le plus clair de son temps accroché au parking, chez soi ou au travail. Pour l’aménageur, cela simplifie considérablement la vie tant prévoir la ville et la vie pour les bagnoles rend trop souvent l’environnement moche (sauf à la cacher sous terre, mais alors cela devient très couteux).
- Le plus beau front de mer du Pacifique !
- La rationalisation et la mutualisation des déplacements grâce à des algorithmes complexes. A la manière des Centres de Distribution Urbains, pour le transport de marchandise, la voiture sans chauffeur permettrait, avec de puissants algorithmes d’optimiser les voyages et le remplissage, sans augmentation sensible du temps de transport, des véhicules. Ainsi, alors qu’aujourd’hui le taux de remplissage moyen d’une voiture est de 1.2 personnes par véhicule (ce que les québécois appellent « l’auto-solo »), il sera possible ici d’organiser un véritable co-voiturage qui pourra faire monter ce taux à 4 ou 5 personnes par véhicules. Cela permettra d’optimiser les infrastructures routières sans avoir à en construire de nouvelles car leur capacité, en nombre de voyageurs (et telle est bien la finalité d’une infrastructure de transport : permettre le déplacement de voyageurs plutôt que de voitures…) sera considérablement augmentée d’autant qu’il sera même possible de créer des « trains » de voiture, ce qui augmentera encore plus la capacité théorique des voies.
- Enfin, et ce point n’est pas des moindres dans un pays qui souffre autant de l’insécurité routière que la Nouvelle-Calédonie, un tel véhicule pourrait vous ramener en tout sécurité si vous avez bu quelques verres de trop avec les copains (sympa pour les malheureux capitaines de soirée) et respectera scrupuleusement les règles de sécurité.
Il convient alors de se demander pourquoi l’annonce de Google n’a pas provoqué plus d’enthousiasme chez les urbanistes et aménageurs ?
Il me semble y voir une sorte de raison idéologique. En effet, la voiture porte en elle les germes de la ville étalée et dépendantes aux énergies fossiles que nous connaissons aujourd’hui et l’innovation de Google pourrait bien de conforter l’automobile individuelle.
Si je partage les préoccupations des urbanistes quant à l’étalement urbain et à la dépendance à l’automobile telle qu’elle est vécue aujourd’hui, je ne suis cependant pas un idéaliste et me reconnais pleinement dans la sage analyse de feu François Ascher qui considérait que la ville de demain est constituée à 80% par la ville d’aujourd’hui et qu’au lieu de s’attacher à rendre compact un urbain déjà étalé on ferait mieux de trouver des solutions. Cela ne veut pas dire que j’approuve les projets qui étalent la ville mais que je considère qu’un des grands défis de l’urbanisme du XXIème siècle est d’accompagner les quartiers à faible densité vers la durabilité. Et justement, en permettant un véritable transport semi-collectif et à la demande, il me semble que le véhicule sans chauffeur pourrait contribuer à cet accompagnement tout en permettant une densification des quartiers périurbains en libérant l’espace de stationnement au profit de véritables logements accessoires.
L’innovation de Google, plutôt que d’être au service de l’automobile individuelle, pourrait ainsi, comme j’ai essayé de le raconter plus haut, être un outil formidable dans une économie de l’usage (de la fonctionnalité comme disent certains) dont les opportunités dépassent d’ailleurs le Grand Nouméa (il pourrait être couplé, à l’échelle de la Nouvelle-Calédonie, au transport aérien ou maritime, voire ferroviaire).
Et vous, quelle est votre opinion sur cette innovation et ses conséquences possibles sur les modes et lieux de vie ?
François SERVE