Que se passe-t-il durant quatre jours ? Le roman de Jens Christian Grøndahl rend tout à coup évident ce dont nous faisons l’expérience quotidiennement : « Quatre jours en mars», ce n’est pas seulement la vie d’Ingrid, architecte brillante, mère d’un jeune délinquant inquiétant et maîtresse d’un homme dont le courage est à questionner. « Quatre jours…» compte bien plus que ces faits-là.
C’est en fait la somme des pensées et des souvenirs qui passent en une journée. Ils sont si nombreux, ils remontent si loin, que cette pensée vagabonde tisse des liens entre l’enfance, le fait de grandir, le fait de devenir une femme et une personne. Ingrid réfléchit finalement assez peu ces actes présents : elle sait qu’elle doit rentrer pour avoir une explication avec son fils délinquant, elle ne réfléchit pas quand elle appelle son amant chez lui, pas non plus quand elle gifle son fils… Elle est bien plus la spectatrice et l’analyste de sa vie passée. Sûrement parce que regarder les choses avec du recul est plus simple, que cela permet également d’ embellir les faits : « Bien entendu, cela ne s’est pas passé ainsi, comme dans un film, mais quand elle y repense, cela en a pris les apparences, car c’est le coup d’œil rétrospectif qui compte. »
Finalement, ce livre parle peut-être essentiellement, sans en avoir l’air, du fait de devenir adulte. Ingrid s’est parfaitement d’où elle vient : sa mère et sa grand-mère sont des femmes de lettres, frustrées de ne pas avoir été reconnues. Elle deviendra à l’inverse architecte, brillante et reconnue : elle bâtit la maison dont sa mère l’a privée en partant seule à Rome alors que sa fille était encore adolescente. A ce titre, les personnages dessinés par Jens Christian Grøndahl épouse une finesse psychologique trop rare qui nous fait toucher du doigt les méandres familiaux et la perversité des rapports humains. Mais d’autres événements resteront des énigmes auxquelles le temps ne peut pas grand chose : ainsi en va-t-il des obsessions amoureuses éteintes et des évidences foulées au pied par la vie.
A la lumière de ces quatre jours qui en contiennent bien plus, l’on pourrait s’interroger sur la définition de l’essentiel : est-ce ce qu’il reste ? Mais c’est souvent ce dont, justement, on a voulu se débarrasser : une enfance en demi-teinte, des parents absents ou une mère envahissante… L’intensité du présent peut-elle alors être le mètre étalon de l’essentiel d’une vie ? Ces quatre jours sont peut-être l’occasion pour Ingrid de réaliser que, bien qu’adulte au sens fort du terme, elle n’est pas totalement en capacité d’épargner autrui et, en premier lieu, son fils : « On sait si peu de choses sur ceux qui étaient adultes avant que nous ne devenions nous-mêmes."
"Quatre jours en mars" de Jens Christian Grøndahl, traduit du danois par Alain Gnaedig, Gallimard, collection Du Monde entier