La Cause Littéraire parle d'Orgueil et désir !
"Mais qu’est-ce que peut bien connaître, et à l’orgueil et au désir, une fraîche lycéenne de 17 ans ? On a dû le lui faire souvent, à Myriam Thibault, le coup de l’âge ! Car, c’est, en termes d’écriture – romanesque, qui plus est – un terrible deux coups. Un : une si jeune fille ! Admiration, étonnement : se mesurer à un livre intimiste, balayant des émotions et sentiments vieux comme le monde. Deux : ah ! Bien sûr, il manque l’expérience, le vécu, le « derrière soi » ; regard condescendant…
D’habitude, c’est vrai, l’univers des « jeunes filles qui écrivent », c’est plutôt le « soi », sa tranche d’âge, son bestiaire, conflits intergénérationnels, parlers, vêtements, musiques, parades des « twenties », comme on disait à mon époque… Ici, Myriam Thibault sort du cadre, et carrément – avec, peut-être le culot de son âge – s’invite « ailleurs » : autres générations, autre sexe, autre monde. Et il faut bien dire, au bout, que l’âge du capitaine n’est pas pour rien dans le plaisir qu’on prend à ce voyage ! Dans ce très petit livre que balancent les chansons de Gainsbourg « je ne veux pas qu’on m’aime, mais je veux quand même » (superbe résumé du livre en exergue), il y a du blanc, du duveteux, un rien d’austère, avec un soupçon de luxe de bon aloi – quartiers chics de Paris ; aucun problème de fin de mois. La scène du roman est remarquablement sobre ; deux personnages ; elle – Daphné – lui – sans nom – croisent leurs pas dans un itinéraire feutré : « place des Vosges ; du bout de la rue où je suis, je peux admirer ce coin mythique de Paris… la rue de Sévigné est un passage obligé pour tous les bobos… ». Il se dit chroniqueur télé, aurait pu être trader à la Défense, en plus nonchalant, en plus loser aussi ; elle « vient de divorcer ». Rencontre des rues des plus banales ; regards, café, musée. « Elle me plaît et il me plairait de lui plaire » dit-il simplement, et, les pages – écriture fine, au scalpel, observatrice, souvent distanciée – décrivent cette étrange chasse (mot peut-être trop brutal ; on est loin du prédateur) ; on pourrait plutôt dire quête obsessionnelle et jouissive : « je suis juste derrière elle. Je vois son cou, sens l’odeur de sa peau… ». Elle, de son côté, en un mouvement qui peut sembler symétrique, le remarque : « elle repense à ce jeune homme maladroit qui pourtant la regardait tout à l’heure sans une once de gêne », le recherche elle aussi, mais objectifs et besoins différents – aux antipodes, même. Et c’est là que ce petit récit serré, d’apparence soyeuse, silencieuse, à la manière de la surface d’un étang de Sologne, s’anime en une étrange danse, le long de sa traversée du Paris riche (on l’imagine difficilement ailleurs, mis à part, peut-être, Saint-Pétersbourg). C’est un ballet plutôt contemporain qu’on accompagne ; quelques pas ici, une fuite là, les bras qui se tendent, puis retombent. Presque pas de musique, à peine une fugue en fond, de temps à autre ; dialogues rares, mais encore parfois trop – on n’en a pas besoin – se rencontreront-ils ? Lisez, avancez, imaginez, préférez : lui, son immaturité « tu as des enfants ? Non, un grand enfant ne peut en élever » ; elle – qui lit Camus, et aussi Fante, a un chien qui s’appelle Rohmer – on se prend à l’imaginer en Maud ! tellement autre chose… Absence marquée de « cru » dans ce livre nommé désir ; on en vient quand même parfois à regretter qu’un érotisme bien mené n’ait pu trouver sa place çà et là. Volonté de l’auteur de ménager son regard presque scientifique sur ses personnages ? Subtil cadeau au lecteur qui garde sa puissance imaginative ouverte ? Clin d’œil aux films d’Eric Rohmer, justement ? Atmosphère d’une « Pauline à la plage », pourquoi pas… Orgueil et désir est un livre à la présence marquée ; premier essai qui demande, certes, à être transformé, mais qui résonne déjà de qualités évidentes. Il est souhaitable qu’on ne le lise pas comme le « roman d’une jeune fille » – l’âge est oublié, quand on traverse ce récit maîtrisé, à la maturité originale. Martine L Petauton"