Magazine Cinéma
Théâtre Antoine
14, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 08 77 71
Métro : Strasbourg Saint-Denis
Une comédie de Ron Hutchinson
Adaptée par Martine Dolléans
Mise en scène par Daniel Colas
Décor de Jean Haas
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Avec Daniel Russo (David 0. Selznick), Thierry Frémont (Ben Hecht), Samuel Le Bihan (Victor Fleming), Françoise Pinkwasser (Miss Poppenghul)
L’histoire : Cette histoire est tirée d’un fait réel… Hollywood, 1939. Le tournage du plus grand film d’amour de tous les temps, Autant en emporte le vent. Le studio est en crise, le tournage du film est stoppé : en effet, le scénario, beaucoup trop long, doit être réécrit en urgence.
Le producteur David 0. Selznick engage un scénariste célèbre, Ben Hecht, et un nouveau réalisateur, Victor Fleming. L’enjeu est de taille : ramener une interminable saga à un format normal pour un film de cinéma. Le temps est compté. Mais Ben Hecht n’a pas lu le livre… Une seule solution, lui jouer toutes les scènes du film en accéléré.
A trois, enfermés dans un bureau pendant cinq jours, sans prendre aucun repos, ils vont réaliser une forme de miracle : accoucher ensemble du plus grand film d’’amour de tous les temps !
Mon avis : Voici un spectacle qui mérite l’adjectif « hollywoodien ». Hollywoodien dans le sens de la démesure, des moyens mis en œuvre, de la bande son, des costumes et, surtout, des têtes d’affiche.
Je suis passé par toute une succession de sensations. Après coup, j’ai eu l’impression de m’être laissé embarquer dans une sorte de grand scenic railway. Confortablement installé dans mon wagonnet immatriculé « OR 34 », je me suis laissé embarquer pour un voyage qui allait se révéler incroyablement trépidant et agité. Les premières minutes du parcours sont bien sages. On nous expose la situation. Le célèbre producteur David O. Selznick (Les quatre filles du docteur March, King Kong, Anna Karénine, Une Etoile est née, Rebecca, Le Troisième homme, Duel au soleil, L’Adieu aux armes…) est pris à la gorge. Il vient de virer tous les gens qui travaillaient sur l’adaptation cinématographique du best seller de Margaret Mitchell, Autant en emporte le vent. En toute urgence, il convoque un nouveau scénariste, Ben Hecht (Scarface, La Chevauchée fantastique, Les Hauts de Hurlevent, Gilda, Les Enchaînés, La Corde, L’Inconnu du Nord-Express, Trapèze, l’Adieu aux armes…) et pour remplacer George Cukor, le scénariste Victor Fleming (Lord Jim, La belle de Saïgon, L’Ile au trésor, Capitaines courageux, Le Magicien d’Oz, Docteur Jekyll et mister Hyde…)… Un sacré trio.
Le problème, c’est que Ben Hecht n’a lu que la première ligne du roman et Victor Fleming n’en a qu’une très vague idée. Totalement habité par son projet Selznyck va, non seulement réussir à les intéresser à son aventure, mais aussi, pour qu’ils sachent de quoi ils vont parler, leur jouer les scènes du film…
On va avoir affaire à trois egos disproportionnés, à trois caractères totalement dissemblables. David O. Selznick est d’évidence un brave homme. Daniel Russo a mis en lui toute sa bonhommie. Son enthousiasme se fait communicatif : « On va écrire contre la montre ». On ne peut que le trouver sympathique et attachant… Ben Hecht (Thierry Frémont), c’est autre chose. Sûr de lui et de son talent, il est là pour le fric. Mais de là à écrire un film en cinq jours, il y a un fossé que même un pont de dollars ne peuvent l’aider à franchir. Il est sarcastique et moqueur. Pourtant, une fois qu’il aura accepté le marché, il va se révéler être un sacré bosseur et, surtout, un homme engagé, doté de vraies valeurs ; il aimerait entre autres réussir à faire passer dans le scénario un message antiracisme… Quant à Victor Fleming (Samuel Le Bihan), c’est un drôle de zigoto. Cet ancien chauffeur devenu scénariste, est resté assez primaire. Grossier et misogyne, il n’est très loin du beauf…
Tout de suite, une véritable animosité naît entre Hecht et Fleming. Comme deux sales gosses, ils se lancent dans un duel de vacheries, de coups bas. Ils se balancent quelques vérités au visage.
Passée cette exposition, mon wagonnet a commencé à tressauter et à prendre de la vitesse. Mais, séduit et amusé par des dialogues vifs et savoureux, je n’y prêtais pas vraiment garde. Tout autour de moi, les rires fusaient, spontanés et joyeux… Sous la pression de Ben Hecht qui a besoin de biscuits pour son scénario, Selznick et Fleming se mettent à camper les personnages principaux… Tout doucement la machine s’emballe et glisse subrepticement dans le burlesque. Mon wagonnet est de plus en plus secoué. Comme eux, d’ailleurs.
L’horloge tourne. Les jours passent. La fatigue commence à se faire sentir. Les nerfs prennent le dessus. On est pris par le rythme et la vivacité des échanges. Un rythme tellement échevelé qu’on est essoufflé pour eux. On baigne en pleine folie. Mon wagonnet arrive dans une zone de grande turbulence. J’aborde une série incontrôlable de grands huit. Je lâche prise. Je me laisse emporter. Tant pis pour mon esprit cartésien, il a profité de ce que j’avais la tête en bas pour jouer les filles de l’air. J’arrive à toute vitesse dans une espèce de no man’s land où le loufoque est roi. Je suis emporté par la bourrasque. C’est un Atlanta à la pudeur, la déraison du plus fort. La démence ambiante passe comme une Scarlett à la poste… On est dans un grand n’importe quoi, on surfe sur d’irrésistibles vagues de rires.
Hollywood est un incroyable moment de comédie servi par un trio de comédiens absolument inénarrables. Russo nous livre un grand numéro. Capitaine courageux, on ne sait pas comment il réussit à garder le cap. Il a une sorte de foi du charbonnier chevillée au corps et à l’âme… Frémont, une fois de plus, tutoie le génie. Ce garçon sait tout jouer. Même dans les situations les plus ahurissantes, il reste crédible… J’émets un peu plus de réserves pour Le Bihan. Pas pour le comédien, surtout pas, mais pour le personnage qu’on lui fait jouer car on lui en fait faire un peu trop dans le registre du cartoon. Ça, c’était quand j’avais encore mon esprit cartésien… En revanche, j’ai eu beaucoup de mal avec le personnage de la secrétaire. Drôles au début ses « Oui, monsieur Selznick », sont si souvent répétés et systématiques qu’ils en finissent par devenir pénibles. On pourrait les réduire de moitié. Ainsi garderaient-ils leur effet. Et j’ai trouvé aussi un peu tirée à l’extrême la scène des baffes. Pas facile de bien doser le comique de répétition…
Enfin, il faut saluer la beauté des décors, l’élégance des costumes (à part la robe orange de miss Poppenghul affreusement halloweenesque), et la qualité des musiques qui rythment les changements de scènes. En résumé, si vous voulez passer un véritable moment de pur divertissement et une rencontre avec des comédiens formidables, offrez-vous un petit tour dans un des wagonnets du théâtre Antoine et laissez-vous emporter par le vent… de folie.