Lorsque le programme de L’Étrange Festival était tombé au cours de l’été, le premier film dont le titre m’avait sauté aux yeux était Hobo with a shotgun. Instinctivement, on sait qu’un film comme celui-là n’a aucune chance de sortir en salles en France, alors le voir au planning d’un festival parisien promettant de le projeter dans l’amphi du Forum des images devenait vite un évènement majeur. Malheureusement le film de Jason Eisener faisait partie de ceux ne bénéficiant que d’une projection, lors de la Nuit Grindhouse. Long story short comme dirait Van Damme, je ne l’ai pas vu.
Quelques semaines plus tard le voici qui sort directement en DVD. A l’origine, Hobo with a shotgun est l’une des fausses bandes-annonces de Grindhouse la version double de Boulevard de la mort et Planète Terreur, sortis en un seul film aux États-Unis. Le jeune réalisateur canadien Eisener avait gagné le concours de fausses bandes-annonces Grindhouse au South by Southwest Film Festival, avec celle de Hobo with a shotgun. Quatre ans après Grindhouse, c’est la seconde bande-annonce à se voir transformée en long-métrage, après le réjouissant Machete l’année dernière.
Bien sûr, Hobo with a shot gun est très ancré dans le cinéma d’exploitation. Rutger Hauer y campe un SDF débarquant dans une ville gangrénée par la criminalité impunie, asservie à une famille d’allumés qui se permettent toutes les cruautés envers leurs concitoyens. Ce SDF qui n’est tout d’abord qu’un témoin passif de cette délinquance à outrance va peu à peu montrer sa désapprobation face aux évènements de la ville… jusqu’à attraper un fusil à pompe et faire le ménage dans les rues. A la base de Hobo with a shotgun, il y a son titre. Comme les autres fausses bandes-annonces Grindhouse, c’est d’abord le titre qui faisait le sel de l’œuvre. Le clochard et son fusil à pompe se révèlent être les héros d’un film se situant au croisement du vigilante et de la science-fiction tendance autarcique. Le politiquement incorrect hautement parabolique y côtoie le jouissif de la plus pure série B.
Le grain passé de l’image, cette Amérique profonde sans âge, ces bad guys diaboliques, cette demoiselle à sauver, Hobo with a shotgun joue avec les codes du cinéma d’exploitation, et plus généralement de la série B américaine. La violence y est déployée à outrance, ne laissant que des corps en charpie sur le passage de ceux qui s’affrontent. Étonnamment, c’est Gregory Smith, le gamin de Small Soldiers, dont j’avais presque oublié l’existence, qui campe l’un monstres sans états d’âmes qui croisent la route du SDF dézingueur. Une bouffonnerie inattendue qui ne fait qu’accentuer la stature de Rutger Hauer, lui qui a su par le passé conjuguer un charisme inquiétant avec une propension au tragique poétique.
Longtemps lorsque je pensais à Rutger Hauer, je le revoyais à genoux, sur un toit, la pluie glissant sur lui face à Harrison Ford, donnant vie à un monologue bouleversant d’humanité pour un replicant. "I have seen things you people wouldn’t believe…" La première fois que j’ai vu Rutger Hauer dans Blade Runner, je n’aurais jamais cru le voir un jour en SDF justicier des rues explosant les corps à coups de fusil à pompe. Pourtant, sur mon écran de télé à défaut d’une salle de cinéma, j’ai vu Rutger se noyer dans le sang et la folie (une fois de plus ?), avec ce troisième degré conférant au film un humour électrisant. Le replicant se serait bien marré.