Comme d’habitude lorsque je rédige un articulet, je tente de faire un résumé de mon cru. Ici, je suis confronté à une difficulté majeure. Si je devais résumer ce petit bouquin de 100 pages à peine, mon résumé ferait 100 pages. Mission impossible, donc, quoique ce ne soit pas la place qui manque dans un blog, mais compte tenu que le séjour moyen d’un internaute est de une minute 54, il faut rester succinct… J’en dirai tout de même trois mots conducteurs.
Paul Reçoit une lettre d’un de son frère Odd. (la fratrie est tentaculaire : six enfants et de nombreux beaux-enfants et ainsi de suite). La lettre est sibylline. Odd part on ne sait où. Ce départ est inquiétant; leurs père a disparu de la même manière pour la Malaisie, laissant ses enfants dans le désarroi, après que leur mère norvégienne fut morte. La lettre d’Odd contient aussi un P.S. étrange. Il demande à Paul d’aller dans sa maison, à 300 kms, vérifier qu’un robinet à l’étage est bien purgé. Si ce n’était le cas, le gel pourrait faire éclater le truc et inonder la baraque. Paul se rend dans le bled en question. Le robinet est bien purgé.. Mais la neige tombe dru, et il se résigne à rester dans l’étrange demeure. Les souvenirs refluent…
Voici un auteur, une auteure pardon, qui ne fait rien comme il faut, se borne à radoter et enfiler des lignes à la suite sans ménager son lecteur. Des phrases de cinq lignes, dix lignes, trois pages. Malgré le faible volume, on pense ne pas en venir à bout. Prenons un extrait, n’importe lequel, et le plus indulgent des lecteurs, il nous avouera que non, c’est pas bon, ça ne le fait pas, comme on dit. Et pourtant, en insistant un peu, il y a une certaine magie qui opère.
Voici donc une des bizarreries de la littérature, et de l’art en général. Certains s’ingénient à composer savamment, à tisser avec soin une œuvre, à y mettre tout son cœur et ses boyaux, à respecter des règles, à suivre les méthodes qui ont fait leurs preuves… Et malgré tous ces efforts, parfois la sauce ne prend pas. Or dans ce cas-ci, rien de tout ce qui est commun et connu. Aucune tentative apparente de séduire le lecteur, de lui rendre sa lecture amusante, intéressante ou simplement agréable. Pourtant, au fil des lignes, je (comme d’autres je suppose) je me suis laissé prendre au jeu. J’ai commencé à éprouver un vif plaisir dans la parenthèse sur ce type qui construit un téléphérique, un étrange personnage qui a d’ailleurs le vertige et ne quitte pas sa maison en bas de la falaise. Son édifice s’écroule le premier jour, il y a des morts.
Une sorte de jouissance m’est venue, doucement, je ne ne sais comment. Parfois en amour c’est comme ça, t’as un partenaire, tu lui fait tout ce qu’il faut et rien, pas le moindre murmure, et d’autres fois, une simple caresse et voilà l’amant(e) au septième ciel sans passer par le sixième. Mystère donc. On (enfin je) me suis laissé prendre au jeu, sans savoir comment. Si l’écriture est clinique, froide en apparence, elle est nimbée d’une saveur particulière, due à une sorte de deuxième ou trente-sixième degré intangible. Et voilà que finalement, j’ai connu une sorte d’orgasme littéraire, car l’histoire est à la fois dure et sans espoir, et aussi contée avec une légèreté qui fait qu’on (je) passe du rire aux larmes.
La magie de ce bouquin très mal écrit, c’est de (nous) me faire entrer sans cri dans une ambiance à la fois tragique et comique, on ne sait pas, enfin c’est insolite, curieux, mais aussi extrêmement jouissif… pour peu qu’on entre dedans, ce qui ne sera pas forcément le cas de tout lecteur. J’ai adoré le parallélisme entre Paul, le pragmatique, et Odd, l’artiste raté, et les considérations sur l’art versus la science, et tout ce qu’il y a entre les lignes et entre les mots. Ce petit livre est finalement plus riche que prévu, d’où l’impossibilité de le résumer sans le trahir! Je ne sais pas pourquoi ça marche mais ça marche, chez moi du moins, et je l’espère chez d’autres aussi. Ce n’est pourtant qu’un gouffre sans fond a priori, pas amusant du tout!
J’hésite entre quatre
« Quoi qu’il en soit, je n’aurais été d’aucun secours à Odd, qui, sans jamais rien concrétiser, s’était depuis longtemps engouffré dans son processus et, comme je l’ai toujours confusément ressenti, avec une sorte de délectation perverse. Le fait qu’Odd a d’abord abordé l’existence sous sa forme désespérante, là où je me suis contenté de la considérer comme une farce inhumaine, et si je tiens un fond de mélancolie et quelque chose comme une nostalgie – mais de quoi ? – Odd s’est tout entier consacré à son désespoir. »
Un avenir de Véronique Bizot. Éditions Actes sud
Date de parution : 12/08/2011 Isbn : 2742799516