La fascination d’Emmanuel Carrère pour Limonov m’a rappelé celle qu’il a éprouvée jadis pour Jean-Claude Romand et dont il a fait aussi un livre, L’adversaire. A chaque fois, il s’identifie, il se compare, il voudrait être eux et en même temps non.
On sent bien que l’excès, voire la monstruosité l’attire, sans qu’il puisse non plus s’empêcher de les condamner parce que comme la plupart des gens, comme moi, il est du côté des bien-pensants, tout compte fait.
Ce double mouvement donne à ces livres quelque chose de trouble. Relativité des valeurs, fascination pour les gouffres.
Bien entendu, un auteur n’a pas à porter des jugements de valeur ou à donner des leçons. Il lui suffit de montrer et le lecteur est assez grand pour prendre position.
C’est justement là la complication chez Carrière. Il fait bel et bien la morale, dit explicitement que certains actes de Romand ou de Limonov sont condamnables, tout en montrant de l’envie pour ces destinées hors norme, à l'aune desquelles il mesure son existence.