Cet ensemble se déclare et place dans le sillage palimpseste d’un des monuments de la poésie française. Transposant le temps jadis à celui d’huy, Christophe Manon imite le style Villon, avec le plus grand sérieux, fait par là travail de pastiche sur une œuvre où le carnavalesque s’insinue dans la satire, et pousse l’imitation parfois jusque la troublante ressemblance (ou l’adaptation traduisante en français moderne du poème original1). Le carnavalesque de Manon est la fiction qu’il pose en tant que masque sur le caractère auto-biographique et réaliste des poèmes et sur les noms d’un certain nombre de personnages, faisant ainsi défiler devant nos yeux lisant une mascarade sociétale où fiction autobiographique et réalité s’entremêlent (nous pouvons supposer que c’est la raison pourquoi l’éditeur, répondant aux sirènes de l’actualité littéraire de la rentrée et à la mode, a cru bon, en quatrième de couverture, qualifier ce livre de « roman en vers », ce dont il ne semble pas être, au contraire d’un Météo des plages de Christian Prigent2 ; un ensemble de poèmes en vers travaillant une forme ancienne en régalant de fiction peut, ce nous semble, s’assumer comme ouvrage de poésie, laquelle n’est pas une maladie littéraire honteuse du siècle). On retrouve le Manon des livres précédents, appelant à l’insurrection ou à la résistance ou à la désobéissance, on retrouve le poète imprégné d’esprit politique s’élevant sur l’écroulement du monde, sur la terre vaine de pensée rebelle, avec néanmoins un esprit plus macabré, non sans l’ironie que nuance la fiction ; la poésie de Christophe Manon est une pensée rudérale. Un esprit macabré que souligne magnifiquement le graphisme de couverture très gothique réalisé par le dessinateur Vincent Sardon. Reprenant le poncif du poète miséreux, sur la paille et au bord du mourir, ainsi comme le poète ancien, Christophe Manon tord le cou à une tradition lyrico-personnelle, et, adoptant le ton populaire relâché du mec las et regardant sa fin advenir, revendique une poésie de masse (le « camarade » qu’on lui connaît en appelle aux masses), élabore une fresque qui nous paraît comme un état des lieux des sociétés asservies. La poésie est, à l’évidence, chez Christophe Manon, objet de revendication, conduit politique, et il est un des rares poètes (avec Charles Pennequin), à s’attaquer ouvertement et frontalement au politique, sans craindre le tract, dans lequel il ne verse nullement jamais. Un souffle paradoxal souffle dans cet ensemble, où un poète semble disparaître, car un souffle d’enthousiasme où le plaisir de dire la mort de l’homme aurait la vertu de réveiller les mourants.
1Voir la « Ballade de bon conseil aux cailleras des cités » publiée dans l’anthologie permanente avec l’original.
2Chez P.O.L., en 2010
Christophe Manon
Testament
(d’après Villon)
Laureli Léo Scheer
80 p., 16 €
[Jean-Pascal Dubost]