La Côte d’Ivoire est entrée dans une phase de stabilisation relative. Cette situation, cependant, n’est pas encore synonyme de retour à la normale pour l’ensemble du pays. Désorganisation économique, déstructuration des marchés, retour encore incomplet des déplacés, dénuement de populations ayant épuisé leurs réserves alimentaires et financières : la crise n’est pas terminée.
Action contre la Faim (ACF) a lancé lors d’une conférence de presse un appel face au manque de mobilisation de la communauté internationale sur la durée, pourtant essentielle pour favoriser une reconstruction stable en Côte d’Ivoire.
Six mois après le pic de la crise, où en est la Côte d’ivoire ?
Si le pays est entré dans une phase de normalisation politique, si le secteur économique s’est redynamisé, si l’on assiste à une amélioration des conditions sécuritaires, de nombreux facteurs de fragilité demeurent.
Les déplacements de population ne se sont pas encore résorbés. « Les Nations Unies recensent 29.000 déplacés dans des camps, mais estiment à 270.000 le nombre de personnes encore déplacées dans des familles d’accueil, et 170.000 sont à ce jour réfugiées au Liberia voisin », explique Vincent Taillandier, responsable géographique en charge de la Cote d’Ivoire à ACF. Beaucoup d’entre eux n’envisagent pas encore de rentrer chez eux. C’est assez habituel dans les situations post-conflits : des déplacements massifs concentrés sur quelques semaines mettent des années à se résorber. »
L'OIM (Organisation internationale pour les migrations) a indiqué aujourd’hui que des milliers de déplacés sont actuellement à la recherche d'un abri plus sûr. Souvent chassées de bâtiments vides où ils avaient trouvé refuge, ils vivent dans des abris qu’ils ont-eux mêmes constitués et qui les protègent mal des intempéries.
Parmi les familles ayant déjà regagné leur foyer, ainsi que les familles hôtes ayant accueilli des déplacés, beaucoup font face à de graves difficultés pour se reconstruire, notamment dans les zones dévastées.
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youtu.be/ZUQ3VpTwlKo
Un accès problématique à la nourriture
En raison des combats, des destructions et des déplacements de population, les récoltes de cette année ont été perturbées. Dans l’Ouest, beaucoup de cultivateurs ont manqué la saison de culture du riz pluvial. Le pays est actuellement en période de soudure*, particulièrement critique cette année. Dans la zone de Zouan Hounien/Bin-Houyé/Toulépleu (ouest du pays), selon uneévaluation menée par ACF au mois d’août, 60% de ménages n’arrivent pas à couvrir leurs besoins alimentaires alors qu’en période de soudure normale, cette proportion est de 30%.
« Beaucoup de familles n’ont pas pu cultiver leurs terres ni mettre de coté un stock de nourriture suffisant pour nourrir tous leurs membres, explique Reza Kasrai, chef de mission d’ACF en Côte d’ivoire. De plus, la période de soudure risque de perdurer cette année en raison du retard des pluies.»
Face à cette situation, pas d’autre alternative pour les plus démunis que la « débrouille ». On voit un recours accru à des méthodes de survie alternatives : la chasse (agouti, rat, serpents), la cueillette ou encore la vente de biens personnels de base et de biens productifs (ex : volaille). Ce dénuement a également pour conséquence une diminution importante des dépenses normalement allouées à la santé, à l’éducation, et autres produits non-alimentaires, alors que le besoin d’articles de première nécessité est criant suite aux destructions.
*période de soudure : période pendant laquelle les stocks agricoles sont dans le rouge, entre l’épuisement des réserves et les prochaines récoltes
Quelles perspectives pour les mois à venir ?
Plusieurs facteurs risquent de ralentir la reprise agricole :
- le manque d’accès aux semences
- le manque de préparation/entretien des champs. Dans la région des 18 Montagnes et du Moyen Cavally, les surfaces cultivées ont été divisées en moyenne par deux, aussi bien pour le riz pluvial que le bas-fond et le cacao.
- Le manque d’outils, lié aux pillages et à la détérioration par manque d’entretien pendant les déplacements
- L’accès aux fertilisants quasi-nul en l’absence de revenus.
Des marchés déstructurés
Si l’activité économique reprend, elle n’est pas pour autant revenue à la normale. L’embargo sur l’exportation des produits de base et la fermeture des banques pendant la crise ont entravé l’activité de nombreux secteurs, comme les planteurs; la crise a affecté la culture des champs de cacao ; beaucoup d’entreprises n’ont pas encore rouvert.
« Dire que la crise est terminée ? Je dirais non, témoigne Charles Youkou, jeune ivoirien. Nous qui sommes encre jeunes, lorsque nous postulons pour des emplois, on nous dit toujours que la crise n’est pas encore finie. Il y a des problèmes d’insécurité et d’autres paramètres qui empêchent les entreprises d’ouvrir.»
La baisse des revenus affecte en retour les échanges et le dynamisme du commerce. Ainsi, une étude des marchés de la région des 18 Montagnes et du Moyen Cavally (ouest) a montré une augmentation des prix de 20% en moyenne sur les marchés, voire de 30% à 40% à Bin-Houyé entre septembre 2010 et juillet 2011. Parallèlement, on a constaté une baisse de 40 %de la clientèle en raison de la perte de pouvoir d’achat et des déplacements, de même que la quasi-disparition de certains produits à la vente comme le poisson frais.
Quelles conséquences sur la situation sanitaire des populations ?
Le manque de ressources alimentaires a pour conséquence un nombre élevé d’enfants malnutris. Dans l’ouest « 15 000 enfants seraient malnutris selon le résultat des récentes enquêtes nutritionnelles», explique Reza Kasrai. Dans l’Ouest, Action contre la Faim a vu le nombre de cas de malnutrition sévère avec complications médicales traités par ses équipes augmenter avec la période de soudure et la saison des pluies, avec une prévalence importante des cas de paludisme, souvent compliqués d’anémies et d’infections respiratoires aiguës. Cette évolution reflète une détérioration de la situation sanitaire, d’autant plus graves que les malades ne peuvent être traitées, en raison d’un système de santé encore défaillant. Déplacement du personnel de santé, rupture des approvisionnements en médicaments, destruction des infrastructures : le système sanitaire ne s’est pas encore remis des troubles.
Des facteurs d’optimisme
Les désordres sont profonds et nécessiteront du temps pour être maitrisés par le nouveau gouvernement. Mais les services publics centraux demeurent solides, ce qui est un élément favorable à la stabilisation du pays. « Avec la crise, on aurait pu s’attendre à un arrêt total du fonctionnement des ministères, à un délitement du système. Or ça n’a pas été le cas, explique Vincent Taillandier. Les ministères avec lesquels nous collaborons ont fait preuve de solidité, en continuant à fonctionner. En ce sens, ils étaient en marge de la politique pure. Le problème se pose en revanche au niveau de la représentation et de la capacité de fonctionnement des services publics en région».
Pour relayer ou soutenir des hôpitaux encore partiellement paralysés, dans l’Ouest mais aussi dans le Nord du pays, Action contre la Faim intervient donc par la prise en charge directe des bénéficiaires, mais aussi en appui au système public, notamment par la formation.
Un engagement insuffisant de la communauté internationale
Aujourd’hui, après une phase d’urgence de six mois, la Côte d’Ivoire entame une phase de « transition », qui doit être marquée notamment par le redéploiement des services de base et la stabilisation des populations. « Cette phase de reconstruction ne doit pas être manquée, sinon on prend le risque de replonger dans une crise aigue, explique Vincent Taillandier. Il est donc extrêmement important de continuer à accompagner les populations à se reconstruire, à retrouver leurs moyens de subsistance et leur autonomie. Cette phase est bien moins médiatique que la période d’urgence, mais elle est essentielle…et coûteuse. Or, si la communauté internationale a débloqué des millions d’euros qui a permis d’avoir une réponse efficace au moment de la crise, aujourd’hui, peu d’argent mise à disposition pour accompagner la transition. Résultat : les programmes qui étaient en place doivent cesser alors que les besoins sont criants. Il fait absolument maintenir la mobilisation.»
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Pour visionner le film « 6 mois plus tard : où en est la Côte d’Ivoire ?»: youtu.be/ZUQ3VpTwlKo
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