Il n’y a qu’un seul gagnant après le désistement de Jean-Louis Borloo : François Bayrou. Avec à la clef un
possible regroupement des centristes plus rapide que prévu.
Une période pourtant favorable
Jean-Louis Borloo avait pourtant quelques arguments à faire valoir pour se présenter, alors que l’UMP venait de perdre le Sénat et que les centristes avaient tenu bon et avaient même réussi à élargir leur groupe sénatorial de
26 à 31 membres.
Il avait initié une démarche d’autonomie vis-à-vis de l’UMP
dès la confirmation de François Fillon à Matignon le 14 novembre 2010, ce qui l’avait amené à quitter l’UMP
en avril 2011, puis à créer en juillet une confédération (l’ARES : Alliance républicaine, écologiste et sociale) qui regroupe le Parti radical valoisien, le Nouveau centre, la Gauche moderne
de Jean-Marie Bockel et un groupuscule encore plus petit de Hervé de Charette (Convention démocratre ex-PPDF, ex-Clubs perspectives et réalités).
Par ailleurs, il avait entamé une réflexion approfondie sur la situation française et européenne qui était intéressante, apportant sa contribution contre les spéculateurs en plein mois d’août lors du krach boursier.
Le précédent de Jacques Delors
Évidemment, un tel retrait aussi médiatique fait tout de suite penser à celui de Jacques Delors le 11 décembre 1994 sur TF1. Député-maire NC de
Drancy, Jean-Christophe Lagarde n’a d’ailleurs pas hésité à ironiser, au-delà de sa surprise, sur le sujet : « Borloo sera notre Delors à nous.
Par chance, il n’a pas de fille à nous refiler en échange ! ». J’espère entre parenthèses
que cette petite phrase sera retenue pour le prix de l’humour politique.
À l’époque, Jean-Christophe Lagarde, qui avait misé sur la candidature de Bernard Bosson à la présidence du CDS (face à François Bayrou) le même week-end à Vincennes, aurait été prêt à faire campagne pour Jacques Delors en
1995 comme la plupart des Jeunes démocrates sociaux.
De faux prétextes…
Jacques Delors avait donné à Anne Sinclair un argument bien peu crédible sur son refus de candidature. Il estimait qu’il n’aurait pas les mains libres
(avec le PS) pour former une majorité avec les centristes : « L’absence de majorité politique (…) ne me permettrait pas de mettre mes solutions
en œuvre. (…) Les déceptions de demain seraient pires que les regrets d’aujourd’hui. ».
Jean-Louis Borloo a donné un argument pas plus crédible non plus, en disant que sa candidature n’était pas susceptible de dépasser le stade du
témoignage et qu’elle n’aurait aucune chance d’atteindre le second tour (à la place de Nicolas
Sarkozy).
Refusant d’ajouter la confusion à la confusion (une expression très mitterrandienne), Jean-Louis Borloo a laissé entendre qu’il ne voulait pas risquer
un 21 avril à l’envers en empêchant Nicolas Sarkozy d’accéder au second tour. L’argument n’est pas très
convaincant puisque les instituts de sondage qui ont testé un premier tour avec et sans Jean-Louis Borloo ont constaté que Nicolas Sarkozy ne gagnerait que 1% sur les 6 à 10% de son potentiel
électoral.
Étrangement, l’UMP et les soutiens de Nicolas Sarkozy se sont montrés soulagés alors qu’à mon avis, comme l’indiquent les études d’opinion,
l’électorat de Jean-Louis Borloo ne se reportera pas de toute manière sur la candidature de Nicolas Sarkozy au premier tour. Pour la simple raison qu’il y a toujours à l’esprit le vote utile et
pour ceux qui auraient malgré tout décidé de voter Borloo au lieu de Sarkozy, le risque d’un 21 avril à l’envers aurait moins pesé que le besoin de renouvellement.
Les raisons invoquées par Jacques Delors et Jean-Louis Borloo ne donnent pas le sentiment d'une bonne compréhension de la logique
de l’élection présidentielle qui veut que justement une campagne électorale serve à quelque chose. Jacques Chirac était à 14% dans les sondages en novembre 1994 mais est resté déterminé. Autre
exemple, si François Bayrou n’avait écouté que les sondages en septembre 2006, il n’aurait jamais pu grimper jusqu’à 18% le 22 avril 2007 et être éventuellement en mesure d’arriver au second
tour. De plus, une majorité s’organise autour du Président de la République élu et surtout au centre de l’échiquier politique, il y aura toujours assez de volontaires pour aller… au
gouvernement !
Candidature pour gagner ou pour témoigner
La grande différence entre Jacques Delors et Jean-Louis Borloo, c’est que personne n’aurait misé sur l’élection de Jean-Louis Borloo en 2012 alors que
le Jacques Delors de 1994 était le Dominique Strauss-Kahn d’avant-14 mai 2011, à savoir le candidat qui,
potentiellement, avait la plus grande probabilité d’être élu le 7 mai 1995. Rue89 rappelle ainsi que le sondage Sofres-TF1 du 9 décembre 1994 donnait gagnant Jacques Delors dans les deux cas de
second tour, 53% face à Édouard Balladur et 61% face à Jacques Chirac.
Cette très faible capacité de Jean-Louis Borloo à être élu, ses proches le savaient mais s’en moquaient un peu. En effet, leur objectif n’était pas
vraiment l’élection présidentielle mais les élections législatives de juin 2012, en sachant que le sigle UMP serait très lourd à porter pour les députés sortants (aux sénatoriales de septembre
2011, aux cantonales de mars 2011 et aux régionales de mars 2010, s’afficher UMP était électoralement contreproductif).
Or, l’ARES n’avait d’avenir parlementaire que sur le sillage d’une candidature de Jean-Louis Borloo qui aurait réalisé au premier tour une performance
autour de 10%. Son retrait du jeu présidentiel, sans parler du silence médiatique qu’il va nécessairement subir au profit des (vrais) candidats, va rendre beaucoup plus difficile cette existence
hétéroclite de l’ARES.
Mystère et boules puantes
Après, on peut toujours réfléchir sur les raisons réelles de la décision de Jean-Louis Borloo, sur le fait que la campagne présidentielle va être très
dure (on en a déjà quelques exemples avec le Sofitel de New York, les mallettes de billets etc.) et il faut être psychologiquement solide pour résister aux boules puantes les plus anodines
(comme celle-ci récemment). À cela doivent aussi peser des préoccupations pécuniaires, avec un contentieux
judiciaire avec l’UMP pour encaisser la cote part des députés radicaux (1,2 million d’euros pour 2011 : l’UMP ne lui a proposé que 500 000 euros).
C’est clair aussi qu’une personnalité qui hésite pendant plusieurs mois avant de partir en campagne aura déjà mal commencé (comme Dominique de Villepin), d’autant plus s’il a une réputation de velléitaire… C’est sûr, pour une présidentielle, on
ne se tâte pas, on doit être déterminé : on fonce ou on renonce.
Probablement qu’il y a d’autres raisons plus personnelles. Être candidat, c’est ranger sa vie privée, et focaliser tous ses faits et gestes sur cet
unique but. Ni Jacques Delors en 1995, ni Cécile Duflot en 2012 (entre autres) n’ont accepté cette
activité assommante.
Excluant les pressions (réelles) de l’Élysée (Jean-Louis Borloo pouvait les imaginer dès le départ) comme raison principale, c’est "Le Causeur", jouant au Cluedo, qui propose la meilleure hypothèse : « Dans la
vie réelle, quand on est confronté à un mystère de chambre close, l’hypothèse la plus plausible, c’est toujours celle du suicide. ».
Aucune candidature crédible issue de l’ARES
Certes, il y a encore à lever l’hypothèque Hervé Morin qui s’est senti obligé d’écrire que sa « détermination n’a jamais été aussi forte ». Pas même au Nouveau centre, personne ne pense souhaitable ni pertinente la candidature du président du
Nouveau centre qui devrait plafonner à 1 ou 2% au premier tour, réduisant d’autant le rapport de force de l’ARES avec l’UMP pour les investitures aux législatives qui suivront. Seul Hervé Morin
croit en son destin, pour prendre date et se placer dans la future bataille de 2017 qui sera celle de sa génération.
Quant à l’hypothèse d’une candidature de Rama Yade (très
populaire), elle ne paraît pas encore sortie de l’imaginaire politique pour 2012.
D’ailleurs, toute candidature issue à l’ARES est vouée à l’échec à cause même des propos de Jean-Louis Borloo sur TF1 qui a plombé toutes les futures
initiatives, puisqu’il a expliqué que la dynamique n’existait pas.
François Bayrou reprend le monopole du centre
Tout naturellement, ce retrait de la campagne présidentiel va favoriser le seul centriste qui a déjà montré de l’endurance et de la ténacité dans ce
job épuisant de candidat,à savoir François Bayrou.
Alors qu’en 2007, beaucoup se sont éloignés de François Bayrou, un mouvement inverse s’est esquissé à Giens en septembre dernier avec en particulier
en réunissant pour des débats avec les militants du MoDem des personnalités comme Pierre Méhaignerie (qui reste UMP), Bernard Bosson ou encore Anne-Marie Idrac (ex-NC)... et même Jérémy Coste,
président des jeunes du Nouveau centre.
Car la situation est maintenant claire mais pas surprenante. Sur France 2 le 3 octobre 2011, François Bayrou pouvait savourer la décision de son
rival, car il avait toujours prédit que Jean-Louis Borloo n’irait jamais jusqu’au bout.
Les centristes sont divisés entre autonomistes (avec le MoDem) qui ont un candidat puissant (force de frappe de 18% il y a quatre ans et demi) mais
sans réseau d’élus pouvant coordonner une campagne nationale et alliés déclarés de l’UMP (avec l’ARES) qui n’ont plus de candidat national mais de nombreux relais sur tout le territoire (et un
groupe parlementaire à l’Assemblée Nationale).
Il est sûr que le plus dur sera la convergence de ces deux intérêts, qui ont le même fond programmatique, car cela nécessite une coopération entre
deux stratégies très différentes depuis 2007. L’éviction de Jean-Louis Borloo du champ présidentiel va permettre de laisser au vestiaire les querelles d’ego. Il ne reste plus qu’à faire un signe
d’apaisement pour que ceux qui, de toute façon, savent qu’ils n’ont plus d’avenir à l’UMP montent la dernière marche d’un futur comité de soutien à François Bayrou.
Une démarche de rassemblement
S’il réussit cette opération très délicate de rassembler les orphelins de Jean-Louis Borloo, François Bayrou pourra alors sérieusement croire en ses
chances pour 2012 : un sortant discrédité (mais qui aura de la ressource pendant la future campagne), un socialo-centriste mis hors-jeu depuis plusieurs mois (DSK), et un candidat socialiste
qui affrontera probablement pour la première fois le suffrage universel d’une élection présidentielle (sauf si Ségolène Royal était désignée).
Étant donné le verrouillage à gauche du PS qui préfère rester dans ses alliances traditionnels avec les communistes et les écologistes, François
Bayrou ne pourrait que pencher sur sa droite, sur un terrain électoral encore déconcerté par la méthode Sarkozy.
Il y aura encore beaucoup d’eau qui va couler avant fin janvier 2012, période à partir du moment le choix des électeurs commencera à se cristalliser
sérieusement. À chacun de se donner les moyens. Aujourd’hui, un candidat commence à réunir beaucoup de conditions pour un succès…
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (4 octobre
2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Vidéo du journal télévisé avec Jean-Louis
Borloo (TF1, le 2 octobre 2011).
François Bayrou en piste pour 2012.
Borloo demande l’indépendance de l’UMP.
Et si c’était Rama
Yade ?
Centrisme
entre deux plateaux.
La famille centriste.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/bravo-borloo-4-vers-un-101834