Je commence à bien la connaître, la salle de projection de l’ESRA. Sur les bords de Seine, à quelques encablures de la Tour Eiffel, c’est ici que pour la troisième fois, la cinéaste en herbe Leah Marciano m’invite à la projection d’un de ses courts-métrages, après Dustland il y a un an et Paper Planes au début en janvier dernier. Voir des courts-métrages de jeunes diplômés en cinéma est toujours intéressant. C’est l’occasion de voir des univers se construire et peut-être des voix se créer.
Jusqu’ici, les deux courts-métrages vus de Ms Marciano ont eu des effets contrastés sur moi, et j’étais curieux de voir si son nouveau travail, une adaptation de l’œuvre emblématique de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, pencherait plutôt vers la titubation de Dustland ou l’application ambitieuse de Paper Planes. Si ce nouveau court montrait de nouveaux progrès. Ce Petit Prince nouveau arrive sur Terre par une plage normande. Il déambule jusqu’à rencontrer le fameux renard et tenter de l’apprivoiser, tout en se remémorant la Rose qu’il a laissée sur sa planète. Le court-métrage est plutôt fidèle dans le texte et dans le déroulement des évènements au livre de Saint-Exupéry, tout en ayant un peu élagué le récit.
Choisir de porter à l’écran Le Petit Prince est à coup sûr une belle ambition, mais une ambition qui lève à la vue du film une question : Le Petit Prince est-il taillé pour le court-métrage avec acteurs ? Est-il possible, en 25 minutes, avec un acteur adulte, avec des êtres humains dans les rôles des animaux et des plantes, avec une France ordinaire en guise de décors, de rendre justice à l’œuvre originelle ? Si je pose la question c’est bien sûr que j’en doute.On a tous lu « Le Petit Prince » quand on était gamin, à l’école. Ce qui fait la force du livre, c’est qu’on y trouve plusieurs niveaux de lecture. L’enfant le prend au premier degré, l’histoire fantastique et triste de ce petit garçon perdu dans un monde qui n’est pas le sien. L’adulte voit un peu plus loin entre les lignes. Mais c’est une œuvre qui en appelle à notre imaginaire. C’est le pouvoir de la littérature, cette possibilité d’imaginaire infinie.
Or au cinéma, l’imaginaire n’est pas infini. L’imaginaire est celui que le réalisateur veut bien offrir au spectateur. L’idée de transposer « Le Petit Prince » en film, avec des acteurs, est une belle idée, mais qui ne prend pas. On perd ce grain de magie que les mots permettent. On perd notre propre imaginaire. L’enfant devient un adulte, mais conserve les interrogations de l’enfant, ses répliques, ses doutes. Voir un homme jouer le Petit Prince avec la naïveté de l’enfance le rend trop simplet. Voir un homme aux traits un peu rebelle jouer le renard qui veut se laisser apprivoiser, tout en empruntant les mêmes répliques qu’un renard, nous détache du personnage.
La transposition est une belle idée, mais qui rend le film trop naïf, et aplatit son discours, sa profondeur, ses faces cachées. Leah Marciano trouve de jolis subterfuges pour imaginer le rêve au niveau d’un budget de court-métrage, mais ils ne font qu’accentuer la naïveté et la désuétude d’un tel conte. La belle réussite du film est d’avoir osé, de s’être frotté à Saint-Exupéry avec les moyens du bord. C’est ambitieux et l’ambition vaudra toujours mieux que la résignation. Son ambition se heurte malheureusement à un mur, tant « Le Petit Prince » semble ne pas être fait pour quitter les pages de son livre. L’animation est peut-être la seule à pouvoir rendre justice au ton et à l’imaginaire de Saint-Ex. Détail amusant de ce Petit Prince nouveau, puisqu’on parle d’animation : le narrateur du film est Jean-Claude Montalban, un acteur dont la voix emblématique à bercer nombre d’enfants des années 80 dont je fais partie. Chapeau d’être allé le chercher !