L’avez-vous remarqué ? L’économie, le pouvoir d’achat, la sécurité… Certes, les questions prioritairement abordées dans les débats des Primaires reprennent les priorités de l’agenda sarkozyste, mais même en élargissant aux programmes des candidats, il est un domaine des politiques publiques pourtant traditionnellement central pour la gauche, et cette fois totalement délaissé. La culture est en effet ouvertement oubliée non seulement parmi les priorités mais dans l’ensemble de l’arsenal de propositions des candidats parmi lesquels se trouve la future figure censée représenter l’alternance pour notre pays.
Les candidats qui évitent la question
Certes, le thème n’a pas été abordée lors des deux premiers débats et ne le sera probablement pas demain sur BFM. Mais dans les programmes des candidats, sur leur site Internet ou dans leurs livres, la place accordée aux questions culturelles n’est guère plus développée. Ainsi trois des candidats n’ont simplement jamais effectué aucune proposition sur le sujet.
Par ordre alphabétique, commençons par Jean-Michel Baylet : le candidat radical de gauche expose son programme dans son livre disponible à 3 € et téléchargeable gratuitement. On constate aisément que le mot culture n’y est pas écrit une seule fois et que le domaine n’est abordé que très indirectement par le point sur « les nouvelles libertés de l’Internet » que M. Baylet veut « organiser » (l’association des concepts liberté-organisation étant en soi assez particulière). De fait la seule proposition correspondant à une politique culturelle (le reste porte sur la qualité du réseau et des opérateurs internet) est la licence globale, ce qui n’est pas très original…
… mais toujours mieux que François Hollande, dira-t-on. Celui-ci non plus n’évoque pas le culturel, hormis une allusion également plutôt surprenante sur son site, dans son chapitre social (« Vivre rassemblés ») puisqu’il y défend les « différences d’opinion, de choix de vie, d’orientations sexuelles et de cultures ». De la culture aux cultures, réduites à un choix de vie quotidienne au même titre que le journal qu’on lit, l’orientation sexuelle ou ce qu’on mange au petit déjeuner : le favori des sondages ne tente même pas de masquer son manque d’intérêt pour la question.
Enfin, Ségolène Royal est à classer elle aussi, de façon un peu plus surprenante étant données les convictions qu'elle affiche en général, parmi les candidats évitant soigneusement la question, son site ne comprenant que deux brefs billets sur des festivals locaux en Poitou-Charentes.
Ceux qui se sentent obligés d’en parler
C’est à l’occasion du festival d’Avignon, mi-juillet, que Martine Aubry a essayé d’investir le débat culturel, en mettant en avant deux propositions importantes. Mme Aubry avance ainsi la possibilité d’obliger les scènes nationales à réserver 5 à 10 % du temps de production et de représentation aux jeunes créateurs, et par ailleurs l’augmentation de 30 à 50 % du budget du ministère de la Culture pour qu’il retrouve son poids d’avant 2002 (par rapport au PIB). Cette dernière mesure fut la plus médiatisée, et provoqua l’ire de François Hollande, qui n’a donc pris position en matière culturelle que lorsque cela parut empiéter sur le domaine budgétaire. Dans la partie culturelle de son programme, Martine Aubry développe un peu ses propositions en déclinant quelques priorités. Celles-ci, comme la volonté de « soutenir la création et les créateurs », additionnée à l’augmentation budgétaire, et la proposition de « créer 10 000 emplois d’avenir pour 10 000 jeunes formés à la médiation culturelle » axent le message sur un créneau corporatiste en faveur d’un « secteur » économique. Il n’est pas dit en effet que la vision que Martine Aubry a du concept même de culture soit très claire. La candidate a l’habitude de mettre en avant sa défense des « cultures urbaines » à Lille où un centre dédié sera ouvert en 2013 ― en fait de culture, on y pratiquera « graff, rap, danse Hip-Hop, Djiing, Slam, BMX, roller », ce qui fait de ce futur équipement un coûteux centre de loisirs pour tromper l'ennui de certains jeunes plus qu’un lieu de création et d’édification. Enfin, une périphrase assez pénible reprend aussi l’idée de licence globale pour régler la question des droits intellectuels sur Internet (« mobiliser une part substantielle de la richesse créée sur les réseaux numériques, souvent sans bénéfice pour la culture et ses nombreux métiers, et [...] mettre en place une contribution modeste et forfaitaire de chacun d’entre nous à la création »).
Manuel Valls aussi se sent un peu obligé de parler de culture. Absent du débat en juillet, il signe le 23 août une tribune dans Les Inrockuptibles, en fait un copier-coller de son « programme » culturel qui fait l’objet de la lettre « C » de son abécédaire vidéo présent sur son site. On remarque d’abord en souriant que le maire d’Évry affirme que la culture est sa « priorité » de candidat, ce qui ne saute pas aux yeux, surtout lorsqu’il affirme dans le même temps vouloir geler le budget consacré à la culture. Trois défis sont identifiés par Manuel Valls. D’abord, le développement de l’enseignement artistique à l’école, un serpent de mer qui relève de toute façon plus de l’éducation et des programmes scolaires que de la culture. Puis, deuxième point, la protection de la « diversité de la production culturelle », en particulier en favorisant de nouveaux financements pour les activités du secteur : économie sociale et solidaire, microcrédit, actionnariat citoyen. En somme, accompagner le désengagement public dans le secteur. Enfin, troisième point, Manuel Valls souhaite décentraliser au maximum les politiques culturelles, ce qui reprend un élément du programme du PS (cf. infra). Valls n’oublie cependant pas un quatrième élément, c’est-à-dire Internet, puisqu’il souhaite revenir sur la loi Hadopi et lui aussi créer une contribution façon licence globale, mais gérée à la façon de la redevance télévisuelle et estimée à 2€ par mois et par foyer.
Enfin, proposition sans doute la plus dérisoire, celle de rendre la culture accessible sur Internet sous formes de ressources « open source », ce qui pose en soi question (qu’est-ce qu’un livre « closed source » ?), open source (terme plus adapté à l’informatique) n’étant pas synonyme de gratuité (Valls confond-il avec le domaine public ?). Surtout, Internet apparaît toujours comme la réponse pratique à tout ce qui manque aux citoyens : vous n’avez pas de livres ? Lisez-les sur Internet. Vous n’allez pas au musée ? Regardez la Joconde sur Internet. Une vraie révolution…
Montebourg, un peu de courage, peu de concret
Arnaud Montebourg a au moins un mérite dans ces primaires, c’est qu’il se montre réellement soucieux de représenter certaines valeurs de gauche très marginalisées au parti socialiste. La partie culturelle de son programme est une nouvelle fois une illustration de cet effort, et lorsqu’il se saisit du thème à l’occasion du débat pendant le festival d’Avignon, c’est pour se référer à Jean Vilar dans les colonnes de Libération : « si la culture est un service public, comme l’eau le gaz ou l’électricité, il est nécessaire que son coût reste modeste, donc accessible, comme cela se passe lorsqu’on va à la piscine ou à la patinoire municipale ». La priorité est bonne, mais la solution avancée pour y parvenir est un peu douteuse, Montebourg proposant « l’instauration d’un prix unique de la culture, à l’image du prix unique du livre en 1981, déployé, dans tous les établissements publics. […] En clair, pour les institutions culturelles publiques (théâtre, danse, musée, expos…), dans tous les cas, une entrée inférieure à 10 euros ». Cette proposition pose deux problèmes. Le premier c’est la comparaison avec le prix unique du livre, qui n’est en rien un plafond de prix mais au contraire une réglementation qui pousse le prix vers le haut en limitant la concurrence, pour mieux rémunérer le secteur du livre, ce qui a pour effet pervers de faire du livre français l’un des plus chers du monde. Le second, c’est qu’imaginer un tarif unique à 10€ dans toutes les institutions culturelles est simpliste et caricatural, car on se demande bien comment l’on pourrait attribuer le même tarif à des choses aussi différentes qu,un musée, une exposition, une performance théâtrale, musicale, ou un opéra, lieux aux économies totalement différentes, sans compter les différences entre villes, entre institutions. On suppose donc que Montebourg entendrait que les tarifs minimaux de chaque spectacle commencent à 10€, ce qui est déjà le cas un peu partout en France. Une proposition moins courageuse donc que ne le serait l’abolition des catégories tarifaires dans les institutions publiques qui pratiquent cette forme de discrimination au placement.
Le reste du programme culturel de Montebourg est plus banal et fait écho aux propositions des autres candidats, y compris son « opposé » Manuel Valls : « construire un véritable parcours professionnel pour les artistes » (réformer le statut des intermittents), « Généraliser les arts à l’école » (encore…), « Développer des coopératives d’artistes » (ce qui est censé favoriser la décentralisation), et « Trouver de nouveaux modes de financements » (affecter à la création artistique une taxe sur les médias de masse). N’oublions pas également la récente proposition d’interdire la télé-réalité et de durcir les cahiers des charges des licences des chaînes hertziennes au niveau culturel, la seconde proposition, à creuser, passant inaperçue derrière la démagogie de la première.
Un programme socialiste à peine plus disert
Alors, si les candidats sont si peu disposés à développer leur propositions en matière de politique culturelle, faut-il se tourner vers le programme du Parti socialiste pour en savoir plus long sur ce qu’un éventuelle législature de gauche mettrait en œuvre ? Pour cela, on peut se reporter aux pages 35 et 36, et au chapitre 2.4 intitulé : « L'accès à la culture, aux loisirs et aux sports » (un mélange discutable, d’autant que le 2.5 est déjà consacré aux « pratiques sportives »). Les premières lignes inquiètent déjà, en appuyant sur un message corporatiste et protectionniste (« que la culture soit au cœur des politiques publiques européennes pour développer et protéger les industries culturelles et audiovisuelles de notre continent et préserver la diversité culturelle »), et en mettant en avant une vision très régionaliste de ces politiques (à travers la création de « Chambres régionales des arts et de la culture », instrument qu’on imagine laisser une large place aux folklores locaux).
Trois parties déclinent ensuite les principales orientations des politiques culturelles proposées par le PS :
- 2.4.1 : « Diffuser la culture à tous les âges de la vie ». Sont ici regroupées quelques propositions banales et/ou floues, comme la promotion de l’éducation artistique et culturelle, la valorisation de la « diversité culturelle » en incluant le mouvement associatif et les pratiques amateurs, et la généralisation du « pass culture » existant pour les jeunes dans de nombreuses collectivités.
- 2.4.2 : « Développer toutes les formes d'expression et proposer une nouvelle alliance aux artistes ». Sous ce titre flou, on comprend le financement de lieux de création, le soutien à l’emploi dans le secteur, et les réformes juridiques (dont le statut des intermittents, la création d’une chambre professionnelle, les droits d’auteur sur Internet).
- 2.4.3 Engager une véritable politique du patrimoine. Ce paragraphe comprend quelques lignes convenues sur l’opposition socialiste à la privatisation du patrimoine, l’Hôtel de la Marine constituant un exemple commode.
Face à la maigreur de ces propositions, la dernière phrase de cette partie trône dans une solitude assez ironique : « Tous les Français ont droit à l'art » affirme le PS, sans expliquer ce que recouvre ce droit, ni comment on peut le garantir, ce qui paraît pourtant la première tâche d’un élu politique.
L’évidente ignorance du sujet
On comprend bien que le Parti socialiste est loin de proposer un véritable programme culturel, et plus encore un projet cohérent, une vision de ce que doit être la place de la culture dans la société française aujourd’hui. L’absence de propositions chez M. Hollande, Mme Royal, ou chez le Radical de gauche Jean-Michel Baylet ; l’aspect très convenu et fort peu ambitieux des programmes de Mme Aubry et de M. Valls ; le caractère purement déclamatoire des promesses de M. Montebourg, ne rassurent certes pas quant au rôle qui sera donné au ministère de la culture sous un éventuel Président de gauche. À moins que le véritable programme culturel du PS ne s’appelle Jack Lang, ce qui économise toute explication, laisse supposer la poursuite de la gestion d'un ministère des mondanités fort bien assurée par Frédéric Mitterrand, mais inquiète sur la capacité de renouvellement d’un parti qui se repose de fait toujours sur un homme de 72 ans, pour ce pan essentiel de toute idéologie de gauche.
Pourtant, le programme du PS défend toujours une certaine idée de la culture (p. 35) :
« La culture est un facteur majeur d’émancipation des citoyens et d’épanouissement des individus. Elle aide chacun à comprendre le monde, s’y adapter et contribuer pleinement aux débats liés à son évolution. Les pratiques culturelles et artistiques doivent être prises dans leur sens politique, car elles sont fondatrices même de notre projet de civilisation. »
Mais offrir une telle place à la culture n’a pas de sens si aucune politique sérieuse n’est mise en œuvre, non seulement pour encourager la création, mais pour permettre aux Français d'accéder au patrimoine ; c’est-à-dire, non pas aux formes divertissantes et « urbaines » que Martine Aubry appelle culture (skateboard, graffitis, danse hip-hop) mais aux fondements de la culture française et occidentale. Ce que doit permettre une politique culturelle, c’est avant tout l’accès de chacun, quel que soit son âge et sa condition sociale, à Racine ou Shakespeare, à Beethoven ou Debussy, à Manet ou Caravage, à Fritz Lang ou Sautet. C’est le droit à s’intéresser à la beauté, à s’orienter vers une pratique artistique et oublier les autres, sans que des barrières externes (coût, éducation, estime de soi) ne viennent s’y opposer. C'est la proclamation d'un véritable service public de la culture comme il n'en existe pas, et comme les Maisons de la culture de Malraux en constituaient un embryon. D'un tel souci découleraient alors des politiques plus courageuses mais aussi plus claires.
Garantir la rencontre de chaque citoyen avec la beauté : c’est ce que refuse la droite, et il ne peut être acceptable que la gauche ne se saisisse pas de ce défi. Le Front populaire s’en était saisi en développant l’idée de l’éducation populaire à travers le mouvement associatif et militant. En 1981, le Président Mitterrand visait 1% du budget de l’État pour la culture, avait d’emblée doublé cette enveloppe, et par ailleurs mis en place le Ministère du temps libre d’André Henry. La culture est, certes, toujours désignée par la gauche d’opposition comme une « priorité », comme un « droit ». De fait, on ne peut pas parler de projet de société de gauche sans politique culturelle. Mais aujourd’hui, l’ambition culturelle du PS est illisible. Cela peut-il changer, ou est-ce le signe de l'absence d'un véritable projet socialiste, d'une vision pour la France ?
Crédits iconographiques : 1. Blum lisant Châteaubriand. DP | 2. © Reuters/Benoît Tessier | 3. CC-by-nc-sa Dalbera | 4. Frédéric Mitterrand et Jack Lang à la Techno Parade, en 2009 © Pascal Le Segretain/Getty Images Europe